Portraits

Younès Bentalha, portrait d’un jeune écologiste dans les Aurès

Les belles histoires existent… Celles qui se terminent bien, celles où le héros est beau, sémillant, jeune et plein d’avenir. Younes Bentalha, car c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas encore 20 ans. L’enfant d’Ighzar n Thaqqa (Oued Taga), fils de la montagne, est un pur produit du terroir ( mammis n tmourth).
Jeune, trop jeune même, presque enfant, Younes ne veut pas de grandes universités et il n’en a pas besoin, comme il nous le dit lui-même. «Je suis né et j’ai grandi dans le village et précisément dans les vergers. Je fais la différence entre un arbre et un sac de ciment, et je sais ce qu’on fait avec l’un et l’autre, mais, surtout, les répercussions respectivement du pommier et du ciment…»

En 2014, un projet de l’installation d’une cimenterie dans la région voit le jour et soulève le courroux de toute une population. Un projet ou plutôt une « véritable cicatrice », qui, s’il avait abouti dans la région, aurait menacé sa nature à caractère agricole, son arboriculture et sa pommeraie de plus de cent vingt mille arbres en production. Younes Bentalha, qui se dit jeune militant écologiste, n’y a pas réfléchi à deux fois comme il nous le dit lors d’une rencontre très amicale.
Il raconte : «Je n’étais pas seul. Avec des amis de ma génération, nous savions que ne rien faire signifiait accepter (silence égal consentement) et nous savions aussi qu’il fallait mettre de la lumière, beaucoup de lumière, c’est-à-dire rendre visible ce projet qui devait être réalisé en catimini. On nous a bercés avec l’idée d’une cimenterie carte postale (rires) et ses retombées économiques qui sera implantée juste à 40 km. Vous savez, les cimenteries et carrières dans la région de Aïn Touta on les connaît et rendent l’atmosphère apocalyptique où plus rien ne pousse. Il y a 20 ans, l’on a raconté le même mensonge aux habitants de cette région, qui n’ont plus que leurs yeux pour pleurer aujourd’hui. Pour nous, la nouvelle génération, il n’était pas ou plus question de revivre ça». Commence alors une guerre de communication, d’information, mais, surtout, d’images, et le jeune Younes et ses amis ne demandaient pas mieux. Ils sont tous militants, mais aussi journalistes new wave sur le net, photographes et bien équipés, sans compter certains relais et soutiens pour inonder le Web et faire découvrir ce projet antiécologiste. Notre interlocuteur, en présence de ses amis les plus proches, nous dit : «Vite vite, nous avons lancé une page sur le Net (Ighzar N’taqqa). Au début, les internautes s’interrogeaient. Ils entendaient plusieurs sons de cloche. Nous avons commencé par rétablir la vérité : la nature du projet, la vraie distance entre les agglomérations, contre-argumenter les données fournies par le projet, notamment la fameuse «émission zéro».
Même pas vu dans les films hindous ! Une large campagne de sensibilisation a été entamée, aidée par des sites et portails d’envergure nationale (1, 2, 3 Viva l’Algérie, Inumiden, Batna) et la solidarité et l’adhésion des habitants d’Ighzar N thaqqa et l’apport inestimable du jeune ingénieur Ali Besari, notre bras scientifique (rires). Nous n’avons jamais dévié de notre ligne initiale, revendication et protestation pacifique. Et ce, en dépit de la menace et des opérations de séduction qui ont lamentablement échoué.» La recette de la réussite de cette mobilisation populaire, en dépit de la manipulation, le noyautage, l’anathème réside dans le fait d’avoir impliqué la population, leur avoir dit la vérité, nous disent les jeunes militants qui, par leur sincérité, leur franc-parler et leur spontanéité, ont réussi à se faire estimer par toute la population et une grande partie des habitants du grand Aurès.
Cependant, hormis une élue de l’Assemblée nationale populaire originaire de Tébessa, aucun responsable local, élu local ou à l’hémicycle national, n’est venu adhérer, ou juste s’enquérir de la situation. Les jeunes de Ighzar n Thaqqa et à leur tête ce Jugurtha des temps modernes disent ne rien attendre de ces personnes qui ne « sont pas élues », « mais désignées ». Nous sommes plus légitimes qu’elles, disent-ils, avec une grande ironie. L’issue de ce combat de longue haleine, tout le monde la connaît aujourd’hui : le projet de réalisation de la cimenterie à Ighzar n Thaqqa a été officiellement annulé sur ordre du Premier ministre Abdelmalek Sellal.
Comme quoi l’opposition citoyenne et pacifique où environ 7 000 habitants de cette commune ont participé vendredi dernier à une marche arborant des banderoles opposées à l’implantation de cette usine finit par payer .

Juba Rachid

article paru en premier lieu ici

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