Aux origines de la célébration de Yennar

Parmi les fêtes populaires célébrées dans l’Afrique du nord aujourd’hui, le Yennar (Yennayer) semble bénéficier d’une attention particulière, seule fête païenne qui continue à être fêtée avec assiduité depuis des millénaires dans toute l’Afrique du nord.

Avec toutes les variantes orthographiques yennayer, yennar, ennayer, naïr, ce terme est attesté aussi bien parmi les divers parlers amazighs qu’en arabe vernaculaire nord-africain, du Tell jusqu’au territoire touareg aux confins sahariens, il marque le nouvel an agraire et coïncide avec le solstice d’hiver.

Le calendrier berbère est une survivance du calendrier julien

Il est admis chez les scientifiques que le calendrier julien fut adopté par tous les cultivateurs du Nord de l’Afrique car il offrait un cadre commode dans lequel s’inscrivaient les grandes étapes du cycle annuel de la végétation, ce calendrier a conservé, déformé par les parlers locaux, les noms latins des mois, Yennayer correspond au mois d’Ianiarius (janvier), Yebrir à Aprilis (avril), ctember à september (septembre) ou Jamber à December (décembre).

Le calendrier julien est introduit par Jules César en -46 pour remplacer le calendrier romain. L’année julienne compte 365,25 jours lesquels se décomposent en 12 mois de 28, 30 et 31 jours, ainsi qu’un jour intercalaire tous les 4 ans (année bissextile).

Il constitue la base de ce qui est aujourd’hui connu comme “calendrier universel” ou “calendrier grégorien”, né d’une réforme de ce calendrier julien par le pape Gregoire XIII, le 4 octobre 1582.

Le calendrier berbère et le roi Chachnaq

Nous accueillerons dans quelques jours l’année 2964 du calendrier berbère, elle correspond à l’année 2014, mais pourquoi cette référence de 950 ans ? Cette question a fait l’objet de moult spéculations.

Si le calendrier amazigh paraît plus ancien que le calendrier universel, sa création n’en est pas moins récente, elle remonte à l’année 1980 et on la doit au grand militant chaoui Ammar Negadi. À l’image de l’ère chrétienne qui commence à partir de la naissance du Christ et le calendrier musulman (de l’hégire) qui a pour point de départ l’exil du prophète de la Mecque vers l’oasis de Médine, il fallait au concepteur du calendrier amazigh trouver un évènement marquant dans l’histoire du peuple amazigh, un fait historique incontestable pour en faire le point zéro du calendrier, son choix est porté tout naturellement sur l’an 950 avant Jésus-Christ et qui correspond à la date où le roi berbère Chachnaq 1er (orthographié également Chichnaq, Chichneq, Sheshonq …) fût intronisé pharaon d’Egypte et fonda la XXIIème dynastie qui régna sur l’Égypte jusqu’à l’an 715 av. J-C . Ce roi berbère avait réussit à unifier l’Egypte pour ensuite envahir la Palestine. On dit de lui qu’il s’empara des trésors du temple de Salomon à Jérusalem. Cette date est mentionnée dans la Bible et constitue par-là-même, la première date de l’histoire berbère sur un support écrit.

Après avoir trouvé la date/repère de l’ère berbère, Ammar Negadi s’attaqua à la conception du calendrier qu’il publiera en 1980 par son association Tediut n Aghrif Amazigh (Union du Peuple Amazigh -UPA-), il écrira : « Le calendrier, très simple et très modeste, à la mesure de nos moyens à ce moment-là, se présentait de la façon suivante : il était à la fois manuscrit et dactylographié, au format 30 x 42 cm, en son centre, sur les ¾ du haut il représentait un Tergui prêt à dégainer son glaive, l’écriture et le dessin étaient en bleu indigo».

Yannayer, la fête païenne qui a vaincu le clergé chrétien et musulman

Excepté Jean Servier qui voyait dans le calendrier berbère une influence copte, tous les autres spécialistes sont presque unanimes pour faire le lien entre Yannayer et le « Ianiarius » romain, mois dédié au dieu Janus, divinité des seuils, Ianiarius symbolise le renouveau, cette fête du Nouvel An romain est également appelée “calendes de Janvier’’.

Il existe plusieurs preuves attestant que cette fête des “calendes de Janvier’’ était célébré dans l’Afrique du nord au grand dam des hommes de religion aussi bien chrétiens que musulmans qui l’ont combattue sans relâche. Le premier à le faire fut Tertullien (env. 150 – env. 230) de souche africaine né et mort à Carthage, ce rigoureux Père de l’Eglise s’indigna contre les réjouissances qui ont lieu chaque année à Carthage pour célébrer les calendes de Janvier, la plupart des Chrétiens écrit-il, ’’se sont persuadé qu’il était pardonnable d’agir comme les païens (…) Etait-ce en célébrant les saturnales et les kalendes de janvier qu’il [l’Apôtre] plaisait aux hommes? (…) [Il] est interdit de suivre les superstitions païennes…’’. Un siècle et demi plus tard c’est Saint Augustin d’Hippone (354-430) qui fustigera le Ianiarius dans son célèbre ‘’ De Civitate Dei contra paganos’’ (La Cité de Dieu contre les païens).

Après les admonestations des prédicateurs chrétiens qui n’eurent qu’un médiocre succès auprès de leurs ouailles, au Moyen-âge c’est autour des prédicateurs musulmans d’interdire aux fidèles de participer à cette fête des « polythéistes » (moch’rikin), Muhammad ibn Waddah al-Qurtubi (mort en 900 à Cordoue) fut le premier auteur à condamner la pratique des célébrations du Nouvel An comme contraire à l’Islam dans son ouvrage Al-Bida’ wa’l-Nahiy ‘anhaa, premier livre spécifiquement écrit par un savant musulman contre la bid’a (hérésie, l’innovation en religion). Un autre le docteur religieux malekite Abu Bakr Muhammad al Turtusi (1059-1126), citera Yennayer dans un ouvrage contre les nouveautés et les innovations en religion intitulé Kitab al hawadit wa-l bida .

Le Mouloud pour concurrencer Yennayer

En 1250 un cadi musulman Abu al Abbas al-Azafi et son fils fondèrent une brève émirat dans la ville de Ceuta (nord du Maroc actuel), à l’aide d’un ouvrage ‘’Adurr ’’ils mirent en garde leur sujet contre les ‘’nouveautés” (muhdathat al-umur) qui font sortir les Musulmans d’Afrique du Nord du sentier tracé par “les pieux anciens” (salaf al-muslimin), à savoir le prophète Muhammad et ses compagnons, qu’il convient d’imiter en tous points. Parmi ces dernières, les al-Azafi distinguent tout particulièrement “l’anniversaire de Jésus [Noël] (…) et al- Yannayr, sept jours plus tard”, Al Azafi et son fils allèrent jusqu’à introduire une nouvelle fête en Afrique du Nord, une fête musulmane qui serait certes une innovation, mais non blâmable : la célébration de l’anniversaire du prophète Muhammad, dite “Mouloud”. Al Azafi pense qu’en célébrant le Mouloud, les Musulmans pourront assouvir leurs désirs de rituels festifs sans déroger aux principes de la religion islamique. Cette fête, déjà connue à l’époque en Syrie et en Egypte, ne semblait pas pratiquée en Afrique du Nord.

Les Berbères ont adopté depuis la fête du Mouloud sans pour autant renoncer à leur Yennayer qu’ils ont continué à fêter chaque année avec une assiduité sans cesse renouvelée que ni les prêtres de l’église, encore moins les docteurs musulmans ont réussi à les en détourné, prouvant ainsi leur attachement viscéral à leur identité qu’ils ont réussi à préserver à travers les siècles malgré toutes les invasions et les influences.

 

Bibliographie

– Encyclopédie berbère, Calendrier, E.B., M. Gast et J. Delheur.
– “S H E S H N A Q et le calendrier Amazigh” Ammar Negadi , aureschaouia.free.fr.
– Drouin Jeannine. “Calendriers berbères”, Etudes berbères et chamito-sémitiques.
– “Les Portes de l’année : Rites et symboles, l’Algérie dans la tradition méditerranéenne”, Jean Servier (1962).
– “Yennayer en Afrique du nord : histoire d’un mot”, Yidir Plantade , Tamazgha.fr.
– “La femme chaouia de l’Aurès: étude de sociologie berbère” Gaudry Mathéa.