« L’Enfant de la haute plaine » de Hamid Benchaar

C’est le début de la guerre d’indépendance, dans la plaine céréalière de R’mila au cœur du pays chaoui, la vie d’un garçon de 7 ans va basculer.

La guerre avec son cortège funeste de violence et de torture, sonne le glas de la vie insouciante du petit Zine. Finis les chevauchées sur sa jument borgne avec son cousin, et leur chasse éperdue des gerboises. Désormais la petite mechta d’Aïth H’nine va vivre au rythme des décentes des légionnaires, des sénégalais et des supplétifs de la Harka numéro 8 d’Edgar-Quinet (aujourd’hui Kaïs).
Le petit Zine du récit n’est autre que l’auteur Hamid Benchaar, qui a choisi de raconter l’histoire tourmentée de sa famille, prise dans l’engrenage infernal de la guerre, à travers le regard ingénu de l’enfant qu’il était.

A 7 ans il est témoin de la décente aux enfers de son oncle Issa. Ce dernier, un mois après son retour de France, et dix jours après son mariage, son destin bascule. Il est dénoncé par son propre frère Ali, pour avoir apporté aux rebelles une « chemise » et des « pataugas ».

Les militaires ne tardent pas à débarquer dans le douar. Le petit Zine assiste alors à une scène d’horreur qui le marquera à vie : « le harki qui manipule cet objet insolite qu’on appelle la gégène et Issa qui convulse et se débat dans la terre boueuse, secoué par l’électricité, mélangée à l’eau avec laquelle on l’asperge. Un harki lui pose un électrode à chaque oreille pendant qu’un autre tournait la manivelle plus elle tournait vite et plus Issa hurlait en se cabrant comme un épileptique en pleine crise.
« Un peu plus loin, un autre oncle Tahar, complètement nu fouillait de ses mains et à quatre pattes, dans le foin, des choses qu’il dit avoir caché là, tandis ce qu’un soldat lui transperce le dos avec une fourche. C’était comme des coups de canifs d’une violence et d’une souffrance insupportable et qui lui arrachaient des cris rauques. L’un d’eux se saisit d’un gros bâton et recommencera à le frapper sur le dos et les fesses, tandis que des morceaux de chairs se détachaient et se mélangeaient au sang qui giclait et coulait comme un oued en automne […] A la fin, le pauvre supplicié perdait connaissance, tout cela devant le regard des femmes et des enfants qui tremblaient d’effroi».
Emprisonné à Kaïs, Issa réussit à s’échapper grâce à la complicité d’un gardien. Il trouva un cheval et des vêtements dans une ferme proche et galopa toute la nuit vers la montagne. Arrivé à un centre de l’ALN, il est mis en quarantaine par les chefs combattant .Ces derniers, jugeant son évasion suspecte, ils refusèrent de l’admettre en leur sein.
Issa va constituer un petit groupe de combattant indépendant, qui va écumer la pleine de R’mila et mener la vie dure à Mohand-Ou-Abbas, le chef de la Harka de Kaïs .

Après plusieurs mois d’une vie de guérilla, qui lui vaudra une renommée incontestable dans toute la région, Issa est abattu par les hommes de Mohand-Ou-Abbas dans une ferme isolée, après avoir été trahit par l’un de ses proches.

L’exode
Début de l’année 1958, la France étend les zones d’exclusion sur la plaine de R’mila . La région jadis un grenier de blé, n’est plus maintenant d’un champ de désolation, malmené par les vents glaciaux qui descendent du Chélia l’hiver, et par le siroco l’été.

Le petit Zine, sa mère, sa sœur et son petit frère suivent leur oncle Salah, à Kaïs et ensuite à Batna où ils s’installent d’une maison délabrée à la cité Chikhi. Ils vont y vivre chichement avec un oncle très sévère qui les prive de scolarité, en attendant le retour d’un père installé en Tunisie et qui ne donne aucun signe de vie.

Dès l’indépendance, l’oncle de Zine décide d’aller tenter sa chance à Annaba. Les deux familles trouveront une ville qui porte encore les stigmates d’une bataille urbaine qui a duré plusieurs mois entre l’OAS et le FLN. Sur la recommandation d’un ami, l’oncle de Zine installe la grande famille dans une belle villa abandonnée par les pieds-noirs, ce qu’on appelait alors les «biens vacants ».
Cette maison deviendra le point de passage de tous les cousins qui venaient de R’mila ou de Kaïs pour rejoindre la France par bateau. Les bônois moquaient l’accoutrement des cousins de Zine et leur aspect frustre. La maison sera baptisée : « la maison des chaouïas ». Mais les quolibets ne semble pas atteindre le petit Zine , lequel après le retour de son père de Tunisie, et surtout ses premiers pas à l’école semble plus épanoui que jamais dans cette ville de Annaba qu’on appelait alors la « coquette ».

Les désillusions

La vague d’enthousiasme de toute une génération suscitée par l’indépendance va s’estomper au fur et à mesure qu’un régime clientéliste s’installe dans le pays. Les immeubles laissés par les pieds-noirs, jadis d’une blancheur éclatante « ne mirent pas longtemps à s’effriter et à se délabrer, les rampes d’escalier à disparaitre, les ascenseurs à s’arrêter les uns après les autres ». Bientôt la ville de Annaba n’aura de coquette que le nom.

Le Conseil de la Révolution décréta que l’urgence était d’arrêter les fouilles archéologiques, les responsables annoncèrent « l’interdiction de fouiller dans le passé lointain du pays, voyant dans la pratique de l’archéologie et ses dérivées, une science utilisée par le colonialisme pour diviser les algériens et nier leur origine arabe. Mais en réalité, ils avaient peur que les fantômes des rois numides viennent leur disputer le pouvoir ».

Après avoir arrivé à la certitude que l’Orient doit être le modèle à suivre pour le jeune État algérien, le Parti Unique importe l’idéologie baathiste, un choix qui se révèlera désastreux dans bien des domaines. «Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, la langue arabe classique était aussi étrangère aux algériens qu’elle n’est aujourd’hui pour les pakistanais et les indonésiens. Les dirigeants de l’époque pourtant francophones, ont voulu la greffer au peuple dans un esprit purement revanchard… […] Cette greffe échoua lamentablement, en dépit de tous les renforts, comme l’importation des enseignants en prévenance d’Égypte et de Syrie. Car une langue pour un peuple est loin de se limiter à la connaissance d’un alphabet ou d’un vocabulaire : c’est une façon d’être et de penser » écrit Hamid Benchaar .
« L’Enfant de la haute plaine » paru aux éditions l’Harmattan (France), est  une apologie de la transmission de la mémoire et un refus entêté de l’oubli. Hamid Benchaar est diplômé d’une école d’ingénieur en France, il vit aujourd’hui au Canada où il travaille comme consultant dans les technologies de l’information.

Jugurtha Hanachi