L’apparence des guerriers berbères

La civilisation berbère, composée d’une multitude de tribus, montre une grande variété de coiffures, tatouages, vêtements, couleurs, qui les distingue.

Les caractéristiques physiques

Le poète romain Lucain (39-65), dans son récit sur la guerre entre Jules César et Pompée, au Ier siècle avant notre ère, affirme que la couleur du Maure est celle des peuplades de l’Inde et que le Garamante est brûlé par le soleil (Lucain, Pharsale, IV, 670). Dans le récit des auteurs byzantins, les Maures ont plutôt le teint basané. Corripe en décrivant la chaussure de ceux-ci est explicite : « […] et leur frustre soulier maure est foulé sous leur pied noir » (Corippe, La Johannide, II, 135). Procope de Césarée dit « qu’au-delà de cette zone on retrouve des hommes, mais que, loin d’avoir la peau noire, comme les Maures, ils sont extrêmement blancs et ont des che­velures blondes » (Procope, Guerre contre les Vandales, II, 13, 29). La zone dont parle Procope est sujette à discussion. L’historien français C. Courtois pense qu’il s’agit du Sahara algérien actuel mais Philippe Muray estime plus logique qu’elle concerne la zone des chotts comprise entre l’Atlas tellien et l’Atlas saharien. Le récit de Procope signifie donc que certains berbères (?) ont une peau plus claire. L’origine de ces « ber­bères blonds » a donné lieu à de nombreuses dis­cussions entre spécialistes. Certains les considè­rent comme les descendants des guerriers germaniques (Vandales) du Ve siècle, alors que d’autres y voient une origine antérieure. Faute de sources, on ne peut affirmer que la diversité observée aujourd’hui en Kabylie dans la popula­tion, loin du stéréotype du maghrébin aux che­veux frisés et au teint basané, soit identique à celle de l’époque romaine.

Par contre, les Maures représentés sur plusieurs mosaïques confirment le récit des auteurs romains. La première, découverte en 1970 à Sétif (Sitifis) dans « le quartier du temple », représente le triomphe indien de Dionysos. Elle date proba­blement du début du IV’ siècle. Sur un droma­daire, deux captifs, les mains liées derrière le dos, ont les cheveux frisés et un teint basané. Cette représentation est très proche des prisonniers Maures représentés sur la mosaïque de Tipasa. De même, les bas-reliefs égyptiens représentent plu­tôt des guerriers au teint basané. La mosaïque de Zliten, en Libye, montre aussi des personnages (prisonniers ?) livrés à des bêtes sauvages (dam- natio ad bestias : condamnation à être exposé aux bêtes). L’historien Salvatore Aurigemma pense qu’il s’agit de prisonniers Garamantes, car ils sont représentés d’une manière totalement différente des autres personnages de la mosaïque. Ils sont complètement nus, avec des cheveux noirs, ainsi qu’une peau de couleur jaune foncé, différente des autres personnages à la peau rose. En outre, le personnage attaché au poteau, en train de se faire dévorer par une panthère, porte une petite barbe en pointe et un nez aquilin. D’ailleurs, au début du XXe siècle, Émile Laoust rapporte qu’au Maroc « des yeux bleus et des cheveux blonds ne sont pas berbères ; aussi la blonde est-elle souverainement détestée. Dire d’une femme kabyle, par exemple, qu’elle est une tazraraqt, c’est-à-dire qu’elle a les yeux bleus, c’est profondément la vexer, c’est laisser sous-entendre qu’elle est laide ». Par ailleurs, le terme maurus est la latinisation du grec mauros qui signifie « couleur sombre ».

Le Romain Élien (170-235) affirme aussi que les berbères sont maigres et secs (Élien, La personna­lité des animaux, II, 2), certainement parce qu’ils ne mangent pas toujours à leur faim. Cependant, cette remarque ne peut s’étendre à l’ensemble des berbères mais plutôt à ceux vivant dans les franges méridionales de l’Empire romain où les conditions de vie sont plus rudes. Les peuples d’Afrique du Nord sont également de petite taille : « Au moment où les deux armées allaient en venir aux mains, un Gaulois d’une énorme taille s’avança, et provoqua à un combat singulier le plus hardi des Romains. Un Mauritanien de petite sta­ture se présenta. Il tua ce Gaulois » (Appien, Guerres civiles, I, 50). Les raids menés par cer­taines tribus berbères contre les populations des cités romaines s’accompagnent de la capture de nombreux prisonniers (Synésios de Cyrène, Catastase, 1,2).

Mosaïque représentant
des berbères prisonniers
enchainés : « mosaïque
des captifs », Ier siècle apr. J.-C.
Musée de Tipaza (Tipasa),
Algérie.
© DeAgostini/Leemage.

Synésius de Cyrène précise que les femmes romaines capturées donnent ensuite naissance à des enfants « romano-berbères » favorisant ainsi le métissage : « J’ai lu, dans je ne sais plus quel historien grec, ces lignes : Les ennemis laissaient les femmes et les enfants pour attester les ravages de la guerre. Tout autre est le sort de la Pentapole. Des femmes et des enfants, n’est-ce pas un précieux butin pour les Ausuriens ? Les femmes mettront pour eux au monde des auxiliaires ; les enfants, quand ils auront grandi, iront avec eux au combat ; car nous nous attachons à ceux qui nous ont nourris plus qu’à ceux qui nous ont donné le jour. Ô douleur ! Nos fils vont accroître ces hordes étrangères ; emmenés captifs, ils seront un jour pour nous d’autres ennemis ; ils reviendront en armes contre leur patrie ; ils ravageront le champ que dans leurs premières années ils aidaient leurs pères à cultiver » (Synésios de Cyrène, Catastase, II, 3). Corippe précise aussi que « les vieillards et les hommes sont tués sur place, leurs femmes et leurs enfants sont emmenés en esclavage » (Corippe, I, 31-39).

Les coiffures

Une autre caractéristique des Berbères est leur coiffure. Sur les bas-reliefs égyptiens de la période pharaonique et sur les gravures rupestres du Sahara, ils ont souvent une longue mèche, plus ou moins épaisse, ou bien une natte, qui retombe sur l’épaule. Dans le temple d’Abou- Simbel, dédié par Ramsès II (vers 1279-vers 1213) au dieu Amon-Râ, celui-ci est représenté en train de terrasser deux guerriers libyens avec une longue mèche tombant du côté gauche. Les membres de la tribu des Maxyes, selon Hérodote au Ve siècle avant notre ère, se rasent la moitié de la tête avec une longue chevelure sur la partie res­tante (Hérodote, livre IV, 175), tandis que les Maces conservent juste une houppe de cheveux au milieu de leur crâne. Les Machlyes laissent pousser leurs cheveux sur la nuque et les Auses sur le front : « Immédiatement après les Machlyes, on trouve les Auséens. Ces deux nations habitent autour du lac Tritonis ; mais elles sont séparées par le fleuve Triton. Les Machlyes laissent croître leurs cheveux sur le derrière de la tête, et les Auséens sur le devant » (Hérodote, livre IV, 180). Ces coiffures persistent à l’époque romaine comme le montre le portrait d’un Berbère au crâne rasé avec une natte axiale, sculpté sur un pilier en schiste noir datant du milieu du IIe siècle et qui se trouvait à l’origine dans les thermes d’Antonin à Carthage ; il est aujourd’hui conservé au musée du Bardo en Tunisie. L’historien français Stéphane Gsell rap­porte que l’on observe, en Afrique du Nord, des coiffures très proches au début du XXe : « Nous constatons encore certaines modes capillaires qui rappellent la mèche ou tresse latérale des vieux Africains (Berbères). Au Maroc, les Zaïane et les Zemmour gardent une longue mèche flottante, les premiers au-dessus d’une oreille, les seconds au- dessus des deux ; ceux qui se piquent d’élégance la graissent et la tressent. De nombreux Brâber et Rifains réservent, sur le côté droit de leur tête, au-dessus ou en arrière de l’oreille, soit une touffe ébouriffée, soit une tresse qui retombe jusqu’à l’épaule. Dans d’autres tribus marocaines, les enfants seuls portent la touffe ou la tresse latérale pendante ; on leur coupe quand ils arrivent vers leur dixième année. Chez beaucoup de Berbères, non seulement au Maroc, mais aussi en Algérie et en Tunisie, cet appendice, réduit à une queue mince, occupe, non plus le côté, mais le haut du crâne. Bons musulmans, ils prétendent que c’est pour permettre à l’archange Gabriel de les enlever plus commodément au ciel, le jour du Jugement dernier ; peut-être ne font-ils que suivre une très vieille mode, attestée dans le voisinage de l’Égypte depuis cinq mille ans ». Au Maroc, la coiffure des tout-petits (filles ou garçon) est identique jusqu’à ce qu’ils soient sevrés. Ensuite, « l’habitude est de lui laisser une crête au milieu et une tresse sur le côté droit. La fillette a deux tresses semblables et une rangée de cheveux sur le devant », selon Émile Laoust. Vers l’âge de dix ans, la tête du garçon est entièrement rasée et sa tresse est précieusement conservée. Les Igliwa (Igluwwa) portent des touffes de cheveux en broussailles au-dessus des tempes. Émile Laoust pense que ces coiffures ont pour objectif d’impressionner les adversaires. Ibn-Khaldûn, dans son Histoire des Berbères, au XIVe siècle, indique aussi que les Berbères se rasent la tête de temps à autre.

Buste de Libyen découvert dans les fouilles des thermes d’Antonin de Carthage. Pilier en schiste noir. Les guerriers berbères sont rarement représentés dans l’iconographie romaine dont les coiffures sont souvent originales. Ce Libyien a le crâne rasé et une natte tressée. Musée du Bardo, Tunisie. Domaine public.

Une autre coiffure est également observée, souvent associée à des nattes, comme le souligne le géo­graphe Strabon : « Bien qu’habitant un pays géné­ralement si fertile, les Maurusii ont conservé jusqu’à présent les habitudes de la vie nomade. Mais ces habitudes n’excluent pas chez eux un goût très vif pour la parure, comme l’attestent et leurs longs che­veux tressés […] » (Strabon, XVII, 3,7). Elle est en usage dès l’époque pharaonique jusqu’à la période des influences romaines. On peut la voir sur la sta­tuette égyptienne d’un Libyen prisonnier, datant du Nouvel Empire (vers 1543-vers 1070 avant notre ère) et conservée au musée du Louvre, sur des deniers du roi berbère Juba I, ainsi que sur les cavaliers maures de la colonne de Trajan.

Monnaie de Juba Ier,
roi des Numides. Il porte une
coiffure constituée de tresses
et une barbe taillée en pointe
typiquement berbère. D. R.

Certains berbères portent des plumes sur la tête. Les bas-reliefs égyptiens représentent aussi des captifs libyens avec des plumes d’autruches dans leur chevelure. Cette pratique se perpétue sous l’Empire romain. Au I” siècle, les Nasamons, selon le rhéteur grec Dion Chrysostome (vers 30-vers 116), ont des plumes sur leur tête. Il décrit tous les peuples dont les vêtements apparaissent un peu excentrique : « Et certains, plus bizarres encore que ceux-là [les Perses, les Parthes et les Bactriens], ont l’habitude de visiter notre ville [Rome ? ] en portant des plumes dressées sur la tête, exactement comme font les Nasamons » (Dion Chrysostome, Discours, 72, 3). Au IIe siècle, Tertullien (vers 150-vers 220) fait encore allusion aux plumes des Garamantes. Au VI’ siècle, Corripe mentionne également l’usage de plumes en qualifiant souvent les guerriers berbères de «pinnatus » (« pourvu d’ailes, ailé ») (Corripe, La Johannide, V, 264). L’historien S. Gsell estime que les porteurs de plumes concernent les chefs pour les différencier des autres guerriers.

Enfin, les berbères portent des bijoux, et proba­blement des boucles d’oreilles. Cicéron accuse ainsi Octave d’avoir du sang africain (Macrobe, Saturnales, VII, 3,7) dans les veines, et son oreille percée en est la meilleure preuve ! Jugurtha, après sa défaite est envoyé en prison où il est assassiné : « Les uns lui déchirèrent sa tunique, les autres lui arrachèrent le lobe de l’oreille, avec le pendant d’or qu’il y portait » (Plutarque, II, Marius, 12).

Les guerriers berbères sont toujours représentés avec une barbe sur les stèles libyques. Lorsque Juba est envoyé à Rome, en 63 avant notre ère, par son père Hiempsal, Jules César lui saisit la barbe à la suite d’une altercation (Cicéron, Sur la loi agraire, II, 58). À l’époque impériale, Strabon parle de « leur barbe toujours bien frisée » (Strabon, XVII, 3, 7) et sur la colonne de Trajan tous les auxiliaires maures ont une barbe. D’ailleurs, un dicton marocain affirme qu’un menton rasé n’est pas un menton berbère.

Les tatouages et les peintures corporelles

Les gravures et peintures rupestre du Sahara montrent des motifs, tatouages ou peintures cor­porelles, sur le corps des guerriers. Lors de la période bovidienne, vers 3000-2000 avant notre ère, il s’agit de motifs géométriques. Certaines tribus libyennes s’enduisent le corps d’ocre rouge (Hérodote, IV, 191), comme les chefs éthiopiens dans l’armée perse de Xerxès. Sur certains bas- reliefs pharaoniques, les pieds des captifs ber­bères sont peints. D’autres ont des motifs, géo­métriques ou floraux, sur la peau, de couleur bleu foncé caractéristique des tatouages. Ils se situent sur les bras, les jambes et le ventre. À Médinet Habou (Haute-Égypte), ils sont constitués de lignes parallèles ou de petits tirets disposés en « arêtes de poisson », et, sur les parois de la tombe de Séthi Ier (vers 1290-vers 1279), de petits tirets parallèles qui se déploient dans quatre directions différentes formant une croix sur les bras et les cuisses des guerriers captifs. Sur un ostracon, découvert à Deir el-Médineh (1292-1078), le guerrier berbère porte des marques visibles sur le bras gauche et le haut de la cuisse avec des croix et des traits parallèles verticaux et horizontaux. La pratique des tatouages en Afrique du Nord a sans doute perduré sous l’Empire romain, mais les sources sont très fragmentaires.

Dessin d’une peinture du
tombeau de Séthi Ier (1290-
1279) de la XIXe dynastie.
Cette peinture représente des
prisonniers Lebous (berbères)
avec leurs tatouages et leurs
cheveux tressés dans la
tombe de Séthi Ier.

Au Ve siècle, le médecin africain Cassius Félix souligne la pré­sence de tatouages sur le visage de femmes maures. C’est peut-être le cas au VIe siècle dans un passage ambigu de Corippe qui parle d’inscrip­tions sur le front, mais on ne sait pas si elles concernent celui de femmes captives ou des cha­meaux qui les transportent. Un passage de Victor de Vita, au Ve siècle, parle d’un moine africain avec une inscription religieuse tatouée sur la cuisse : « Manichéen disciple du Christ Jésus » (Procope, Histoire de la persécution vandale en Afrique, II, 1, 2). On sait aussi, d’après Sextus Empiricus, que certains Éthiopiens tatouent leurs petits (Équisses pyrrhoniennes, 1,14,148) au début du IIe siècle de notre ère. Et ce n’est peut-être pas une coïncidence si les chrétiens coptes d’Égypte se font encore tatouer une croix à l’intérieur du poignet. Il est très difficile de démontrer avec certitude la continuité du tatouage berbère de l’Antiquité à nos jours, fautes de documents. Certains éléments tendent cependant à la prouver :

  1. Premièrement, les tatouages concernent les populations berbérophones plutôt qu’arabes.
  2. Deuxièmement, la reli­gion islamique est défavorable à cette pratique, ce qui suppose des traditions antérieures à l’islam sans que cela ne soit forcément toujours le cas.
  3. Troisièmement, certaines tribus berbérophones, comme les Chaouia de l’Aurès (Algérie), ont des tatouages dont les motifs sont très proches de ceux observés sur les prisonniers berbères des bas-reliefs de l’époque pharaonique. Selon Émile Laoust, les motifs très similaires varient cependant d’une tribu à l’autre au point qu’il est possible d’identifier l’origine d’un individu d’après les des­sins des tatouages. Il constate que cette pratique concerne souvent les femmes. Chez les Ntifa, les hommes se faisaient tatouer un motif sur le bras droit près de l’épaule censé transmettre la baraka (chance) du tatouage à l’arme du porteur. Émile Laoust rapporte qu’au Maroc les tatouages étaient toujours faits par des femmes. Les motifs étaient dessinés avec le chas de l’aiguille à l’aide de suie et d’eau mélangées. On piquait ensuite la peau avec la pointe de l’aiguille. Pour que le tatouage devienne bleu, on frottait avec le jus d’une herbe recueillie dans un vase. L’aiguille peut être celle d’un cactus comme me l’a confirmé la mère d’un ami, alors âgée de 80 ans, lors d’un voyage en Grande Kabylie en 2012.

Les vêtements

Les peintures et les gravures rupestres du Sahara représentent des hommes avec une tunique courte assez rigide, qui s’arrête à mi-cuisse, très serrée à la taille comme celles des gravures de l’Aïr au Niger. À l’époque impériale, les guerriers maures de la colonne trajane portent aussi une simple tunique également serrée à la taille tom­bant à mi-cuisse et attachée à l’épaule par une fibule. Leurs bras sont découverts ce qui est encore le cas au VIe siècle dans le récit de Corippe. Cette tunique courte s’observe également sur la stèle du cavalier maure de Neapolis (Israël), mort au début du IIP siècle. Elle n’est pas ajustée par une ceinture selon Corippe – « aucune boucle n’entoure un ceinturon, ils poussent leurs bataillons sauvages au combat sans ceinture » – mais par une simple corde comme sur la colonne de Trajan. Strabon affirme que les Berbères se couvrent d’une tunique lâche à larges bandes (Strabon, XVII, 3, 7). Ce qui est le cas de la tunique de la « mosaïque des captifs » dont les manches ne couvrent pas les bras de la femme Maure et qui descend jusqu’aux pieds. Le tissu de la tunique est certainement en lin comme leur voile de tête fixé par un nœud solide (Corripe, La Johannide, II, 135-136), mais il peut très bien s’agir aussi de laine. Ce voile de tête n’est pas porté par l’en­semble des Berbères, et Cicéron indique que le roi Massinissa, qu’il neige ou qu’il pleuve, ne se couvre jamais la tête (Cicéron, De la vieillesse, X, 34). La description de Corippe sur le voile de tête des guerriers ne permet pas de savoir si le nœud est réalisé avec une corde indépendante du tissu et si elle s’enroule autour du menton ou de la tête. Il est donc impossible de savoir s’il est proche ou non de ceux portés par les Touaregs aujourd’hui.

Par-dessus la tunique, le guerrier porte un man­teau quelque soit la saison, d’après Procope : « Les Maures, en revanche, vivent dans des cahutes étouffantes, que ce soit en hiver, en été ou en toute autre saison, et jamais ni la neige, ni les ardeurs du soleil, ni, de manière générale, les fléaux inévitables ne les en chassent. Ils dorment à même le sol, et seuls les plus fortunés d’entre eux étendent sous eux, à l’occasion, une peau de mouton. Loin d’avoir pour usage de changer de vêtement au gré des sai­sons, ils gardent toujours comme habits un man­teau grossier de bonne épaisseur et une tunique toute rêche » (Procope, Guerre contre les Vandales, II, 6, 10-12). Corippe précise qu’il est rugueux et qu’il ressemble à une couverture : « Ils portent une couverture effrayante, descendant des épaules, sus­pendue et attachée à leurs membres […] » (Corripe, La Johannide, II, 130-135). Il doit être relativement épais, probablement en laine, car l’historien romain Ammien Marcellin, au IVe siècle, précise que les cavaliers berbères ten­dent leurs manteaux pour se protéger des traits adverses. Le poète Claudien fait la même remarque : « Vous marcherez non contre des hommes couverts de boucliers ou brillants sous le casque : sa ressource est dans sa flèche ; dès qu’elle sera lancée, il restera sans armes. Le cavalier bran­dit un javelot d’une main, de l’autre il oppose aux coups son manteau » (Claudien, La Guerre contre Gildon, 438).

Mosaïque romaine, lions.
À l’époque romaine, de nombreux animaux sauvages (autruches, éléphants et lions), aujourd’hui disparus, peuplent l’Afrique du Nord.
Le lion de l’Atlas ou lion de barbarie n’existe plus aujourd’hui à l’état sauvage. Musée du Bardo, Tunisie.

 

Strabon note que certains guerriers se couvrent d’une peau de bête (Strabon, XVII, 3,7) agrafée par-dessus l’épaule, tandis que les manteaux et les couvertures des fantassins maures sont en peaux de lions, de léopards ou d’ours (Strabon, XVII, 3,7) tandis que le costume des femmes (Hérodote, IV, 189) est en peau de chèvre avec des franges constituées de fines lanières de cuir. En Cyrénaïque, les Berbères, vivant dans l’arrière-pays, se couvrent de peaux d’animaux sauvages ou de leurs troupeaux, et les chefs d’une tunique (sagum) : « Les chefs de la nation se couvrent de saies, et le reste du peuple de peaux de bêtes fauves ou de celles de leurs trou­peaux » (Pomponius Mêla, Description de la Terre, Livre I). Les Dag Ghali, Touaregs de l’Ahaggar (ou Hoggar) dans le sud de l’Algérie, portent encore des peaux de chèvres cousues entre elles mesurant environs un mètre sans les franges. Les peintures rupestres montrent égale­ment des guerriers avec de larges pantalons serrés à la taille. Les vêtements en cuir ont aussi une fonction de protection pendant le combat, notamment la peau d’autruche (Hérodote, IV, 175). Les Maures se servent du cuir comme d’un plastron ou d’une armure (Strabon, XVII, 3,7). La tunique des cavaliers, en terre cuite de Canosa, est certainement en cuir ainsi que les franges. Certains Touaregs, observés par George Francis Lyon en 1821, sont habillés d’une tunique en cuir, ce qui est le cas, selon Gabriel Camps, des pauvres et des esclaves, dans le massif monta­gneux du Hoggar (sud de l’Algérie) au XXe siècle. Les Ahaggar Isseqqamaren portent encore au début du XXe siècle une tunique de cuir souple, dont le musée du Bardo à Alger a conservé quelques exemplaires. Le vêtement des classes dirigeantes s’adapte aussi au contact d’autres civilisations, comme celui du cavalier de Chemtou. La tunique est courte avec des manches longues s’arrêtant aux poignets dont le bord inférieur retombe à mi-cuisse. Un manteau est attaché à l’épaule droite par une fibule. La tunique en lin ou en laine est sans doute le vête­ment le plus souvent porté par les Berbères, car le climat chaud et sec du Nord de l’Afrique ne jus­tifie pas le port de peau ou de manteau tous les jours de l’année.

Groupe d’autruches, mosaïque du Kef (Tunisie). Photo Musée du Bardo.

Dans les sources iconographiques pharaoniques, libyques et romaines, les guerriers berbères sont souvent représentés nu-pieds. Les auteurs romains, comme Corippe, parlent simplement de la grossière sandale mauresque (Corippe, La Johannide, Livre II, 137). La semelle de la chaus­sure du cavalier de Chemtou semble nattée ou tressée. Les chaussures des Touaregs aujourd’hui sont assez proches de celles de l’époque pharao­nique fabriquées dans des fibres végétales entre­lacées et des feuilles de palmiers avec des semelles en cuir. Strabon précise aussi que les hommes portent des cnémides sur les jambes et des peaux de bêtes pour se protéger des serpents : « La quantité de serpents qui infestent le pays fait que personne ne travaille à la terre sans avoir les jambes protégées par des cnémides et le reste du corps cou­vert de peaux de bêtes » (Strabon, XVII, 3, 11). Selon l’historien français Stéphane Gsell, il s’agit probablement de guêtres en cuir ou en poil. Au début du XXe siècle, Émile Laoust constate que les Berbères marchent le plus souvent pieds nus. Certains utilisent une simple semelle tannée contre la plante du pied attachée à l’aide de lanières qui s’entrecroisent sur la cheville et se fixent entre les orteils. L’absence de chaussure apparaît souvent surprenante. Cependant, il suf­fit de se rappeler de la bataille d’Azincourt le 25 octobre 1415, où de nombreux archers anglais, vêtus d’une armure très légère, étaient pieds nus. D’ailleurs, les meilleurs coureurs de marathon du monde, les Kenyans, sont souvent issus de milieux très pauvres où les enfants apprennent à marcher et à courir sans chaussures, ce qui pour­rait être une des raisons de leur performance.

Poupée touarègue.
Cette poupée montre un homme portant une tunique avec les fameux cordons dits « de noblesse », elmejdûden. http://encyclopedieberbere.revues.org.

Hérodote rapporte que le cuir est teinté en rouge, ce qui est aussi la couleur des tuniques sur les gra­vures peintes du Sahara. Sur la « mosaïque des captifs » de la basilique de Tipasa, la tunique est marron. Sur une autre mosaïque dans la ville de Sétif (Algérie), deux captifs sur un dromadaire ont des traits physiques très proches des Maures de la « mosaïque des captifs ». L’un est vêtu d’une tunique blanche avec un manteau rouge sur l’épaule. Les bas-reliefs de l’époque pharaonique constituent une autre source d’information pour la couleur des vêtements. Les prisonniers libyens sont couverts d’une tunique en peau dont les motifs évoquent celle d’un félin dont on observe encore les pattes dans la tombe de Sethi I”. Les couleurs qui prédominent sont le blanc, le bleu, le rouge et le jaune. Silius Italicus souligne la pré­sence de vêtements bleus au Sahara (Silius Italicus, XV, 676). Au VIe siècle, Corippe indique « que leur vêtement distingue chacun des deux peuples. Pour ceux-ci (les Byzantins), c’était le fer qui servait de tunique, pour ceux-là, c’était la pourpre peinte mêlée de couleurs variées, les bras nus selon la coutume » (Corippe, La Johannide, VIII, 185-190). La tunique des guerriers berbères est donc le plus souvent de couleur rouge avec sans doute des broderies de couleurs différentes. Dans un tumulus d’Iwelen de l’Aïr, une femme portait une tunique de laine de couleurs bleue, rouge et verte. Sur certaines gravures rupestres de l’Aïr (Niger), on observe parfois des motifs géo­métriques de forme triangulaire ou rectangulaire sur le devant des tuniques de certains guerriers. Ce goût des Berbères pour les motifs géomé­triques, rectilinéaires ou triangulaires, se retrouve sur des poteries d’époque punique ou romaine. Des plats de la région d’El-Esnam en Algérie comportent des motifs très proches de ceux peints sur des coquilles d’œufs d’autruche décou­verts dans la nécropole punique de Gouraya (Algérie). Ils sont constitués de bandes verticales délimitant des rectangles composés de triangles inversés.

Le double baudrier

Une des caractéristiques des tenues berbères est le port d’un double baudrier sur le torse. Comme le poignard de bras, il est un élément caractéris­tique du costume militaire berbère. Il se compose de deux bandes croisées sur la poitrine puis dans le dos. Elles sont ensuite ramenées vers l’avant où elles sont attachées autour de la taille légèrement au-dessus du ventre. On l’appelle elmejdûden en tamâhaq (langue des Touaregs), tandis que les explorateurs européens le désignaient par le terme « cordons de noblesse », car seuls les nobles le portaient. Si les sources grecques et romaines ne le mentionnent pas, il est très ancien, car on le trouve sur des peintures rupestres du Sahara du Tassili ainsi que sur plusieurs bas-reliefs pharao­niques.

Reconstitution : Abou simbel (Égypte), grand temple rupestre (construction sous Ramsès II, Nouvel Empire, XIX’ dynastie, vers 1260 av. J.-C.), grès. Salle hypostyle (première salle) : Ramsès II est en train de vaincre deux chefs libyens. Ces derniers portent une tresse sur le côté gauche ainsi que les cordons de noblesse.

Chose étonnante, les Touaregs le por­taient encore récemment lorsqu’ils partaient en guerre. On peut aussi l’observer dans un lieu aussi insolite que l’église de la Trinité à Lalibela en Éthiopie sur les bas-reliefs de l’autel. De nos jours, il est encore porté lors de la fête touarègue de Sebiba, à Djanet dans le sud de l’Algérie, lors d’une danse guerrière. Les danseurs ont un bau­drier croisé constitué de deux cordons de couleur rouge et blanche avec un tissu jaune par-dessus. Il n’est pas réservé uniquement aux hommes car des femmes le portent sur des bas-reliefs égyp­tiens. C’était le cas des femmes, lors de la « bataille du sel » à Gath en Libye (interdite en 1954), qui participaient à un rituel guerrier. Ils sont souvent décorés, comme celui du temple de Niouserrê à Abousir (2426-2419), avec des traits parallèles ou des points. Dans le temple d’Abou- Simbel, dédié par Ramsès II (1279-1213) au dieu Amon-Râ, ils sont de couleur rouge avec des bor­dures blanches.

Cédric Chadburn