La danse des femmes chaouies , noblesse et authenticité

La danse des femmes de l’Aurès , écrit Mathéa Gaudry , est un pas rythmé , une suite d’attitude nobles et savantes ; elle a le caractère d’une danse rituelle .
Cette danse chaouie fut sans doute liée à quelques croyances religieuse en rapport avec la fécondité ou le monde surnaturel avant que ses codes n’évoluent avec  de la société chaouie .

Mathéa Gaudry qui avait observé plusieurs fêtes de mariage chez les Aïth Abdi dans les années 1920, en a fait une description fort détaillée :
«  les danses ont eu lieu dans la cour d’une maison, sur une place du village, ou dans tout autre lieu consacrer par l’habitude : au pied d’un arbre par exemple.
« Les hommes forment un cercle, les femmes restent sur les terrasses ou se groupe entre elle, les musiciens, généralement au nombre de trois ou quatre , s’installent sur des nattes : ils jouent tâjoûâqt* , de la zorna et de l’abendir** ; les danseuses attendent leur tour au milieu des autres aurasiennes .

Mariage à Tagoust , photo prise par Germaine Tillon

« les flûtes préludent à l’unisson, sur un mode mineur , l’abendir les accompagne ; soudain une danseuse vient  se placer au milieu du cercle ; elle va danser . Toute droite, les yeux baissée, le visage grave , elle avance à petit pas toujours du pied droit , que seul on aperçoit sous ses robes longues , avec un obligatoire , mais très léger , fléchissement des genoux , son tâjdidh rejeté en arrière sur le dos . Une main puis l’autre, ou deux en même temps, soulèvent lentement le pan du alhaf , étendus comme l’aile , claire ou sombre d’un grand oiseau , puis l’étoffe retombe , avec une imperceptible secousse des  l’épaules .  Parfois la femme passe le bord du alhaf sur ses lèvres et le rejette ou déploie son tâjdidh sur le côté, la tête légèrement tournée, accompagne ce mouvement.
La danseuse avance lentement, par saccade, au rythme de l’abendir , accentué par les battements de mains des hommes . Souvent elle s’arrête, se baisse et, tour à tour , arrange , posément , un akhelkhâl , puis l’autre , attendant la mesure sur laquelle elle veut repartir . Ce geste répété s’explique par la nécessité de remettre en place les anneaux qui , enchevêtrés les uns dans les autres , ne peuvent plus accompagnée les zorna de leur cliquetis sonore . La danse obéit, en effet, à un double rythme, celui des tombeurs soutenu par les battements des mains des hommes, et celui des flûtes cadencée par le bruit des annaux d’argents.
« La danseuse avance toujours ; un mouvement de torse, à peine saisissable, fait parfois frissonner son alhaf , son visage reste impénétrable . Elle frôle les spectateurs, traînant derrière elle un lourd parfum de musc et de benjoin, puis recule, du pied gauche, accompagnant sa marche des même gestes ébauchés. A cette marche lente, se mêlent de léger renversement du buste en avant ou en arrière.

Photo pris par M.Rigal L’administrateur d’Arris

« La zorna et l’abendir , qui ont préludé faiblement , enflent graduellement leur sons . Les hommes s’exaltent : les uns tendent la main vers la Taazrith*** et plaquent sur elle une pièce d’argent ou glissent un billet dans les plis de son turban, les autres l’interpellent et déchargent leur fusils en l’air, ou par terre, à ses pieds . Pas un mouvement n’anime les traits de la femme, elle garde un aspect hiératique. Rien n’est saisissant que le contraste entre son impassibilité et l’enthousiasme de la foule. Un jour, nous vîmes un sourire affleurer sur les lèvres d’une jeune Taazrith ; vite elle le réprima et repris son visage fermé .
« Deux , trois ou quatre femmes peuvent danser en même temps , bien qu’évoluant toujours séparément , elles accomplissent , au même moment , le même geste , avancent , reculent, exécutent des volte-face lentes , se renversent légèrement en arrière , se font face , se tournent le dos , changent de place , celle de droite passant à gauche et réciproquement , avec un ensemble , un aspect du rythme , une science des mouvements décomposés absolument impeccables , mais toujours avec la même affectation de froideur » .

 Jugurtha Hanachi

*tâjoûâqt/ ajouaq = flûte
**
Abendir : bendir ,tambourin  .
***
Taazrith (Azriya en arabe ) : danseuse et courtisane

Note :
[1] Mathéa Gaudry. La femme Chaouia de l’Aurès,1929 .
Danseuses chaouie , photo prise par Thérèse Rivière