la fable de Bech-Kerker et l’ogre

La tradition chaouie compte des centaines de contes et de légendes. Jadis transmises jalousement par les grand-mères à leurs petits enfants, ce patrimoine tombe peu à peu dans l’oubli. La fable de Bech-Kerker est incontestablement l’une des plus populaires dans le pays chaoui.

S tcawith Bec-kerker d lɣul(1)

Argaz, deg suggwasen iɛeddan, qqaren-as « Bec Kerker » yeqqim di texxamt nnes, ixemmem yenna : «adečča(2) ad rgeɣ(3) ad hewwseɣ di lɣabet. Yerfed taqebbadt(4) (taclut), yiga dis(5) tamellalt, yerni dis aɣerḍa(6) yig-it seddwe-s, yugur(7). Yexled lɣabet, yufa ifri d ameqqwran.Yudef, yufa di-s lɣul(8) yenna-s : “Mand wa d cek ? (9) “yenna-s : « necc d lɣul ». .

– Matta tettegged deg ifri-ay(10) ? yenn-as Bec-Kerker.
– Ttawiɣ-d yudan, tetteɣhen (11)deg ifri ay. ɛedda ad teẓreḍ matta yellan, yenna lɣul. Iɛedda yufa iɛlawen(12), tijbibin(13), tikebsin(14), irukas(15), ibukaryen(16)… Yenna-s lɣul : « Qim ad nili d imeddukal,ur ac-tetteɣ-c »(17). Tnan d imeddukal. Itawin d ifunasen d wulli, tetten-hent. Ass seg ussan, wwin-d afunas, ɣerṣen-as, ssemwen-t(18).

Yenna-s lɣul : « Bec-Kerker, ugur a w’aneɣ-d (awi-aneɣ-d) iṣɣaṛen(19) ad nessemw aksum ! Yugur, Bec-Kerker, deg ixleḍ lɣabet, ixemmem yenna : ma wwiɣ-d qičč(20) n iṣɣaṛen ay yečč lɣul ! yewwi-d ari(21), yellem taḍeṛṣa(22) d tazegrart,yeqqen-it deg yexfawen n taydiwin(23), yeqqim lɣul yetraja(24), ald annak(25), ur d-yusi-c, idefṛ-it(26) ɣer lɣabet, yuf-it yeqqen taḍeṛṣa deg ixfawen n taydiwin. yenn-as Lɣul :
-« Matta tetsawid cek a Bec-Kerker, necc tṛajiɣ di-k ? ».

– Bec-Kerker : « Ma wwiɣ -d qičč n yesɣaṣen, drusen. Xsey ad kerkreɣ lɣabet(27). Yekker lɣul yutha tayda s uḍar nnes, yessudu-t(28) ». Irefd-it f yiri nnes, yenna-s : «aya-d-nadef a Bec-Kerker, tayda-ya tɛerrem aneɣ. Adečča din(29) », yenna-s lɣul : « agem-aneɣ-d aman(30) dug yeddid(31) n ufunas ». Irefd- it Bec-kerker, yexled ɣer titt n waman, ixemmem yenna : « ur zmireɣ(32)ad refdeɣ ayeddid n ufunas, ad ɣzeɣ(33) targa(34) (aylan) ɣer yefri ». Iṛaja-t lɣul. Ald annak yebdu(35) yusi-d yer-s, yufî-t yeqqaz. -Lɣul : « Matta tettegged ? »

– Bec-Kerker : ad-uɛiy targa ɣer yefri ayeddid u ɣen- itɛerrem-c ! yekker lɣul yugem- d ayeddid, irefd-it, yenna-s : « aya-d nrewweḥ ! Iḍ seg iḍan, zeɣɣlen ɣer lɛafit(36), yegra lɣul fus nnes seddwe-s, yejbedd tillit (hillit)( 7) ald annak tezwer(38) lwehr(39) n tḥebbut n teyeni(40)

yenna Bec-kerker :
– « Matta widin a lɣul ». Yenna-s lyul :
– « d tillit inu ! ». Yenna-s « Bec-Kerker » : Ahd a nečč-d jebdeɣ(41) tillit inu! ». Yutha fus nnes di tqebbaḍt, yejbed-d aɣerda. Yenna-s i lɣul : « hatta tillit inu ! » Yeqqel di-s lɣul ald annak s imejjan(42) nnes, s ulleqqaḍ(43), s idarren, s uzaw(44) s yimi, s tiṭṭawin nnes.

-Lɣul : d tay d tillit nnek ?
– Bec-Kerker : « D tay d nettat. Ig ḍaḍ nnek d gmi nnes ». Lɣul yiga ḍaḍ nnes, aɣeṛḍa iderm-it(45) ; yekker lɣul yerfed aḥdir(46) si tmurt. Iludd-it jar n iḍuḍan nnes(47) iwella d aren(48). Yenna-s Bec-kerKer : « Ad jebdeɣ aḥdir u a t uɛiɣ d aman ! » Yuta fus nnes di tqebbaḍt, yejbed-d tamellalt, iludd-it s ufus nnes, terrez, twella d aman. Lɣul yenna :

– « A Bec-Kerker aya ad nemmeɣḍal(49) ! » Mmexraden Lɣul yerfed Bec-Kerker, iẓeyeṛ-it, ald i dergen-t tiṭṭawin nnes.
– Lɣul : « Rniɣ-c a Bec-kerker, iberriqen nnek rgen-d(50) ».
– Bec-Kerker : « Araḥ, a nečč d teqleɣ manti d ithri an ac teyceɣ ! »(51). Lɣul yeggwed yellef-as(52), yenn-as : « A Bec-Kerker, adečča, akk yict ssineɣ ad yuth tikti s ugelzim(53)di tmurt, mand wa-h ad yessergen alli(54) n tmurt! Deg iḍ, Bec-Keker, yeɣza tagerbujt(55), yeffer di-s tageccult(56)n waɣl, yuɛa fell-as cal(57). Adečča din, lɣul yutha tikti(58) nnes, ur ad yerg lak d qli(59).

Bec-kerker yutha, tageccult, tfelleq(60), iẓenneg-d waɣi ! »(61). Bec-Kerker yenna-s : « hatha walli n tmurt ! iḍ seg iḍan deg ifri, ibedd lɣul f iman nnes, yerḍa(62), annak am din d udem n lbaṛuḍ. Yesla-s Bec-Kerker, ibedd f iman nnes yenna-s : « Matta way yessiwlen? » yenna-s lɣul : « d nečč ag erḍin ! » Yekker Bec-Kerker : ifeḥḥej(63). Yenna-s Lɣul : « matta ha-d tiged? » Yenna-s : « nečč ad rdeɣ, u ad yaḍu fella-k yifri(64) erwel !(65) »

– Lɣul : « ur trud-c, ald ad rgeɣ ! » Yerg(66)lɣul yerwel.
– Bec-Kerker iɣewwet(67) fell-as, iwella ɣer texxamt ness, yenna : « tanemirt a Ṛebbi, seg a selkeɣ si lɣul !(68) ».

Traduction en français Bech-kerker et l’ogre :

Il y a de cela très longtemps, vivait un homme surnommé Bech-Kerker (le traînard) du fait de sa nonchalance, de son corps et de son esprit.

Un jour, Bech-Kerker décida d’aller se promener dans la forêt qui avoisinait sa demeure. Le lendemain, il prit une outre, dans laquelle il mit une souris et un œuf et s’en alla par la forêt. Il marcha longtemps, explorant les lieux, jouissant de la beauté de la nature. Au bon milieu de la forêt, il se trouva devant une grotte et, poussé par sa curiosité, il voulut l’explorer. Il y entra et se trouva nez à nez avec un individu bizarre qui l’étonna et l’effraya, à la fois, : « Qui es-tu, que fais-tu là ? lui dit-il ».

Et le personnage étrange lui répondit : « Je suis l’ogre, et j’habite cette grotte ».

Bech-Kerker demanda à l’ogre ce qu’il faisait dans cette grotte, et l’ogre qui ne finissait pas d’étonner notre promeneur lui dit quelque chose qui lé terrifia : «J’emmène dans ma grotte hommes et bêtes que je mange tranquillement, passe voir si tu veux ».

Bech-Kerker tremblant de peur, ahuri par ce qu’il venait d’entendre, s’enfonça dans la grotte au milieu d’un amas d’os, de vêtements, de chaussures, d’armes,…

Voyant et sentant la terreur qui avait envahi notre promeneur, l’ogre voulut le rassurer :

« Reste, si tu veux, avec moi, je ne te mangerai pas, nous serons amis ».

Bech-Kerker accepta la proposition. Ils vécurent ensemble, chassaient, ramenaient à leur grotte tous les animaux sur lesquelles ils tombaient. Ils vivaient donc en parfaite harmonie. Un jour qu’ils avaient ramené un bœuf qu’ils égorgèrent, dépecèrent, vidèrent, et voulurent faire cuire, ils s’aperçurent que le bois manquait. L’ogre dit alors à Bech-Kerker : « Bech-Kerker, va nous chercher un peu de bois ! » Bech-Kerker s’en alla, mais il pensait : « Si je ramenais une petite quantité de bois, l’ogre serait furieux et me mangerait ». Il eut l’idée ingénieuse de lui ramener tous les arbres de la forêt. Il arracha de l’alfa dont il fila une corde, il attacha la corde à une dizaine d’arbres qu’il voulait ramener à la grotte. Pendant qu’il réfléchissait au moyen de tirer autant d’arbres à la fois, l’ogre impatient, furieux, croyant que Bech-Kerker s’était sauvé, se mit à sa recherche. Il le trouva assis en pleine réflexion. Il lui dit : « Que fais-tu, je t’attends, où est le bois ? ».

Bech-Kerker lui répondit : « Pour cuir un bœuf, il faut une quantité énorme de bois. C’est pourquoi j’ai pensé à ramener tous ces arbres que tu vois attachés ».

Voyant l’idée stupide, aussi stupide que Bech-Kerker, l’ogre qui ne voulait pas perdre son temps abattit un arbre d’un coups de pied, le prit sur son épaule, et dit à Bech-Kerker : « Rentrons ! ». La nuit, ils eurent soif, l’ogre dit à Bech-Kerker : « Prends l’outre, va la remplir d’eau ». Bech-Kerker s’exécuta. Arrivé au bord du fleuve, il se dit : « Si je ramenais à l’ogre peu d’eau, il me mangerait et je ne pourrai jamais lui ramener une outre pleine , je dois donc trouver un moyen de m’en sortir ».

Il eut encore une idée susceptible de le sortir de cette impasse. Il décida de creuser pour détourner le cours du fleuve et le ramener jusqu’à la grotte. Il se mit à la besogne, creusant et soufflant lorsque l’ogre furieux, vint encore à sa recherche. Il lui cria de sa voix de tonnerre : « Que fais-tu encore ? ».

Bech-Kerker : « Jugeant que l’eau que contiendrait cette peau n’étancherait pas ta soif, j’ai décidé de ramener tout le fleuve jusqu’à la grotte ».

L’ogre qui n’était pas convaincu de ce que Bech-Kerker lui disait, le jugeant encore stupide, remplit l’outre, la mit sur son dos et lui dit : « Rentrons ! ».

Une nuit, pendant qu’ils veillaient devant un feu qu’ils avaient allumé, l’ogre se gratta et prit quelque chose entre ses doigts.

Bech – Kerker lui demanda : « Qu’as-tu dans ta main ? », l’ogre lui répondit : « C’est un pou » ; il était gros comme une datte. Bech-Kerker, qui n’en avait jamais vu d’aussi gros, décida d’étonner l’ogre. Il mit sa main dans son outre et en retira la souris et lui dit : « Mon pou est plus gros que le tien », en lui présentant la souris. L’ogre n’en croyait rien. Un pou avec une queue, des oreilles, des pattes, des yeux, une bouche. En regardant ce qu’il croyait être un pou, il mit son doigt dans la bouche de la souris qui le mordit.

Furieux, l’ogre prit entre ses doigts un caillou qu’il réduit en poussière. Bech-Kerker lui dit alors : « C’est tout ce que tu sais faire, moi, je vais te prendre un caillou et te le réduire en eau ». Il mit sa main dans son outre et en retira l’œuf, le pressa entre ses doigts, l’œuf se cassa, l’ogre ne croyait pas ses yeux.

Devant ces défis répétés de Bech-Kerker, l’ogre lui lança un défi que Bech-Kerker ne pouvait relever. Il lui dit :

« Battons-nous ! ». Bech-Kerker accepta.

L’ogre se saisit de lui, le prit à la gorge, Bech-Kerker est sur le point de suffoquer, voyant ses yeux exorbités, l’ogre lui dit : « Bech-Kerker, tu es vaincu ! ». Bech-Kerker lui répondit alors : « Non, je ne fais que réfléchir vers quelle étoile te propulser ».

L’ogre qui avait peur, le lâcha. Après l’avoir lâché, l’ogre lui dit : « Demain, chacun de nous doit donner un coup de pioche dans la terre si violent qu’il doit faire jaillir le cerveau du sol ».

Bech-Kerker, après avoir bien réfléchi, alla enterrer une baratte pleine de lait et revint dormir près de l’ogre.

Le lendemain, chacun prit sa pioche. L’ogre donna le premier coup de pioche. Il fit un gros trou dans le sol, mais n’en tira rien. Ce fut le tour de Bech-Kerker qui alla donner un coup de pioche sur la baratte qu’il avait enterrée. La baratte creva et le lait en jaillit. Il se retourna vers l’ogre et lui dit : «Voilà, j’ai déterré le cerveau du sol ». L’ogre s’avoua vaincu.

Une nuit, en voulant se lever, l’ogre péta et fit un bruit de tonnerre. Bech-Kerker, assourdi par ce bruit, demanda à l’ogre ce que c’était. L’ogre lui répondit : « C’est moi qui ai pété ». Bech-Kerker se leva à son tour, écarta ses jambes, et regarda l’ogre qui lui demanda : « Que veux-tu faire ? ». Bech-Kerker, mettant la frayeur de l’ogre à son avantage, lui dit : « Je vais péter aussi, mais je crains que la grotte ne nous tombe dessus. Je te conseille d’en sortir et de te tenir le plus loin possible ».

L’ogre le supplia de ne pas péter avant qu’il ne soit très loin de la grotte. Bech-Kerker lui promit, l’ogre s’éloigna. Bech-Kerker délivré du poids qui lui pesait, se dit : « Que Dieu soit loué, je suis sauvé ».

Recueilli par : Mohamed Salah Ounissi
Traduit en Français par : Abdellah Djebaïli

Amawal :
1.     Bec-Kerker est un personnage légendaire de la région des Aurés, connu aussi dans la partie est du massif aurasien sous le nom de «Ekwerrek », ce nom est purement berbère.la preuve ; c’est que d’autres animaux légendaires comme »Bec-tabb » ruminant sauvage aux grandes cornes,portent le titre(bec).« Bec-kerker » comme le signifie le terme amazigh « akerker » ; qui signifie la nonchalance, le laisser-aller, le bricolage. C’est un personnage a la fois rusé et maladroit, que le hasard seul, sauve des circonstances périlleuses. La plupart de ses aventures se déroulent avec l’orgre, personnage légendaire qui représente le mal, la méchanceté et la force.
2.     Adečča :  demain
3.     Ad rgeɣ : je sortirai
4.     Taqebbaḍt, taclut : sac en peau de chèvre.
5.     Yiga di-s : il a mis dedans
6.     Aɣerḍa : le rat
7.     Yugur : il est parti
8.     Lɣul : l’orgre
9.     Mand wa-d cek? : qui es tu?
10.     Matta tettegged deg ifri-ay : Que fais-tu dans cette grotte.
11.     Tetteɣhen : je les mange.
12.     iɛlawen : burnous.
13.     Tijbibin : gandouras
16.     Ibukaryen : fusils
17.     Ur ac tetteɣ-c : je ne te mangerai pas
18.     ɣerṣen-as, ssemwen-t : ils l’ont égorgé,et cuit
19.     Isɣaren : le bois
20.     qičč : peu
21.     Ari : alfa
22.     Taḍeṛṣa : corde en alfa
23.     Taydwin : (sing.tayda) : pins
24.     Yetṛaja : il attend
25.     Aild annak : soudain
26.     Idefr-it : il l’avait poursuit
27.     Xsey ad kerkreɣ lɣabet : Je veux traîner toute la forêt
28.     Yessudu-t : il l’a fait tomber
29.     Adečča din : le lendemain
30.     Agem aneɣ-d aman : va puiser de l’eau.
31.     Ayeddid n ufunas : outre de peau de vache
32.     Ur zmireɣ : je ne peux pas
33.     Ad ɣzeɣ : je vais creuser.
34.     Targa : seguia.
35.     Yebḍu : il s’est attardé
36.     Zeɣɣlen : ils se réchauffent
37.     Tillit : pou
38.     Tezwer : grosse
39.     Lwehṛ : de la taille de…
40.     Teyni : Dattes
41.     Ad jebdeṛ : je vais montrer
42.     Imejjan : oreilles
43.     Aleqqaḍ : queue
44.     Zaw : cheveux
45.     idermit : il l’a mordu
46.     Aḥdir : pierre
47.     Iluḍḍ-it jar n iḍuḍan nnes : il l’a pressé entre ses doigts
48.     Aren : farine
49.     Ad nemmeɣḍal : nous allons nous battre
50.     Je t’ai eu,bec-kerker ; tes yeux vont sortir.
51.     Non, je cherche a quelle étoile je vais te jeter.
52.     Yellef-as : il l’a lâhé
53.     Agelzim : pioche
54.     Alli n tmurt : le cerveau de la terre
55.     Tagerbujt : fosse
56.     Tageccult : outre de lait.
57.     Cal : terre.
58.     Tikti : un coup.
59.     Ur ad yerg lak d qli : rien n’est sorti
60.     Tageccult tfelleq : l’outre a explosé
61.      lẓenneg-d wayi : le lait a jailli.
62.     Yerḍa :il a pété. Amrud : un pét.
63.     Ifeḥḥej a écarté ses jambes.
64.     Ad yaḍu fell-ak yifri : la grotte va s’écrouler sur ta tête
65.     Erwel : sauve toi
66.     Yerg : il est sorti
67.     Iyewwet : il a crié
68.     Selkeɣ : je me suis sorti sain et sauf.