Ahmed Ben Abderrazak Hamouda, dit Si El Haouès Plaidoyer pour un véritable héros

«Depuis que j’ai commencé à militer, je ne fais plus la distinction entre le salé et le sucré. Pour Dieu, le pays et la Révolution, je suis prêt à sacrifier l’honneur de ma femme.»


Depuis quelques années, la scène algérienne ne cesse de s’emballer à chaque fois que l’histoire de la guerre de libération s’invite. En effet, à défaut d’un débat serein et objectif, nous assistons, et d’une manière récurrente, à une levée de boucliers et à d’interminables polémiques sur le moindre fait évoqué de notre histoire récente.


Ce qui fait que l’Algérien d’aujourd’hui se retrouve déboussolé sur son passé, surtout que les historiens, les hommes politiques et même les acteurs de notre Révolution ne sont pas tout le temps d’accord sur certains feuilletons historiques, notamment sur le mérite des uns et la défection — pour ne pas dire la trahison — des autres dans leur engagement pour la libération du pays.


Ainsi n’est-il pas étonnant d’assister, dans ce climat de désaccord et de déchirement autour des questions de mémoire, à des scènes ou à des actions pour le moins insolites et hilarantes, telles que la publication, voire la promotion, dans l’Algérie de 2017, de livres réhabilitant des personnages ayant servi comme vassaux et harkis dans les rangs de l’ex-puissance coloniale. Si l’Algérien peut difficilement admettre la réhabilitation de certaines personnalités controversées comme Messali Hadj, considéré naguère comme un traître, il ne saura toutefois comprendre que des auteurs aux convictions révisionnistes — et qui ne sont pas au demeurant des spécialistes en histoire — soient invités sur des plateaux d’une télévision publique pour soi-disant revisiter l’histoire et rendre hommage à des criminels notoires que la mémoire populaire et l’histoire ont condamnés à jamais. Privilège dont n’ont pas bénéficié paradoxalement d’autres auteurs qui, pourtant, ont fait des livres pour relater le parcours des héros de la Révolution de premier ordre.


Les pourfendeurs d’hier se sont transformés aujourd’hui en promoteurs pour disculper traîtres et collaborateurs au nom d’une idée aussi farfelue qu’angélique : «Ni héros ni traître. Seul l’héroïsme du peuple est à reconnaître.» Ce spectacle aussi tragique que comique ne peut engendrer que confusion et cacophonie et retarder le consensus tant souhaité autour de notre Histoire nationale.


Un consensus qui ne peut, du reste, être encore différé surtout que le contexte d’aujourd’hui est favorable à l’effritement des consciences collectives et, par conséquent, à l’éclatement des nations. Il est donc urgent de créer les conditions démocratiques nécessaires pour arriver à une entente à même d’assurer la transmission d’un legs aux jeunes générations qui, faut-il le noter, se retrouvent aujourd’hui désorientées, ignorant pour la plupart les repères historiques qui ont fondé leur Etat-nation.


Le danger est bien réel car lorsque l’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne peut alors que naviguer à vue en s’exposant à tous les périls et à tous les tourbillons qui pourraient nous mener droit vers le reniement et le révisionnisme.


Mais ce qui reste gravissime dans toutes ces histoires de réhabilitation et de reniement, ce n’est pas tant cette volonté des uns à vouloir, pour des considérations familiales ou régionalistes, laver l’affront de certaines personnalités déterrées de l’histoire, mais plutôt cette ingratitude et ce renoncement à défendre la mémoire de ceux qui ont bel et bien fait l’histoire glorieuse du pays, au prix du sacrifice suprême. Notre héros national Didouche Mourad se retournera, sans doute, dans sa tombe en raison de notre indifférence à réagir aux contrecoups que subissent, depuis quelque temps, certains symboles de notre Révolution.


Des symboles dont on devait normalement immortaliser le nom et perpétuer le serment. Ce qui n’est pas toujours le cas, notamment pour l’un des héros de la révolution de Novembre, en l’occurrence Si El Haouès. En effet, et depuis quelque temps, nous assistons à des actions, ou plutôt à des mesquineries, pour effacer le nom de ce colonel hors pair de la mémoire collective. Tout a commencé en 2015 à Tkout (daïra située au sud-est du chef-lieu de la wilaya de Batna), où des jeunes voulurent ériger une statue en hommage au défunt martyr.


Cette initiative a été vite capotée, semble-t-il, par les autorités et la kasma locale des moudjahidine pour des raisons inexpliquées. Cet acte serait peut-être considéré comme un fait isolé ou une maladresse, si seulement l’on n’avait pas récidivé, encore une fois cette année, pour détourner le projet de baptiser l’université de Batna II du nom de Si El Haouès pour celui de Ou Boulaïd (Ben Boulaïd).


Il faut noter ici que cette importante structure de savoir devait porter initialement le nom du premier. Pourquoi donc cette volte-face qui a provoqué l’ire de l’opinion aurésienne en créant indignation et fitna ? Et pourquoi tant d’ingratitude à l’égard d’un homme dont le nom n’a jamais, du reste, été porté sur les enseignes des grandes réalisations nationales ? Et même si tout le monde en Algérie admet et reconnaît le prestige et la grandeur sans pareil du père de la Révolution, en l’occurrence Si Mostapha qui mérite que l’on baptise de son nom, non pas une simple université, mais toute une ville «Ou Boulaïd-grade», il n’en demeure pas moins que ce revirement de dernière minute est aussi indécent qu’inacceptable.


Tous les anciens maquisards que nous avons eu à rencontrer récemment déplorent ce geste qui sème la zizanie et la fitna. Si El Haouès, selon eux, mérite plus d’égard et de considération, tant l’homme était aussi d’un engagement sans faille et d’un dévouement exceptionnel pour libérer le pays. Mais qui est Si El Haouès et pourquoi est-il victime, volontairement ou par inadvertance, de tant de dénégation et d’ingratitude ? Pour répondre à cette interrogation, nous reviendrons ici sur la vie d’un homme pas comme les autres, en retraçant son parcours et en relatant notamment certains faits méconnus du grand public.


Si El Haouès, de son vrai nom Hamouda Ahmed Ben Abderrazak, est né en 1923 à Himsounine (M’chounèche), une localité située au sud des Aurès, précisément au pied du prestigieux massif d’Ahmar Khaddou. Cette localité qui longe également la belle vallée d’Ighzer Amellal est aujourd’hui une daïra relevant de la wilaya de Biskra.


Issu d’une famille relativement aisée par rapport à la misère qui régnait à l’époque, le jeune Ahmed s’engagea, dès les années quarante, dans l’activité politique au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Sa générosité, son intelligence et surtout sa détermination ont fait de lui un personnage incontournable au sein des instances locales du parti. Très vite, il devint membre de l’OS et premier responsable de la kasma de M’chounèche. Malgré sa petite corpulence, Si Hmed ou Abderrazak, comme aimaient l’appeler les gens de son village, débordait d’énergie, se déplaçant continuellement d’un douar à un autre pour sensibiliser et structurer le parti dans toute la région de l’Ahmar Khaddou. Ses déplacements fréquents et ses capacités à parcourir des dizaines de kilomètres en une journée lui ont valu son nom de guerre «Si El Haouès». Grâce à cet activisme, la région était, dès les premières années de 1950, fin prête pour la lutte armée. D’ailleurs, ses compagnons tels que Brahim Djimaoui, Brahim Azeroual, Ammar Chahdi, Brahim Guettouchi, Mohamed Athmani s’impatientaient déjà de passer à l’action. Et quand le moment vint au premier novembre 1954, ce sont naturellement les groupes de M’chounèche et d’Ighzer Amellal, composés de 35 maquisards, qui allumèrent le feu au chef-lieu de la wilaya de Biskra. Le déclenchement de la révolution était une réussite et la zone de l’Ahmar Khaddou, à l’instar de toutes les régions des Aurès, connut, durant les mois qui suivirent, un embrasement total. Il convient de marquer ici une halte pour essayer de répondre à une question majeure qui a longtemps taraudé l’esprit des historiens. Si tout le monde reconnaît que le système colonial, fait d’injustices et de privations des droits du peuple algérien, est la principale cause du déclenchement de la Révolution de 1954, comment expliquer cependant que le coup est parti des Aurès, une contrée qui compte le moins de colons par rapport aux autres régions du pays ?


Mohamed Chérif Abdeslam, l’un des rares maquisards toujours en vie qui a participé aux opérations de la Toussaint, estime qu’il faut revenir à l’histoire des Aurès pour répondre à cette question. «La saga de Messaoud Ou Zelmad(1), nous dit-il, était toujours vivace dans l’esprit de notre génération, et notre région a été toujours réfractaire et rebelle à toute occupation étrangère.»


En effet, la France, depuis sa présence dans la région, n’a jamais connu de répit. En témoignent la bataille de M’chounèche en 1844, les insurrections de Si Saddek Ou Lhadj (1859) et de Mohand Ameziane Ou Djarallah (1879) et, plus récemment, la révolte, dans les années 1920, des bandits d’honneur sous la houlette du très légendaire Ou Zelmad.


L’Aurésien n’a donc jamais perdu de sa fibre patriotique ni de sa dynamique révolutionnaire. Il était donc dans la nature des choses que sa région soit au rendez-vous, notamment dans la zone de l’Ahmar Khaddou d’où sont issus tous ces résistants.


Ni la visite de François Mitterrand — ministre de l’Intérieur à l’époque — le 29 novembre 1954 à M’chounèche ni les renforts envoyés dans la région n’ont eu raison de la détermination des premiers maquisards qui multipliaient attentats et actes de sabotage, défiant ainsi toute l’armada française déployée.


En cette période, Si El Haouès n’a pas encore pris le maquis. Il a été chargé, semble-t-il, par les responsables d’une mission en France. Le but étant de collecter des fonds et de faire la propagande pour le FLN au sein de notre communauté établie à l’étranger. D’aucuns assignent même un autre objectif à ce déplacement. Si El Haouès aurait été chargé secrètement par Ben Boulaïd de recontacter et reprendre langue avec Messali Hadj dans l’espoir de le faire rallier, ou, le cas échéant, apporter son soutien à cette révolution naissante.


M. Abdeslam n’exclut pas cette hypothèse importante que les historiens doivent un jour vérifier et élucider, puisque il a été témoin d’une rencontre entre Si Mostapha et Si El Haouès le 12 novembre 1954, soit à quelques jours de son départ en France.


Après son retour, il n’hésita pas à prendre le maquis au printemps 1955 avec une somme de 5 millions de FF et une grande quantité de tenues militaires. Durant cette période, la donne a changé dans les Aurès puisque Si Mostafa a été arrêté et emprisonné au pénitencier de Coudiat, à Constantine. Ce qui n’était pas à même d’arranger les choses pour le futur colonel de la Wilaya VI, puisque, suspecté de messalisme, Adjel Adjoul et même Omar Ben Boulaïd voulurent coûte que coûte le liquider.


En fait, ces deux grands responsables qui se disputaient le leadership dans la Wilaya I voulaient se débarrasser d’un élément trop encombrant, surtout que l’homme était, selon le moudjahid Sadek Athmani, «un fin politicien doué d’une grande intelligence».


Heureusement qu’est intervenue l’évasion de Ben Boulaïd en novembre 1955. Le retour du père dans la famille a refroidi les ardeurs et empêché d’autres tueries fratricides. Il renouvela sa confiance à Si Hmed et le reconduisit dans son poste de responsable du secteur 3 de M’chounèche qui s’étend jusqu’aux confins de Boussaâda.


Désormais, le fennec du désert a les coudées franches. Il organisa ainsi son secteur et se lança dans une guerre totale, en multipliant embuscades et attaques contre l’ennemi. Il donna du fil à retordre à l’armée française, à tel point que l’on décida de déployer des centaines de militaires pour le neutraliser. Selon M. Athmani, le nombre d’effectifs mobilisés à M’chounèche pourrait dépasser largement les 3000 soldats car «ils étaient composés, dit-il, de paras français, de supplétifs marocains et sénégalais, de groupes mobiles de police rurale (GMPR) et de harkis».


Tous ces efforts pour pacifier l’Ahmar Khaddou se sont révélés vains, et on prit alors la décision de regrouper toutes les populations de cette zone dans un camp pour isoler les moudjahidine et les priver du soutien des villageois. Selon le Dr Khiati(2), le premier camp de regroupement à l’échelle nationale a été en effet installé en 1955 dans la région de M’chounèche, précisément au douar de Loulach, situé à quelques kilomètres du chef-lieu de daïra.


Toutes ces exactions n’ont guère fait fléchir l’homme que fut Si El Haouès. Il était en effet d’un engagement indéfectible, prêt à tous les sacrifices. On raconte même qu’en 1957, il réunit les groupes de l’Ahmar Khaddou et donna ordre pour lancer des attaques sur le chef-lieu de Himsounine, en utilisant toutes sortes d’armes, y compris les 6 mortiers Hawn que venait de récupérer l’ALN à l’époque.


Le but de cette opération était de percer le siège et de permettre ainsi l’acheminement des provisions aux maquisards. L’idée semblait insensée puisque les chefs de groupe nourrissaient des craintes quant à l’utilisation de ce genre d’armes. Il y avait risque que ces attaques entraînent des dommages collatéraux parmi les populations civiles ; et l’on chargea, alors, un vieux maquisard dénommé Lakhdar Ou Laâla de lui parler en vue d’annuler cette opération- suicide. Ce dernier essaya par tous les moyens de l’en dissuader, en allant même jusqu’à lui dire : «Il y a risque d’attenter à la vie des populations ainsi qu’à celle de vos propres enfants.»


La réaction de Si El Haouès était cinglante. «Dans ce cas, répond-il, commencez alors les tirs par Erremel (nom du quartier où résidait sa propre famille)», avant de lancer ces deux phrases à l’adresse des chefs présents : «Depuis que j’ai commencé à militer, je ne fais plus la distinction entre le salé et le sucré. Pour Dieu, le pays et la révolution, je suis prêt à sacrifier l’honneur de ma femme.»

Si El Haouès et Amirouche : deux hommes, un seul tempérament


Si El Haouès n’était pas de ceux qui préféraient se retrancher dans leur zone. Il se considérait comme investi d’une mission nationale et se déplaçait ainsi partout, y compris en dehors de sa wilaya. C’est ainsi par exemple qu’il se rendit en Kabylie avec une délégation aurésienne pour rencontrer Amirouche le mois de janvier 1957. Les retrouvailles entre les deux hommes (puisque l’on présume qu’ils se sont connus en France avant le déclenchement de la Révolution) ne peuvent sceller qu’amitié et alliance.


Cette entente était, somme toute, naturelle puisque, hormis le physique, les deux hommes partageaient tout : un dévouement absolu pour la Révolution, un sens aigu de l’organisation, une nécessité d’unifier les rangs pour mener une lutte contre les traîtres et les réactionnaires, notamment ceux du MNA, et surtout une fermeté implacable dans la gestion des maquis.


Si El Haouès était, en effet, un dur autant qu’Amirouche. Il ne s’embarrassait pas, raconte-t-on, à dégainer son pistolet légendaire lorsque ses ordres ne sont pas exécutés.


En plus de ces qualités, le fils de Timsunin(3) se caractérisait par le fait qu’il était au-dessus de tout régionalisme, de tout clanisme, de tout ethnocentrisme grégaire. Seuls la compétence et l’engagement primaient pour lui. D’ailleurs, lorsqu’il a été promu en avril 1958 colonel commandant de la Wilaya VI, il s’est entouré d’hommes venus de divers horizons. Dans son état-major, on trouve ainsi des arabophones, des Aurésiens et même des Kabyles.


L’officier supérieur qu’il est devenu et ses nouvelles missions de premier responsable au Sahara commandaient plus d’énergie, puisque la zone dont il avait la charge désormais est la plus grande, mais aussi la plus difficile des 6 wilayas historiques.


Elle était infestée d’éléments messalistes et son relief géographique ne se prêtait guère à la guérilla que menait l’ALN dans sa guerre contre les forces françaises. Il fallait réorganiser ce territoire immense, sensibiliser les djounoud sur le bien-fondé des résolutions du Congrès de la Soummam et surtout étendre la Révolution jusqu’au grand Sud.


Parallèlement, il donna instruction sur instruction pour continuer à harceler, sans relâche, l’ennemi, notamment dans le Sud, et ce, dans le but de mettre en échec les velléités françaises tendant, à l’époque, à manœuvrer pour partager le pays en vue de s’approprier le riche Sahara algérien.


L’engagement du colonel Si El Haouès à la Révolution était total. D’ailleurs, il n’a jamais essayé de revoir ses enfants tout au long des années passées au maquis. On dirait qu’il était né pour la Révolution, et seule la mort donc pouvait mettre fin à la mission que s’était donnée cet homme exceptionnel. Et c’est ce qui se produisit, en effet, un jour du 29 mars de l’année 1959 dans la région de Boussaâda, lorsqu’il est tombé au champ d’honneur en compagnie de son ami et compagnon d’arme, Amirouche.


Si l’on ne peut développer ici les circonstances de la mort des deux héros, lesquelles ont, au demeurant, suscité autant de commentaires et de polémiques, il n’en reste pas moins que le sort qui leur a été réservé après l’indépendance est aussi criminel que condamnable.


En effet, affliger une deuxième mort aux plus prestigieux des colonels de l’ALN en séquestrant leurs ossements dans la cave du siège de la Gendarmerie nationale à Alger est, on ne peut plus, un acte abominable.


Tous les anciens maquisards que nous avons interrogés sur la question sont unanimes à déplorer et à condamner ce crime impardonnable. Le moudjahid Athmani, tout peiné, refuse même de croire à cette histoire de séquestration, «tant cette scène, nous dit-il, est aussi invraisemblable qu’hitchcockienne».


Il regrette également d’autres griefs que l’on porte injustement aujourd’hui à Si El Haouès, comme par exemple sa prétendue appartenance au messalisme ou sa position jugée quelque peu négative quant aux questions linguistiques.
Cette étiquette de messaliste est, selon M. Abdeslam, fausse surtout que «c’est lui, Si El Haouès, nous dit-il, qui a livré une lutte sans merci aux éléments du MNA, notamment dans les maquis d’Ouled Djellal et Boussaâda». Et quand bien même fut-il messaliste avant novembre 1954, est-ce là une attitude à blâmer ou un désengagement de sa part pour la lutte armée ?


D’ailleurs, des hauts responsables au sein même du CEE sont restés messalistes jusqu’à la veille du déclenchement de la Révolution.


Quant à la question linguistique, il convient d’être prudent ici dans nos jugements, surtout, comme disait l’historienne Ouanassa Siari, «les modalités du militantisme en temps de paix diffèrent de celles qui s’inscrivent en temps de guerre et de violence».(4)


A ce sujet, la jeunesse de Himsounine, acquise depuis les années 1970 au mouvement berbère, ne comprenait pas que le héros du village ait interdit aux moudjahidine aurésiens de communiquer en berbère aux maquis.


Le moudjahid Athmani confirme cette interdiction, précisant toutefois «qu’entre Chaouis, on parlait librement notre langue. Ce qui était interdit plutôt c’était de communiquer en berbère en présence de nos compagnons arabophones qui ne comprenaient pas cette langue», témoigne-t-il. Pour Si El Haouès qui était vraisemblablement traumatisé par toutes les dissensions qui ont plongé dans le chaos la Wilaya I après la mort du très charismatique Mostefa Ou Boulaïd, l’unité des rangs était un impératif, une priorité dans le contexte de l’époque, quitte à sacrifier sa famille et à se renier soi-même.


Quant à l’ingratitude et le peu de considération dont il est victime aujourd’hui, les moudjahidine et les villageois, qui ont eu à connaître l’homme, sont catégoriques : le colonel Si El Haouès ne se retournerait point dans sa tombe puisqu’il n’appartient ni à l’histoire officielle ou politique ni à l’histoire régionaliste ou clanique. Il appartient à cette histoire sans qualificatifs qui n’est pas encore écrite.

Salim Guettouchi

NOTES :
1) Messaoud Ben Zelmad (1894-1921) est le chef des bandits d’honneur qui se sont révoltés contre l’administration coloniale dans les années 1920.
2) Mostefa Khiati, Les camps de regroupement en Algérie durant la guerre de libération (1954-1962), page 72.
3) «Timsunin» étant l’appellation originaire de la localité de M’chounèche. Selon les habitants, ce terme n’est que le pluriel de «tamsunt» qui veut dire en tamazight «paradis».
4) Ouanassa Siari Tengour, Adjel Adjoul (1922-1993) : un combat inachevé.