Migrations libyques à l’époque néolithique

« D’un point de vue génétique, nous pouvons dire que l’Afrique commence
aux Pyrénées. » (Antonio Arnâiz-Villena, généticien)

Ancienneté de la langue berbère : de la Johannideà la reine Didon

A propos de l’ancienneté de la langue berbère, André Basset (1895-1956) le grand spécialiste des langues berbères, qui figure parmi les fondateurs de la linguistique berbère, écrivait bien imprudemment : « À vrai dire, les plus anciens témoignages manifestes que nous avons du berbère, les phrases du Baïdaq, en particulier, du XIIe siècle, ne dépassent pas la période musulmane. Antérieurement, quelques mots, peut- être de Corippe, au VIe siècle […]. » (voir André Basset, « La langue berbère », L’Afrique et l’Asie, 2e trim. 1956, n° 34, pp. 39-45 (P-40)).

Corippus – Flavius Cresconius – est un poète berbère du Vle siècle, qui brigue l’héritage de la romanité, auquel on doit un poème : la Johannide rédigé vers 550 après J. -C., célébrant la reconquête de l’Afrique du Nord par les Byzantins. Dans ce poème, Corippus (Corippe) dresse une liste de noms berbères, qui offrent l’intérêt particulier de ne pasavoir été romanisés. Un grand nombre d’entre eux se terminent par la désinence typique à cette langue : Altisan, Audiliman, Carcasan, Esputredan, Guenfan, Imastan, Manonasan, Sidifan, etc. D’autres noms se présentent avec le suffixe in : Autufadin, Cutin, Garafin, Marzin, Sanzin, etc., ou avec la terminaison asen : Hisdreasen, lelidassen, Macurasen, Manzerasen. L’ethnique libyque Carcasan évoque instantanément le toponyme Carcassonne : Carcassona en occitan, à 80 kilomètres à l’est de Toulouse, dont la situation stratégique entre l’océan Atlantique et la Méditerranée est admise depuis la haute antiquité.

Des substantifs libyens, rapportés par Corippus, sont toujours en vigueur dans certaines communautés berbères, dont le nom Imastan[rapporté par Corippe, qui suggère celui du célèbre Amenokal (souverain) touareg (Moussa Ag) Amastan. Sidifan est la tournure archaïque de Sétifien « originaire de Sétif ». Guenfan est un patronyme qui est toujours en usage à Constantine, l’ancienne Kirta, etc.

La reine Didon (Dido)

Il faudrait corriger l’impair fait à la langue berbère par André Basset. Selon nous, la plus ancienne trace parlée de la langue berbère figure dans le sobriquet Dido (Didon) qui fut décerné à la reine phénicienne Elissa-Elisha par les paléo-Berbères de la côte tunisienne au Vllle siècle avant J.-C. Ce pseudonyme Dido, replacé dans le cadre du système morpho­-syntaxique berbère, est un dérivé nominaldesa racine Ddu, qui signifie: «marcher», « cheminer », « flâner », « errer ». Il indique, dans les parlers berbères de nos jours, la «pérégrination »,synonyme de voyage et de périple. Un abrégé de l’histoire de Timée nous fournit un renseignement sur la fondation de Carthage :

Theiosso, Timée dit que, dans la langue des Phéniciens, elle était appelée Elissa, qu’elle était sœur de Pygmalion roi des Tyriens et qu’elle fonda Carthage, en Libye […] Après beaucoup d’épreuves elle aborda en Libye, où elle fut appelée Dido par les indigènes, à cause de ses nombreuses pérégrinations.

L’extrait que nous venons de lire contient plus particulièrement un second patronyme qui vient confirmer le vocable berbère Dido (Didon). Il s’agit de Theiosso, lequel confirme le précédent. Theiosso est le synonyme de Dido (Didon), ils signifient tous deux : « venir », « arriver », «survenir » et passim dans la langue berbère. Donc que l’on dise la reine Dido ou la reine Theiosso, cela revient au même.

Ainsi, entre « les quelques mots, peut-être de Corippe, au Vle siècle […] » selon André Basset et l’extrait de Timée que nous avons reproduit ci-dessus, qui nous renvoie à la date de la fondation de Carthage au Vllle siècle avant J. -C., il s’est passé près de 1400 ans. Nous apportons ainsi le témoignage que la langue berbère, telle qu’elle est pratiquée encore de nos jours – syntaxe, morphologie, structure et normes – était en usage sensible au début du premier millénaire avant J.-C., à une époque où le concept d’antiquité historique n’était pas encore apparu chez les auteurs grecs.

Le détroit de Gibraltar

L’autre trait linguistique concerne la dénomination du détroit de Gibraltar, dont les rives, complémentaires l’une de l’autre, sont postées depuis la préhistoire au croisement des flux économiques, marchands et culturels intercontinentaux. Tariq Ibn Zyad n’est aucunement l’éponyme du détroit de Gibraltar. Ce passage, qui relie la Méditerranée à l’océan Atlantique, ne provient pas de l’arabe Jabal Tariq -جبل طارق -« le mont de Tariq (IbnZyad) », qui sera transformé en Gibraltar parles Castillans. La désignation Tariq (arabe) n’est que la traduction littérale du mot berbère abrid, en rapport au rocher qui domine le détroit. Cette dénomination ranime le souvenir des paléo-Berbères Tabrida qui vivaient dans le voisinage du seuil de Gibraltar à la haute époque libyenne.

Au temps du géographe et historien andalou Al-Bekri (Abu Ubayd Abd Allah ibn Abd al-Aziz ibn Muhammad al-Bakri, né en 1014 à Huelva et décédé à Cordoue en 1094), le pays s’appelait encore Tabrida. Abrida, on l’aura reconnu, est un passim du mot berbère abrid : « chemin », « passage », « route », « grande route », dont l’équivalent arabe est tariq. Abrid est au pluriel : ibriden, qui indique après augmentation du sens, que le détroit de Gibraltar signifiait à l’origine : « la route menant au rocher, à travers le détroit »,en référence aux autochtones Abrida qui étaient établis dans les parages du défilé.

Cet ethnonyme Tabrida dont l’affixe T peut être assimilé au berbère at « gens de », « fils de » comme dans at_tmurt « les gens du pays » ou at-yenni « les gens (tribu) de Yenni », peut aussi bien être énoncé en langue berbère par At Abrid et Ait Abrid : « les gens de Abrid » ou encore « la tribu de Abrid ». On notera que pour Avienus, la Libye débutait à Gadès, actuelle Cadix, au sud de l’Andalousie, qui portera sous les Romains le nom de Julia Augusta Gaditana. La tournure Gaditane, l’ancien nom de la localité, est tirée de gadir, mot d’origine berbère issu de agadir, qui signifie « fortin » ou encore un « grenier fortifié », qui sera emprunté par les Phéniciens de l’Ouest (Puniques). Le nom Agadir, qui est de nos jours donné à la ville bien connue de la côte marocaine, fut anciennement appliqué à une partie de la vieille ville de Tlemcen (Pomaria antique), bâtie sur deux cités qui furent réunies par une fortification.

La désignation latine de cette ville de la Bétique est Julia Augusta Gaditana et ses dérivés Gaditan, Gaditani devenu, en espagnol, Gaditano. Les dénominations Gaditain et Gaditanien sont également valides, de même que la forme ancienne Cadissien et celle moderne Cadissen, au féminin Cadissène. La tournure Gaditane sera attribuée par les géographes antiques à une partie de la Mauritanie ou « Mauritanie du détroit ». Comme c’est le cas du géographe de Ravenne (éditions Pinder et Parthey, p. 164 : conf. p. 8 et 162), qui associe la ville de Gadir à l’ethnique Abrida : « Mauritania Gaditana quae et barbaro modo Abrida dicitur. » L’auteurdit Avienus écrira :

L’univers est divisé en trois parties, la Libye, l’Europe, l’Asie. Là où la mer Occidentale précipite ses ondes et s’élance dans l’intérieur des terres, où le Séant Atlas élève sa tête hautaine, se déploie le rivage de la Libye : elle se prolonge de Gadès aux lieux où le Nil se répand dans le gouffre des mers par sept embouchures. (Avienus, Description de la Terre)

Le même auteur écrit encore au sujet de Cadix :

Ce lieu fut appelé Herma par l’ancienne Grèce. Or, Herma est un rempart de rochers qui garnissent les deux côtés d’un lac situé au milieu d’eux. D’autres, au contraire, appellent le lieu « Chemin d’Hercule » : car on raconte qu’Hercule avait comblé la mer, pour ouvrir une voie facile au troupeau qu’il avait pris. Cet Herma dépendit autrefois de la terre de Libye au rapport d’un grand nombre d’auteurs ; et il ne faut pas rejeter l’autorité de Denys, qui enseigne que la Libye se termine à Tartessus […] là sont les colonnes de l’infatigable Hercule, Abyla et Calpé, Calpé sur la rive gauche, Abyla voisine de la Libye.

Notre auteur dit avoir emprunté les informations qui figurent dans son livre à divers auteurs, parmi eux : Hécatée de Milet, Hellanicus de Lesbos, Philéas d’Athènes, Scylax de Caryandée, Pausimaque de Samos, Damastes de Sigé, Bacorus de Rhodes, Euctémon d’Athènes, Cléon de Sicile, Hérodote qu’il nomme « le colon de Thurium », et enfin l’Athénien Thucydide.

Gibraltar = Djebel Al-Tariq

En résumé, concernant le détroit de Gibraltar, signalons qu’en berbère de Kabylie, la radicale JB suggère une série de mots pouvant former l’affixe du toponyme JBL+TRCl (Gibraltar), plus particulièrement IjebbuetAjbay, qui signifient : « aller vers un endroit ou un pays éloigné », « en passant par-dessus une montagne ou en franchissant une limite ». (J.-M. Dallet, Dictionnaire Kabyle-Français, Parler des At Mangellat, Algérie, 1982, Paris SELAF, p. 357). Nous obtenons ainsi : JB+ABRID (berbère) : « Passer une montagne+route », primitivement Ajbu (Ajbay) N Ubrid, reformulé littéralement en JBL+TARIQ (arabe) : « montagne+route » Djebel Al-Tariq.

Atlas, Yemma Gouraya, Lalla Timezrit

Les montagnes et les cavernes ont toujours été considérées par les Berbères comme le siège d’un être cosmique. Cela est le cas de Yemma Gouraya qui est l’objet de vénération dans la région de Bejaïa. Il y a aussi un autre mont, dédié à Lalla Timezrit, vers Tiklat, l’ancienne Tubusuptu romaine. À Tunis, la montagne qui domine la ville fut vouée à la divinité Saturnus Balcaranensis, Boulkarnayn qui était vénéré par les paléo- Berbères « (celui) aux deux cornes ». Les Phéniciens en firent Ba’al Hamon. Maxime de Tyr (Dissertations, VIII, §7) en parlant du mont Atlas dit : « C’est pour les Libyens et un temple et un Dieu, l’objet par lequel ils jurent et une statue. » Solin (Polyhistor, § 25), Strabon (Geographica. I. XVII. ch. 3, §2), Pline l’Ancien (Histoire naturelle. V, ch. 1. §13) disent que le nom indigène d’Atlas est Dyriset Addi ris. Ouvrons une parenthèse, pour dire qu’il n’est pas exclu que ce substantif antique Dyris ou Addiris n’ait été délibérément réuni au patronyme Idriss, l’arrière-petit-fils de Hassan fils de Ali et de Fatima la fille du prophète Muhammad, par des notables de l’Atlas marocain, pour s’attribuer une filiation chérifienne (chorfa) feutrée. Dyris ou Addiris rappellent le mot berbère Adrar et Idurar (au pluriel) : « montagne », « montagneux », qui aurait été mal rapporté par les auteurs latins. Le détroit fut parfois appelé « le chemin d’Hercule » par les auteurs grecs et latins. Nous savons qu’Abrid désigne le chemin, qu’en est-il d’Hercule ? Quel fut son nom véritable en berbère, s’il en eut jamais?

Plusieurs Héraclès

Pausanias nous fournit le nom de l’Héraclès libyo-égyptien : Μάχηρις, qui aurait franchi le détroit de Gibraltar (P.Méla, III, 46; Diodore, III, 74; Philostrate, II, 33). D’autres noms lui sont attribués : Shon, Shom, Som, Pan ou encore Mendès. Hérodote qui le nomme Shom, peut-être en relation avec l’archétype biblique Ham et ancêtre éponyme des Hamites, également orthographié Cham, dit qu’il est bien plus vieux que l’Hercule phénicien, connu sous le nom de Melqart dans l’ancien Liban, qui signifierait : Mlk « roi » et Qrt « cité ». Cette transcription grecque du personnage Μάχηρις, évoque Mqr libyque, Mqr en berbère : « grand » et MGhR « grandeur », « excellence », « force ».

Le mot Amghar est un« homme âgé (berbère) », «vieillard (berbère) », «chef (berbère) », « maître », « leader », et ainsi de suite. Comme dans : Amoqran N taddart, « (le) chef du village(berbère)». Hérodote (Livre ll,XLII),rapporte ceci:«Hercule est un dieu très ancien chez les Égyptiens ; et, comme ils le disent eux-mêmes, il est du nombre de ces douze dieux qui sont nés des huit dieux, dix-sept mille ans avant le règne d’Amasis. » Nous voilà en pleine préhistoire, approximativement à l’époque qui vit la disparition de l’Homme de Neandertal, vers la fin de la glaciation de Würm.

Tartessos, le mythe

Nous avons vu que l’auteur Denys, dans un de ses passages, associait territorialement la civilisation de Tartessus au monde libyen. Tartessos ou Tartesse est le nom de la première civilisation ibérique connue, qui s’est développée sur la côte sud-ouest de la péninsule, autour du fleuve Tartessos (actuel Guadal qui vir en Andalousie, de l’arabe al-wadi al-Kabir (الوادي الكبير),«le grand fleuve»).Tartessos est évoquée dans la Thora, sous le nom de Tarsis (Tarshish). Les Tartessiens, qui semblent avoir appartenu à un tronc archaïque berbère, connaissaient la métallurgie et vivaient de la pêche. Ils disposaient d’une écriture assimilée à la graphie libyque. Tartessos fut une étape vers les îles Cassitérides d’où était importé l’étain (en grec ancien κασσίτερος), métal indispensable au façonnage des armes en bronze. En quête de mines d’étain, les vaisseaux phéniciens n’hésitaient pas à se rendre dans les Cornouailles, Kernow (comique) et Cornwall (anglais), localisées à l’extrémité sud-ouest de la Grande-Bretagne.

Cassitérides suggère Qazdir

On note que le mot Cassitérides suggère Taqezdirt (berbère) « pot métallique où est entreposé le lait»,et Iqezdiren (berbère)«marmite en métal pour chauffer l’eau»;Qazdir et Qazdira en arabe dialectal. En Inde, la caste guerrière des Ksatriyas (Bhâgavata Gîta) tirait son nom de la cuirasse métallique qui protégeait les soldats. Il semble donc s’agir d’un archétype universel lié à l’étain, dont les dérivés servent de nos jours à la fabrication des tôles d’acier et des emballages de conserves.

Hérodote attribue à la civilisation de Tartessos une ancienneté de 6000 ans. Le roi de Tartessos fut Habis fils de Gargoris, le protecteur des Phocéens, fondateurs de Massylia, Marseille. On est fondé de rapprocher ce dernier nom de la tribu des Libyens Massyles. Pausanias (6, XIX, 2) écrit :

Ils disent que Tartessos est un fleuve en terre ibérique qui se jette dans la mer par deux bouches et qu’entre ces deux bouches se trouve une ville du même nom. Le fleuve, qui est le plus grand d’Ibérie, et connaît la marée, est appelé plus récemment Baetis, et que d’aucuns pensent que Tartessos fut l ’ancien nom de Carpia, une ville des Ibères.

La tournure Gargoris qui évoque Djerdjra (GRGR), Adrar n Jerjer (berbère de Kabylie), le massif montagneux du nord de l’Algérie, figure dans plusieurs toponymes berbérophones en Algérie, dont un bourg Guergour en Kabylie, ainsi que la célèbre source thermale de la région de Sétif : (Hammam) Guergour.

Quelques repères historiques

Les paléo-Berbères sont amplement évoqués dans les ouvrages des auteurs grecs et latins où ils semblent détenir, au fil des citations, une dimension mythique marquante. Diodore de Sicile (III, 53,56,60)et Apollodore (II, 5,11) nous apprennent qu’Atlas fils d’Ouranos et frère de Cronos régna sur la Libye, la Sicile, l’Italie, l’Hespérie, ainsi que sur le pays des Hyperboréens, localisé au nord de l’Europe, l’empire d’Ouranos s’étendait à l’occident et au nord du continent afro-européen. Ces auteurs semblent assimiler le règne d’Atlas à l’existence d’une civilisation africo-européenne globale et prépon­dérante qui débordait le monde connu à l’époque. Platon dit que les anciens Hyperbo­réens adoraient le vent du nord, Borée (Abahri en berbère), il ajoute qu’Apollon était une divinité libyenne.

Avenius (descriptio orbis terrae, 329,738, cf. pseudo Scymnos 152-158), écrit que le sud de l’Espagne faisait partie de la Libye. Phileas limite la Libye au Rhône dont deux bran­ches s’appelaient Libyca (Phileas c/o Avenius). De même que Polybe et Pline l’ancien. On retrouve l’éponyme Libya dans des villes en Europe occidentale, en Lusitanie, en Cantabrie, et en Tarraconaise.

Sardos, fils de l’Héraclès libyen, est l’ancêtre éponyme des Sardes et le fondateur de la Sardaigne. Solin (4,1) écrit :

Quant à la Sardaigne, que Timée appelle Sandaliotes, et Crispus Ichnuse, on sait dans quelle mer elle est située, et par qui elle fut peuplée. Ainsi peu importe de rappeler que Sardus, fils d’Hercule, et Norax, fils de Mercure, le premier arrivant de la Libye, le second de Tartesse, ville d’Espagne, vinrent en ces contrées, et donnèrent Sardus, son nom au pays même, Norax, le sien à la ville de Nora ; qu’après eux régna Aristée à Caralis, ville qu’il avait bâtie, établissant ainsi une alliance entre deux peuples d’un sang différent, et ramenant aux mêmes mœurs des nations divisées jusqu’alors, mais que ce changement ne rendit en rien rebelles à son autorité.

Les Berbères maîtres de la Corse et de la Sardaigne

Selon Pausanias (X, 17, 2) : ΙΙρώτος δέ διαβήναι λέγονται ναυσίν είς τήν νήσον Λίβυες ήγεμών δέ τοίς Λίβυσιν ήν Σάρδος ό Μαχήριδος Ήραχλέους δέ έπονομασθέντος ύπό Αίγύπτίων τε χαί Λιβύων. « L’île prit le nom de Sardos. Les Libyens ne chassè­rent pas les indigènes, mais ils se mêlèrent à eux, vivant comme ceux-ci dispersés dans des cabanes et dans des grottes, car les uns et les autres étaient incapables de fonder des villes. » Une monnaie retrouvée en Sardaigne au Ier siècle avant notre ère représente Sardos «Sard(us) Pater», la tête surmontée d’une coiffure de plumes. À la façon des anciens Libyens, tels qu’ils sont représentés sur les murs des temples égyptiens. Le même auteur ajoute, concernant la Corse cette fois-ci (X, 17, 8) : « la Corse fut peuplée par les Libyens, le nom de la Corse a été attribué à ce pays par les anciens Libyens. »

Silius Italicus, XII, 359-360 et Solin, IV, 1, attribuent à Sardus, fils d’Hercule, venu de Libye, le nom de l’île Sardaigne. On a retrouvé l’ethnonyme Σαρδολίβυες-Sardolibyens, comme on disait Libyphéniciens (fusion des deux ethnies, libyque et phénicienne de Carthage) ou Égyptolibyens (fusion des Égyptiens et des Libyens) – dans un fragment de Nicolas de Damas (Fragm, hist. graec., III, p.463, n° 137), qui semble indiquer une connexion ethnique sardo-berbère. Sur le plan physique, les montagnards sardes présentaient l’apparence des anciens Libyens, dont ils avaient gardé le genre de vie. Les tours appelées nuraghi en Sardaigne, comme aussi les ses/ de l’île de Pantelleria et les talayots des Baléares, ressemblent aux tombeaux tubulaires baptisés chouchets au Maghreb.

Tite-Live (V, 35) écrit que les territoires de Vérone et de Brescia furent occupés par les paléo-Berbères, avant la fondation de Rome. Les Gorgones du mythe grec sont libyen­nes (Pausanias II, 21,5-6 ; Diodore, III, 52). Pour Apollodore (II, 1,4), Bélos (roi d’Égypte) et Agénor (roi de la Phénicie) descendent de Poséidon et de Libye. Agénor a donné naissance à Europe, à Cadmos, à Phénix et à Cilix. De son côté, Bélos a enfanté Égyptos et Danaos le roi d’Argos. Plus près de nous, Robert Graves, qui résume la prépondé­rance des Libyens en Méditerranée, écrit (Les mythes grecs, 1958) :

Des poteries qu’on a retrouvées indiquent une immigration libyenne en Crète vers 4000 avant J.-C. ; et il semble qu’un grand nombre de réfugiés, adorateurs de la déesse libyenne, venus du Delta occidental, arrivèrent au moment où la Haute et la Basse Égypte furent réunies de force sous la première dynastie en 3000 avant J.-C. environ. La première époque minoenne commença tout de suite après et la civilisation crétoise gagna la Thrace et la Grèce helladique primitive.

Trois mille ans avant J.-C., cela nous conduit à l’époque Naqada lll de l’ère Protodynastique égyptienne, au cours de laquelle l’Égypte unifiée choisit Memphis pour capitale. J. H. Breastednote: « La parenté entre Egyptiens et Libyens, qui nous est révélée par d’évidentes affinités de langage, se trouve également inscrite sur certains objets tels que les poteries primitives, qui ont une analogie frappante avec celles que fabriquent encore de nos jours les Kabyles. ». C’est vers cette époque qu’apparurent les premières inscriptions à caractère hiéroglyphique en Égypte. La Tablette d’ébène de Menés, Première dynastie, Abydos, 3400 avant J.-C., contient une rangée de hiéroglyphes archaïques incompréhensibles. Une autre inscription nous indique le règne d’un pharaon d’origine berbère : Narmer, qui succéda au Roi Scorpion. V. Vikentieve (Journal of Egyptian archaeology(JEA), N° 17, 1931, p. 67-80, cité par A. H .S. El-Mosallamy) écrit :

[Narmer]serait cet homme qui quitta sa famille et retourna dans son pays natal, la Libye, pour échapper aux intrigues de sa belle-sœur. Cette histoire a un fondement historique et le fugitif a été identifié comme étant Narbata (Narmer).

Concernant l’ethnique dérivée de Libye, S. Gsell écrit :

On retrouve l’ethnique Lebou (Libu) dans les patronymes italiens : Libui, Libiei, Lebeci (Italie septentrionale), des Liburni (Italie et lllyrie), des bouches occidentales du Rhône dites Libyca : voir d’Arbois de Jubainville, Les Premiers habitants de l’Europe, 2e édit. I,p. 37,40,70,71. Il fonde là- dessus l’hypothèse d’un « vaste empire ibéro-libyen », de « conquêtes africaines de la race ibérique » (conf. Berlioux, l. c. 92).

Comme nous pouvons le vérifier, le mythe et l’histoire convergent pour faire des Libyens un peuple de conquérants auxquels échurent de vastes étendues du continent européen à l’époque néolithique.

Concernant les cultes transmis aux peuples de la Méditerranée par les paléo-Berbères, Hérodote (Histoires, l. Il, ch. 50) nous informe que les Libyens ont révélé Poséidon aux Grecs ; « aucun peuple n’avait prononcé auparavant ce nom » dit-il. Les paléo-Berbères honoraient Poséidon comme un dieu. Poséidon sera transformé en Saturne par les latins. Même si cela peut paraître trivial, signalons, en rapport à Poséidon, que le substantif Bouzid est toujours en vigueur au Maghreb, sa tournure égyptienne est Abou Zeyd. Ampélius (Liber memorialis, ch. IX) nous parle d’un Apollon né en Libye, qui est assimilé à Gourzil, la divinité du paganisme berbère. Enfin, Athéna serait née, selon Hérodote (Histoires, l. IV, ch. 180), Pausanias (Description de la Grèce, 1.1, ch. IV) et Pomponius Mela (Desituorbis, 1.1, ch. 7) de Poséidon et de la nymphe du lac Tritonis.

Ce que dit l’ADN

L’ADN – acronyme de l’acide désoxyribonucléique – dont la double hélice est devenue l’emblème de la biologie moléculaire, est une molécule qui configure le support de l’hérédité ou de l’information génétique, et que l’on retrouve dans toutes les cellules vivantes. L’atlas génétique conçu depuis quelques décennies par les chercheurs L. Cavalli- Sforza, A. Cavalli-Sforza, A. Piazza et d’autres collaborateurs du projet génome, basé sur l’analyse d’un échantillon de personnes, conclut qu’il existe un dénominateur biologique commun entre le Maghreb, la péninsule Ibérique et le sud de la France. Parallèlement à ces travaux, une étude récente d’anthropologues et de généticiens canadiens (Christopher Meiklejohn, 1997), visant des populations de la péninsule Ibérique, a remis en cause la théorie établie selon laquelle il y aurait eu, vers7000 avant J.-C., un grand afflux de populations en provenance de l’Europe en Espagne, qui aurait conduit à l’adoption de la culture néolithique. L’hypothèse de Christopher Meiklejohn, étayée par de nombreuses études paléoanthropologiques de terrain, invalide les suppositions de Renfrew, qui affirmait l’existence d’un passage progressif vers la péninsule Ibérique de populations en provenance du Moyen-Orient au cours du néolithique. Selon ces anthropologues et généticiens canadiens, seulement 5% de la population ibérique actuelle résulterait de la colonisation européenne néolithique. Christopher Meiklejohn écrit ce qui suit : « Tous nos données anthropométriques ou biologiques sont contraires à ce modèle classique et soutiennent les interprétations récentes, à savoir un fort passage des habitants de l’Afrique du Nord vers la péninsule Ibérique, basée sur l’étude des gènes et de l’ADN mitochondrial HLA. » C’est comme si l’évolution physique et culturelle qui fondait les populations africaines et celles de la péninsule Ibérique les unes dans les autres, s’était passée en vase clos, avec d’exceptionnels apports européens et orientaux.

Bryan Sykes, professeur en génétique humaine de l’université d’Oxford, a prélevé l’ADN de milliers de volontaires britanniques et irlandais. Selon lui, ses compatriotes anglo- saxons descendraient de pêcheurs ibériques qui se seraient mêlés aux Celtes insulaires. Ces populations d’origine ibérique, auxquelles se sont joints des paléo-Berbères, auraient émigré vers le Nord de l’Europe entre 4000 et 5000 avant J. -C. Auparavant, les Celtes – ancêtres des Écossais, des Gallois et des Irlandais, mais aussi des Anglais – étaient considérés comme des descendants de tribus venues d’Europe centrale.

Vicente M. Cabrera, généticien de l’université Laguna deTenerife, a pu établir que les populations des Canaries étaient issues des Berbères par leur gène maternel (mitochondrial). Les Berbères ont peuplé les Canaries au cours des temps préhis­toriques, cela est attesté par les inscriptions rupestres et les données archéologiques. José Luis Escacena, de l’université de Séville, a pu démontrer que la céramique, et d’autres objets culturels datés de -2000, étaient analogues à ceux de l’Égypte prédynastique dite culture Al-Badari ; avant de suggérer que des groupes paléo-berbères auraient émigré en Espagne et dans la vallée du Nil suite au climat aride qui s’était installé au Sahara. Il confirme ainsi d’autres études antérieures ayant abouti au même constat. Alicia Sanchez-Mazas, de l’université de Genève qui s’intéresse à la génétique des populations humaines et à la reconstruction de l’histoire du peuplement du monde par l’homme moderne depuis son origine, a fourni des données génétiques sur les Berbères. Elle soutient qu’une migration berbère ancienne a eu lieu vers l’Espagne, l’Italie et les îles de la Méditerranée, suivie d’unions avec les éléments autochtones.

Toujours en rapport à la génétique des populations, l’équipe du laboratoire de Madrid menée par A. Arnéiz-Villena, aconstatéque les haplotypes A33-B14-DRI communes à la péninsule Ibérique et aux Berbères du Maghreb central (Algérie), se retrouvaient au nord de la Méditerranée, en Italie, ainsi qu’au sud de la France. Le marqueur A2-B35-DR1 l, qui est fréquent à Alger où un prélèvement d’échantillons ADN a eu lieu, se retrouve dans d’autres villes situées au nord de la Méditerranée. Il a été constaté qu’il y avait plus de parenté génétique entre les Basques et les Algériens qu’avec le reste des Européens. Antonio Arnâiz-Villena s’est servi d’une formule tranchante pour résumer ses travaux : « D’un point de vue génétique, dit-il, nous pouvons dire que l’Afrique commence aux Pyrénées. » Une équipe mixte franco-suisse-marocaine a constaté que, sur le plan génétique, les groupes les plus liés aux Berbères marocains de la vallée du Sousse, près d’Agadir, sont les Espagnols et les Algériens. Ces constatations savantes fournies par les méthodes les plus avancées de la médecine contemporaine, rehaussent certains travaux de l’archéologue et anthropologue Bosch-Gimpera (né en 1891 à Barcelone, mort en 1974 à Mexico), consacrés à l’origine commune des Berbères et des Basques.

Le franchissement du détroit de Gibraltar

Il fut certainement plus avantageux, pour les anciens Libyens, de franchir le détroit de Gibraltar, plutôt que de s’aventurer dans les étendues redoutables du Sahara, comme le firent les explorateurs paléo-berbères Nasamons, mentionnés par Hérodote (II, 32.), qui parvinrent à un grand fleuve dont les rives étaient peuplées de petits hommes noirs (pygmées). Lors de la dernière glaciation, celle de Würm (de 70000 à 19 000 ans avant notre ère) au flandrien (holocène), le niveau de la mer Méditerranée était descendu de -100 à -120 m par rapport au niveau actuel. Cette baisse du niveau de la mer, qui a bouleversé le plateau continental des deux rives du détroit, a entraîné des modifications des régimes de courants, delà température des eaux et de leur salinité, etc. Le niveau de la mer est ensuite remonté de 135 m en l’espace de vingt mille ans, en submergeant les plateaux continentaux entre -19000 et le début de notre ère. Avec toutes les conséquences sur les populations préhistoriques vivant à proximité des territoires insulaires et littoraux : Algérie, Maroc, Espagne, Baléares, Portugal.

Le pourtour de la Méditerranée s’élève à environ 20 000 kilomètres et l’étendue totale des côtes de la Méditerranée à environ 45 000 kilomètres. Il est facile d’évaluer les avantages réalisés par les populations primitives, qui pratiquaient la pêche archaïque à l’aide d’embarcations côtières, avec des équipages restreints de deux ou trois personnes, comme c’est le cas jusqu’à nos jours concernant la pêche traditionnelle. Stéphane Gsell, qui admettait les navigations archaïques à travers le détroit de Gibraltar, contrairement à Gabriel Camps qui réfutait aux anciens Berbères ces cabotages de manière virulente, fait figure d’exception en écrivant : « Du reste, dans sa forme actuelle, la Méditerranée occidentale n’est pas un obstacle infranchissable, même pour des primitifs, ne disposant que de moyens de navigation très rudimentaires. Le détroit de Gibraltar a seulement quatorze kilomètres de largeur. Exactement 13 800 mètres au point le plus étroit, 16 030 au point le plus large. Tissot (Mémoires présentés à l’Académie des Inscriptions, IX, 1 ère partie, 1878, p. 173 et suiv. ) est disposé à croire que le détroit s’est élargi depuis les temps historiques. Strabon (II, 5,19; XVII, 3,6) indique une largeur de 60 à 70 stades (11100 et 12050 mètres) ; Pline l’Ancien (III, 3 et 4) donne d’autres chiffres, inférieurs aussi aux chiffres actuels. »

Patera et cayuco

Le franchissement du détroit de Gibraltar par les anciens Maghrébins était inconcevable du point de vue des auteurs coloniaux français. Pour la plupart de ces savants, tous les bienfaits sont venus de l’Occident, à travers le détroit de Gibraltar, depuis la nuit des temps. C’est ainsi que la poterie fut importée de Sicile. Le chameau et le cheval vinrent d’Orient. Le char des Garamantes fut emprunté à la Crète. Les Bretons communiquèrent aux Algériens leurs dolmens – grandes pierres dressées sur lesquelles est posée une grande pierre plate – et leurs menhirs – pierres isolées dressées dans le sol – que les Corses appellent stantari et stazzone, alors que ni les Corses ni les Bretons n’en furent les concepteurs.

G. Camps, né à Misserghin dans l’Oranie, qui n’a jamais admis une navigation paléo-ber­bère dans le détroit de Gibraltar, alors qu’il l’admet amplement dans le sens nord-sud, euro-maghrébin, se montre intarissable lorsqu’il expose avec minutie les prouesses pré­sumées des navigateurs polynésiens durant la haute préhistoire. L’exploit que représen­tent ces longues navigations, écrit-il, qui duraient plusieurs semaines, ne saurait être mi­nimisé. Ces hardis navigateurs partaient avec leurs femmes sur des pirogues munies de balanciers et assez vastes pour embarquer en plus de l’eau et des vivres indispensables, des plants de tubercules, des noix ainsi que les quelques animaux domestiques, poules, porcs et chiens. » (GabrielCamps, Introduction à la préhistoire). De nos jours, les migrants clandestins africains, dépourvus de connaissances nautiques les plus élémentaires, continuent d’utiliser des pirogues à fond plat (patera et cayucoen espagnol) pour fran­chir la distance infime qui sépare les deux rives du détroit. Jacques Collina-Girard, géolo­gue, préhistorien et plongeur scientifique, réexamine dans une récente étude le mythe de l’Atlantide1. La géologie rend ainsi plus aisément abordables les terres de l’Europe et de l’Afrique par des marins primaires. Les distances, raccourcies par la présence des îles, favorisent ainsi les relations entre les populations ibériques (Espagnols, Portugais et Basques) et les anciens Maghrébins durant la préhistoire. Le chercheur Jacques Collina- Girard écrit : « Les cartes bathymétriques montrent, à l’ouest du détroit de Gibraltar, un haut-fond immergé entre -56 et -200 m. Au dernier maximum glaciaire (21 -19 ka BP), il formait une île de 14 km sur 5 km de large, avec ses îlots satellites, au milieu d’une passe étroite s’ouvrant à l’ouest sur une mer intérieure. Cet archipel a été totalement submergé vers 11 ka BP. La localisation et la paléogéographie correspondent point à point à la description de l’Atlantide et à la date de sa disparition données par Platon : il faut donc renvoyer ce récit à la fin du Paléolithique supérieur […]. » Platon écrivait :

Quand Solon visita l’Égypte, un prêtre de Sais nommé Souchis et un prêtre d’Héliopolis nommé Psenophis lui révélèrent que, 9000 ans plus tôt, les rapports entre l’Égypte et lesTerresde l’Ouest avaientété interrompus à la suite de la des­truction de l’Atlantide et de l’autre continent au-delà, englouti dans les flots par des cataclysmes.

Figure 1. Le détroit de Gibraltar vers 21/19 000 BP (zones émergées en hachurés, dont les îles et îlots numérotés). En 7, l’île submergée en 19000 BP, tandis que Ies 2 à 6 le seront vers 14 000 BP ; les sommets de l’île du Cap-Spartel (1) et de l’île Nord (5) seront engloutis vers 11000 BP. (J. Collina-Girard)

Déchiffrement : les inscriptions de Glozel

Glozel est un lieu-dit de la commune de Ferrière-sur-Sichon, situé à une trentaine de kilomètres de Vichy (France). Un ensemble d’objets à caractère préhistorique fut mis au jour dans un champ au mois de mars 1924 par un cultivateur. Des fossiles humains, des instruments en os et en pierre, ainsi que des fragments de poterie ont été exhumés du site. De mai 1925 jusqu’en 1936, des tablettes, des figurines, des outils de silex et d’os, des pierres gravées sont régulièrement retirés de la terre, dont un grand nombre de gravures sur os de renne, portant des signes à caractère alphabétique[1]. Le renne, qui vit habituellement dans les zones polaires, a disparu de la région de Glozel à la fin du paléolithique supérieur, environ 10 000 ans avant J.-C. Les inscriptions font penser aux caractères de l’écriture libyque.

Tite-Live (V, 35) dit que les territoires de Vérone et de Brescia étaient occupés par les Libuens ou Libuens-Gaulois, au Vle siècle avant J.-C, avant l’apparition des premiers peuples gaulois dans le pays. Ils étaient également appelés Libui ou Libicii. La nomencla­ture des peuples gaulois dans le long index qu’elle nous fournit, ne détient pas d’ethnonyme libuens, quelle que soit l’époque considérée. IIs sont étrangers à la Gaule. Le terme gaulois-libuens semble les rattacher à une culture celte-ibère qui était étendue au sud delà France. Par ailleurs, ces Libuens ou Libyens-transfuges? installés dans la région de Milan, dans le Piémont et la Lombardie, semblent avoir appartenu à la culture de Golasecca de l’Italie septentrionale, à laquelle est apparenté l’alphabet dit lépontique. Ces Libicci sont une nouvelle fois signalés par Tite-Live, Histoire romaine, XXXIII, 37 :

Les Boïens crurent que l’armée romaine marcherait avec peu de précautions, les croyant éloignés, et qu’ils pourraient la surprendre ; ils la suivirent par des défilés couverts. N’ayant pu l’atteindre, ils traversèrent brusquement le Pô sur des barques, ravagèrent le territoire des Laevi et des Libui, puis se retirèrent ; mais, arrivés aux frontières de la Ligurie avec toutes les dépouilles de la campagne, ils rencontrèrent les Romains.

Certains d’entre eux étaient installés dans la région de Verceil dans le Piémont, près des sources du Pô, où une reine berbère mourra sur son char en combattant Rome, lors de la première guerre punique. On entendra parler encore une fois de ces Libicci en 101 avant J.-C., lorsqu’ils combattirent contre les Romains. Les Libicci, qui ne faisaient pas partie des peuples celtes, utilisèrent l’alphabet de Lugano : les inscriptions qui figurent sur la dalle de Vergiate (Varese) ; les inscriptions de Cisalpine (llle siècle avant J. -C. ) attri­buées avec empressement aux gallo-étrusques; le cippe de Zignano; l’inscription de San Pietro di Stabio ; celles de Solduno (Ticino) ; la dédicace en lépontique sur un gradin en pierre découvert à Prestino (Italie), datée de la première moitié du Ve siècle avant J.-C. au moment où les Libyens étaient présents en Italie du Nord ; la borne bilingue de Verceil. Toutes ces inscriptions sont en attente d’étude et de classification. La stèle de San-Bernardino-de-Briona. Le tesson de Garlasco. Toutes ces épigraphies proches du libyque et voisines de celles du site de Glozel rejoignent par leur facture les différentes inscriptions dites lépontiques de l’époque de La Tène, que l’on a vite fait d’attribuer aux Celtes. Cela, sans tenir compte des communautés libyennes signalées par Tacite, Histoire générale, I, 3 : « Vers la source de ce fleuve [le Pô] étaient les Laëns et les Lébiciéens; ensuite les Insubriens, nation puissante et fort étendue; et après eux les Cénomans […]» et par Tite-Live comme nous l’avons vu.

On confond les Celtes et les Gaulois dans une sorte d’unanimité empirique sans rapport avec la réalité historique. De même qu’on leur attribue à tort la civilisation des dolmens et menhirs de l’époque néolithique, alors que ces peuples n’étaient pas encore parvenus sur le territoire actuel de la France.

L’écriture dite celtique

Une quantité invraisemblable de données fantaisistes a été systématiquement attri­buée aux Celtes, dans le but de concevoir une Gaule cohérente et harmonieuse sur le plan culturel, au point de vue religieux, outre les institutions politiques et sociales, pour contredire Jules César et ses Commentaires sur la Guerre des Gaules ; dont le domaine épigraphique, en relation avec les anciennes inscriptions de l’Italie du ler millénaire avant J.-C. qui sont ordinairement attribuées à une entité gauloise indéterminée. Cela nous incite à ouvrir une parenthèse à propos de l’écriture dite « celtique », appelée runes. Les runes, qui semblent signifier « mystère » ou « secret », voire « poème » dans différentes langues du Nord-Ouest européen (Scandinavie, Islande et îles Britanniques), sont des caractères d’écriture d’époque tardive. La plus ancienne inscription attestée en carac­tères runiques, ne remonte qu’au IIIe siècle de l’ère chrétienne, elle semble se confon­dre avec les péripéties médiévales du peuple irlandais. Ce qui leur enlève toute origina­lité historique à l’échelon de la Méditerranée, voire de l’Europe. Bernard Tanguy écrit :

La tradition de l’écriture et notamment la tradition épigraphique ne fut vraiment introduite chez les Gaulois que par les Romains. Les inscriptions en grec sont limitées en Gaule et à la Narbonnaise » (sur ce problème cf. J. Whatmough, Keltika, p. 32-34) ou encore : « C’est à l’alphabet latin qu’on a eu recours pour écrire le gallois. L’alphabet dit “de Nemnivus” […] a été conçu par Nemnivus pour répondre aux sarcasmes des Saxons affirmant que les Bretons en étaient dépourvus. La plupart des signes sont des caractè­res latins formés pour imiter des runes. Deux signes en sont même de pures inventions. Quant au Coelbren Y Beirdd ou “alphabet des bardes”, c’est une simplification conven­tionnelle de caractères ordinaires adaptée à la gravure sur bois et une invention des celtomanes de la Myuyrian Archaiology. […] Pughe a, pour sa part, reconnu être l’auteur de cinq de ces caractères.

L’origine hypothétique de l’écriture runique est traditionnellement attribuée aux Germains. Les celtiques insulaires l’adoptèrent à leur tour. Les peuples anciens de la France, comme le laisse entendre Jules César, ne connaissaient pas cette forme d’écri­ture. En ce qui concerne l’origine des runes, L. Wimmer leur attribue une origine latine, suivi en cela par d’autres auteurs, dont Th. Von Grienberger; et E. Sievers, Marstrander et Hammarstrom font dériver les runes des caractères des Etrusques. Von Lichtenberg a émis l’hypothèse scientifique selon laquelle les runes dériveraient, du point de vue formel, d’anciennes écritures méditerranéennes, dont l’écriture crétoise et ibérique. Von Lichtenberg est d’ailleurs suivi dans son constat par G. Neckel, H. Jensen et R.M. Meyer. Ces savants ont, à la suite de Von Lichtenberg, fait dériver les runes d’idéo­grammes méditerranéens, sans toutefois citer l’écriture des anciens Berbères.

Le site de Glozel qui est, jusqu’à nos jours, exclu des catalogues archéologiques, a été in­terdit de fouilles par les autorités françaises, jusqu’à la requête de notables locaux inter­venue dans les années 1980, demandant la reprise des excavations. L’expertise intégrale des nouvelles fouilles ne fut jamais rendue publique, un résumé concis d’une dizaine de pages sera finalement publié en 1995, dans lequel il est dit que le site daterait du Moyen Âge, qu’il renfermerait éventuellement des objets de l’Âge du fer. Glozel qui semble remettre en cause l’identité culturelle française produite depuis le début du XIXe siècle, est un véritable compendium de la France avant la France. Il existe d’autres sites en France, dont celui de Coizard-Joches que nous nous proposons d’étudier ici, après avoir passé en revue quelques tablettes inscrites de Glozel, dont le nom archaïque était Glozet.

Figure 2. Une tablette de Glozel. (Photo P. Ferryn)

Émile Fradin, le jeune paysan auquel fait allusion l’abbé Léon Cotte, dira plus tard :

Tout est vanité dans l’homme et les envieux, déçus de ne pas être associés à la découverte, se répandirent en calom­nies. De grands savants en préhistoire changèrent d’avis au gré de leurs intérêts. Les questions posées par ces écritures sur des objets d’allure si ancien­ne venaient contredire les théories les plus éta­blies sur l’origine de l’écriture. C’était nouveau et inconcevable, insoutenable. Des savants voyaient leurs théories s’écrouler […].

Ces propos lourds de sous-entendus et pleins d’amertume résument l’histoire de Glozel.

Le mot qui désigne « la jument » est tagmart ou tagmarin.

Figure 3. Tagmarin, la jument, (d’après Antonin Morlet)

Le Dr Morlet, qui a dressé le corpus des inscriptions découvertes à Glozel, a fait une erreur en écrivant :

Inscription au-dessus d’une louve gravide sur poignard emmanché […] il s’agit peut-être d’un loup.

Il ne s’agit pas d’une louve, car il manque à l’animal, représenté sur cette gravure de Glozel, des mamelles. Pas plus qu’elle n’est gravide car dans ce cas elle aurait eu le ventre tombant. Ce n’est pas un loup non plus, car le museau est disproportionné par rapport au reste du corps, qui est allongé sur la gravure. Entre autres altérations physiques dues au coup de « crayon » de l’artiste, on note des membres grêles et un flanc long. Les caractères d’écriture qui figurent sur cette gravure sont :

< ΔOI (de gauche à droite GMRN selon l’écriture paléo-berbère).

GMRN désigne la jument dans la langue berbère jusqu’à nos jours. Parfois il s’agit du poulain. Le caractère ayant la forme delta Δ qui ne figure pas dans l’alphabet libyque (est attesté dans l’écriture tafinaq (Touaregs),où il a la valeur de la lettre M.

Voici (figure4) une seconde inscription, trouvée sur un des éléments d’un collier (fig. 61, Tome II, Dr Morlet). Cette autre inscription sur galet perforé confirme qu’il s’agit bien de GMRN «une jument ou une pouliche» (berbère). Le même animal est reproduit à deux reprises sur des pièces différentes, portant la mention GMRN « une jument ou une pouliche » (en berbère). Cette dernière inscription suggère un mufle équin, avec à droite les caractères tafinaq / libyque GMR. La lettre R – qui est un cercle O dans l’écriture tafinaq et libyque -, est évoquée ici par le trou perforé au centre du galet. L’inscription indique le nom de l’animal: <ΔOI (GMRN), tagmart« la jument » (ou « le poulain ») au pluriel tigmarin. Ce dernier mot, avec sa désinence in, désigne la forme plurielle en berbère.

Figure 4. Collier formé de galets perforés. L’inscription concernée figure sur le galet en basa droite (signalé par
une flèche). (Photo Antonin Morlet)

Coizard-Joches

La gravure de Coizard-Joches, une petite commune de Montmirail, au sud du départe­ment de la Marne, près de la ville de Reims, que nous proposons d’étudier maintenant, porte des inscriptions de même nature que celles découvertes à Glozel. La distance qui sépare Coizard de Glozel s’élève à près de quatre cents kilomètres. Donc, il n’y a aucun rapport de connivence entre les deux sites, Glozel ayant été déclaré officiellement apocryphe.

Une importante nécropole attribuée au faciès culturel Seine-Oise-Marne, datant du néo­lithique final (milieu du IIIe millénaire avant J. -C. ), a été mise au jour au cours de l’année 1842 dans cette localité de Coizard-Joches.

Un entrefilet paru dans un bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, 1878 (SER3, Tl), indique vaguement à la page 374, à la rubrique Néolithique, les découvertes qui ont été faites dans ce domaine par le baron de Baye : « Une lettre où M. le baron de Baye annonce qu’il a exploré un cimetière mérovingien [sic]. Il en a tiré une vingtaine de crânes qu’il offre au musée de la Société. M. de Baye remarque le voisinage de la station néolithique du Coizard, et la présence de silex dans les tombes. Nos remer­ciements seront adressés à M. de Baye. »

Figure 5. Situation géographique de Coizard-Joches

Trente-cinq nouveaux hypogées-monuments souterrains servant de chambres funé­raires – ont été par la suite prospectés par le baron Joseph de Baye, après qu’il ait fait d’importantes trouvailles de surface dans son domaine, entre 1870 et 1871. D. et R. Whi- tehouse écrivent : « Contrairement aux mégalithes, largement répandus en Europe occi­dentale et septentrionale, les hypogées sont essentiellement méditerranéens. On a dé­nombré plus de 200 tombes dans la région de la Marne, taillées dans la craie tendre, elles sont toutes semblables par leur plan et leur construction […] elles se sont probablement développées localement, imitations taillées dans le rocher des tombes mégalithiques de la même région : les allées couvertes du Bassin parisien. »

Des hypogées similaires au Maghreb

Un nombre considérable d’hypogées existe dans le Sud du bassin méditerranéen. Conçus selon les mêmes plans que ceux de l’Europe de l’Ouest, une chambre funéraire généra­lement précédée d’une antichambre, où l’on accède par un couloir en pente. F. Logeart a consacré une importante étude aux hypogées de Sila, dans la région de Constantine en 1935-1936, Grottes funéraires, hypogées et caveaux sous roches de Sila, Société Archéo­logique de Constantine, tome LXIII. Dans un seul hypogée par exemple, on a retrouvé une trentaine de crânes, outre des poteries, et cela malgré les dimensions restreintes, soit 1 m de long et 2 m de haut, de cette sépulture creusée dans le rocher. Des pièces de monnaie à l’effigie du roi Micipsa, trouvées dans quelques-uns des hypogées de Sila par Frobenius, ont fait écrire à certains auteurs que ces tombes de l’Afrique du Nord ne dateraient que de l’époque romaine, voire même de l’époque chrétienne. Ces datations restrictives sur le plan de l’histoire, ne tiennent pas compte du traditionnel culte des morts, si ancré dans les habitudes paléo-berbères. À notre époque encore, on dépose des poteries diverses dans les sanctuaires ruraux- ta‘âssast(« gardienne», en langue berbère) – de l’ancêtre fondateur du village.

C’est très exactement ainsi que cela se faisait il y a des milliers d’années, lorsque divers objets à caractère mobilier étaient mis en terre pour accompagner le défunt dans l’autre monde. Peut-être pour demander son intercession bienveillante pour les membres de la horde, restés dans ce monde. Des sacrifices de boeufs ont lieu de nos jours encore à l’automne ou au printemps dans ces lieux sacralisés où, dit-on, ont lieu les réunions des invisibles. Les diverses offrandes que l’on y dépose, de facture moderne, peuvent inter­férer ainsi avec divers objets mobiliers ou autres, mis en terre depuis des siècles. Un lieu auquel est voué le culte d’un saint au Maghreb, peut être donc une construction anté-islamique, voire antique, sur laquelle a été érigé le tombeau d’un notable mystique local, selon le rituel islamique. Tel est certainement le cas des pièces de monnaie de l’époque du roi Micipsa, qui ont dû se trouver mêlées à des strates beaucoup plus anciennes.

La Déesse gravée

J. de Baye a laissé plusieurs ouvrages consacrés à ses découvertes, parmi lesquelles la gravure sur craie que nous nous proposons de déchiffrer, et nommée « Déesse gravée » par l’inventeur du site. On remarque d’emblée que l’écriture est identique à celle de Glozel (département de l’Ailier). Jamais, à notre connaissance, aucun spécialiste n’a accusé le baron de Baye d’être un faussaire, comme cela fut le cas d’Émile Fradin, un agriculteur peu instruit, qui fut traîné en justice et accusé d’avoir lui-même élaboré les tablettes d’argile inscrites de signes proches de l’écriture ibéro-libyque, trouvées dans son champ, de Baye était baron, Fradin simple paysan. En relisant Loqman le sage, Babrius, Esope ou La Fontaine, nous trouverons certainement la moralité qui convient le mieux à cette histoire injuste du domaine de l’archéologie.

En fait de « déesse », le déchiffrement selon le support linguistique et l’écriture des an­ciens Libyens nous apprend qu’il s’agit d’une pauvre dame, souffrante, languissante et prostrée, dont le front est brûlant de fièvre.

La gravure la représente les yeux exorbités par la douleur, se tenant la tête, le menton appuyé sur

ses mains dans une attitude exprimant la souffrance (illustration de page de titre et figure 6 ci-après).

  • Le mot berbère YIR, qui désigne « le mal », « ce qui est mauvais », est d’emblée for­mulé par l’aspect de ce qui semble être des bracelets figurant sur le poignet de chaque main. À l’intersection des mains, juste en dessous du menton, figure un point. Or le point dans l’écriture des anciens Berbères, représente la lettre A, nommée Tagherit (berbère) : «celle par laquelle on lit». Tagherit a la valeur d’une mater lectionis. Ce qui signifie qu’elle remplace les voyelles qui ne sont pas exprimées dans un texte.
  • La forme S, qui figure au poignet de la main droite, évoque la lettre Y de l’alphabet ancien-berbère.
  • Le point □ tagherit, qui a la fonction de mater lectionis exprimant le son i, est gravé à l’intersection des deux mains et du menton.
  • Enfin le signe □ inscrit sur le poignet gauche, suggère la consonne R de l’alphabet ancien-berbère.
Figure 6. Récapitulatif des caractères formant l’inscription, (a) Visage, yeux exorbités, les lettres YIR figurent entre les mains jointes, suggérant des bracelets, (b) Caractères en forme de points, en usage dans la tafinaq saharienne, (c) Autres caractères en forme de points, en usage dans la tafinaq saharienne, (d) Tagenza « Le front ». (e) Groupe de caractères formant le corps du texte. On remarquera la première ligne, tendue vers le haut, qui se lit de droite à gauche. Elle présente une extrémité en boustrophédon, c’est-à-dire projetée vers le bas, à la manière de certaines gravures rupestres sahariennes. La seconde ligne, qui se lit également de droite à gauche, est infléchie vers le bas. (D’après un dessin du baron de Baye, reproduit in Gorce)

La direction de l’écriture sur certains sites du Sahara méridional est conçue en boustrophédon, elle peut changer de sens au bout d’une ligne après ligne, à la manière du bœuf qui trace les sillons dans un champ, d’où le mot grec βουστροφηδόν boustrophédon, de βοῦς boũs « bœuf » et στροφή « action de tourner » (retour du bœuf). Comme sur cette inscription de Coizard. Cette manière d’écrire est attestée aux premiers temps de l’écriture grecque, elle est donc archaïque, comme sur l’inscription de la stèle de Thessalie, vers 550 av. J.-C.

Figure 7. Inscription libyque en boustrophédon – Stèle du musée d’Alger. (D’après
J.-B. Chabot)

Misé part un nombre dérisoire de signes que nous déchiffrons avec conjecture comme formant les lettres GN NDJN, et ailleurs GNZ, la plupart des caractères de cette inscrip­tion concordent avec ceux de l’écriture berbère.

GNNDJN GN. IGENI : « le ciel ». NJn (ou NDJn), forme de NEDJI : « sauver », « protéger », « épargner », « être sauf ». TLGH’ : « être abruti », « être étourdi ».

GH’TLAALGH’T : «se tenir coi », «être sans force», «être flasque »,« être mou». LGHIT : « l’aide», « le secours ». YIR « le mal ». TDJWLT : DJLWT, AD J ALUT : « être amorphe », « être négligé ». Le sens le plus juste de ce mot est : « valétudinaire », « égrotant ».

La dernière ligne de cette longue inscription confirme largement notre déchiffrement jusqu’à présent, et qui a trait à l’altération de la santé telle que paraît l’exprimer d’emblée l’expression rendue par le visage de cette gravure de Coizard. ZLM, ZELLUM : « rhuma­tisme», «sciatique», « courbatures». AZLAM: «regarder de travers», «loucher ».KL, TIKLI : « la marche », « l’allure », « l’action de marcher ». Ces trois caractères, semblables dans leur forme angulaire, expriment la lettre M, en usage dans l’alphabet de l’extrême Sud-saharien (touareg), et deux fois la lettre K (ou G), voire la consonne Q universelle à l’écriture berbère. On peut y lire QMM, AQEMUM : «visage maigrichon ». QMCH éven­tuellement. Dans ce cas, la graphie signifierait le QMCH « se ramasser en position assise ou accroupie».

On peut remarquer que les jambes et les pieds ne sont pas représentés sur la gravu­re, cela laisse supposer que la dame de Coizard peut être éventuellement accroupie. Le mot KMCH berbère, désigne également « les rides », AKMACH. EKMECH, IKEMECH, ANEKMUCH et passim signifient : « ratatiné», « se ratatiner » ou encore « ce qui est défraîchi », « abîmé », « froissé ». C’est la fronce musculaire, due à un amaigrissement ou à l’âge. KWEMMECH. Un autre mot, tiré de la même radicale KMCH, semble être le plus approprié à incarner le titre de la gravure de Coizard .C’est le mot KWEMMECH « serrer entre les deux mains ». Qui confirme parfaitement l’attitude de la dame de Coizard. Cel­le-ci serre effectivement son visage entre ses deux mains.

La fin de cette dernière ligne est : LZLZL. LZL, LAZAL, AZAL, c’est « la pleine chaleur », mot qui désigne la canicule dans les parlers paléo-berbères. ZL, IZLI : « beaucoup», «énor­mément». Et enfin, TAGENZA: « le front ». Conçu à l’aide de caractères superposés.

Viennent ensuite les trois caractères isolés, qui sont : H et A, qui forment l’exclamation AH, laquelle exprime la douleur ou le découragement. H ici est l’équivalent de la con­sonne arabe c dont la valeur numérique est 8 dans la table A. B. J. D/1.2.34.

Les trois points suivants sont la lettre GH’ et pronom personnel en berbère. Les trois points inscrits sous la forme d’un triangle, sont la lettre Q de l’alphabet tafinaq. CeQ évoque le mot AQU, tel qu’il est défini dans le dictionnaire de J.-M. Dallet à la page 637, dans l’expression IWAQUYUQAN« pour de bon», «pour toujours».Ces derniers carac­tères se rapprochent deTUQDA, une formule typique féminine, pour énoncer la douleur, en cas de peine ou de chagrin intense. Ce mot est l’équivalent de YAKEYTI, une expression typiquement féminine qui signifie : « Ô ma douleur », de l’arabe dialectal algérien. YIR « le mal », reconnu dès les premières lectures de la gravure de Coizard, est confirmé par la teneur du texte.

Traduction : « Que le ciel me protège, je dépéris, je me tiens coi. Ma démarche est chance­lante. Le mal m’a rendue amorphe. Je suis courbatue et mes jambes ne me portent plus. J’ai maigri et mon front est en feu. Ah comme je souffre. »

Conclusion

Joseph de Baye situe ses découvertes à l’époque immédiate des successeurs de Cro-Ma-gnon, selon les vues de l’archéologie de la fin du XIXe siècle. Plus près de nous, l’auteur Maxime Gorge pense au Magdalénien (d’après l’éponyme de la Madeleine près de Tursac en Dordogne), qui équivaut à la dernière partie du paléolithique supérieur en France, soit -15000 ans. Même si cela est ramené au faciès culturel Seine-Oise-Marne donc au IIIe millénaire avant le présent, nous nous expliquons toujours mal comment les mêmes agencements mégalithiques établis en Algérie, sont étroitement restreints à l’époque romaine par des savants de l’époque coloniale.

L’existence de l’écriture dans la péninsule Ibérique a été signalée par Strabon qui écrit à ce sujet, en citant une tribu ibérique :

On les considère comme les plus savants des Ibères, ils font usage de connais­sances grammaticales, ils ont aussi écrit des mémoires des plus anciens événements, poèmes et lois versifiés de six mille vers selon ce qu’on dit. Les autres Ibères utilisent aussi la grammaire (l’écriture), mais ne suivent pas un même système, non plus avec une seule langue.

La pluralité des langues (toutes disparues de nos jours) et des systèmes d’écriture utilisés, pose de nombreux obstacles au déchiffrement des inscriptions de la péninsule Ibérique. Les seules possibilités offertes résident dans une reconstruction minutieuse à partir des textes épigraphiques rédigés en alphabet latin, les graffitis monétaires, voire l’étude des patronymes. L’écriture n’est pas née en Orient et les Berbères n’ont pas appris à écrire par le truchement des Phéniciens.

Des migrations libyques anciennes ont laissé leurs empreintes au sein d’une civilisation globale, qui aurait regroupé les pays situés dans l’Ouest méditerranéen(Maghreb, Afrique occidentale et Europe de l’Ouest, jusqu’aux îles Britanniques, et plus loin encore selon Robert Graves) avant l’avènement de Sumer, Akkad et l’Égypte des pharaons. Ces traces, qui subsistent par milliers, sont consignées dans le roc, à l’air libre ou à l’intérieur des grottes, de Chypre à la péninsule Ibérique, et de la Crète aux îles Canaries. Les inscriptions rupestres du Tassili sont suffisamment connues pour ne pas les citer. Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont aussi leurs Berbères, représentés par les ethnies Baoulé, Agni, Ashanti, Attié, Abé et leurs sous-groupes formant le peuple Akan. Les Akan, qui s’attribuent une origine paléo-berbère, appartiennent. à cette culture de l’Ouest méditerranéen qui s’est étendue à l’Afrique.

L’ampleur prise par l’égyptologie, ses monuments imposants et ses mystérieux hiéroglyphes dès le XIXe siècle, au détriment des vestiges et de l’activité culturelle, parfois intense, d’autres civilisations beaucoup moins visibles dans le paysage ancien méditerranéen, a favorisé les déficiences dans le domaine qui nous intéresse. Par exemple, il n’existe pas de chronologies exhaustives dans cette spécialité, peu d’études ont été ou sont consacrées à ces sujets malgré les avancées archéologiques à notre époque. Certains spécialistes confrontés à cette graphie de la nuit des temps, ont même parlé d’anomalies topographiques (s/c), dues à telle ou telle particularité des roches, pour évacuer le débat. D’autres, qui se lancent dans des domaines qui les dépassent sans en connaître la langue ou les idiomes (tels l’abbé Chabot, James Février ou Georges Marcy dans leurs tentatives de lecture des stèles libyques), évoquent « des fautes de frappe » qui seraient dues au lithographe antique de la stèle.

Ces écritures anciennes du pourtour méditerranéen sont-elles une proto-écriture avérée qui viendrait rehausser le niveau culturel de ces communautés humaines antédiluviennes ou de simples et vaines expérimentations alphabétiques pour imposer un système graphique à la France ancienne, lorsque les Celtes n’étaient pas encore là? Voire des tablettes d’écolier ou de disciple au savoir balbutiant ?

Toujours est-il que la langue des Berbères est la seule qui puisse aborder objectivement ce domaine si ardu des inscriptions anciennes. Les langues ibériques se sont éteintes, les runes celtes sont de facture récente, elles datent du Moyen Âge, la langue gauloise s’est romanisée avant de définitivement disparaître. Reste le basque et le berbère. Le basque ne se consignait pas.

Figure 8. Écriture dite tafinaq (tifinagh au pluriel), en usage chez les Touaregs. Certaines consonnes du système tafinaq sont conçues à l ’aide de points, contrairement aux inscriptions libyques de Dougga qui sont gravées à l’aide de traits; un trait est un signe reliant deux points. Le Corpus de l’abbé Jean-Baptiste Chabot R.I.L. (Recueil des Inscriptions Libyques, Alger, 1940) a répertorié plus de 1500 inscriptions sur des stèles mises au jour au Maghreb. Ces stèles découvertes il y a plus d’un siècle, n’ont fait l’objet d’aucune analyse approfondie à ce jour.

L’inconvénient primordial ou la bonne fortune font que ces signes s’apparentent trop à l’ancienne écriture géométrique des paléo-Berbères, pour ne pas captiver et nous séduire. On a fait naître, à tort, l’écriture libyque de l’époque du roi Massinissa ; c’est-à- dire vers le milieu du lle siècle avant l’ère chrétienne. Dougga et les Phéniciens obligent. Alors que des milliers d’inscriptions appartenant à d’autres ères tassiliennes demeurent ignorées et indéchiffrées.

R+A= RA, En Égypte et en Chine, ⵙ

Dans le but d’améliorer la datation des inscriptions libyques, nous établissons que le hié­roglyphe archaïque égyptien RA ⵔⴰ est conçu à l’aide de deux lettres libyques superpo­sées, qui sont le ⵔ (R) et le ⴰ (A), qui énoncent distinctement l’idéogramme égyptien RA.

Pour dater l’apparition du culte de Ra en Égypte, il suffit d’étudier la religion primitive des Égyptiens. Voir à ce propos E. A. Wallis Budge, An Egyptian hieroglyphic dictionary, Dover Publications, Inc. NewYork,1978. Sachant l’ancienneté de cette divinité égyptienne, on est tenté d’étendre à l’époque archaïque de l’Égypte l’usage de la graphie libyque. Voire même : l’écriture des Égyptiens, à ses commencements, dériverait du système d’expres­sion graphique des anciens Libyens. Le mythe égyptien de la création nous apprend que la divinité Ra gouverna la terre au titre de roi des humains.

Dans la Chine archaïque, RI est le mot qui désignait « le soleil ». Ce symbole qui figure dans la nomenclature chinoise ancienne, correspondant à RA le soleil de l’Égypte pharaonique, à un phonème près, la voyelle « i » substituée à la lettre « a ». Ce terme s’articule pareille­ment. Ces sons sont exprimés par les deux lettres libyques (ancien berbère) R+A, associées.

On peut réellement envisager qu’une diffusion du symbole berbéro-égyptien a dû se produire à travers le temps et l’espace, en des temps très reculés. La notion d’interculturalité existe ainsi depuis des millénaires, et il ne s’agit pas d’un engouement passa­ger pour tempérer la brutalité récurrente des civilisations. Cette similitude à la fois gra­phique et phonologique est corroborée par la titulature royale qui affilie les souverains chinois au soleil, comme les pharaons égyptiens. En outre, comme en Égypte, l’écriture chinoise -composée de pictogrammes et de quelques idéogrammes- a débuté par des représentations métaphoriques, imagées.

La distance qui sépare Le Caire de Beijing (Pékin, Chine) s’élève à sept mille cinq cent quarante (7 540) kilomètres. La Chine a une tradition multimillénaire comme l’ancienne Égypte. Il ne s’agit plus du modique passage du détroit de Gibraltar, Ajbay N Ubrid, large de 13,800 mètres à son point le plus étroit, et de 16,030 mètres à son endroit le plus large, qui sépare le continent européen de l’Afrique.

(À suivre)

Ali Farid Belkadi
email :
 Alifbelkadi@gmail.com

Références bibliographiques succinctes :
  • Corippe La Johannide. Traduction française : J. Alix, professeur au Lycée de Tunis. Œuvre numérisée par Marc Szwajcer. http://remacle.org/bioodwolf/historiens/corippe/johannideintro.htm
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  • Fradin É., Glozel et ma vie, Édition Archeologia, Dijon, 1990.
  • Gambari F. M., and G. Colonna, « Il bicchiere con iscrizione arcaica de CastellettoTicino el’adozionedellascritturanel l’ltalia nord-occidentale»,Stuc//Etrusch/,1988, volume54, pages 119-164.
  • Gorce M., Les Pré-écritures et l ’évolution des civilisations (Dix huit mille à huit mille av. J.-C.), Klincksieck, Paris, 1974.
  • Torchet N. , Ferryn P., Gossart J., L’Affaire de Glozel, Copernic, Paris, 1978.
  • Hérodote, Histoire, édition bilingue par P. E. Legrand, Collection des universités de France, Paris, 1932-1954. Nombreuses rééditions.
  • Hérodote, L’Enquête, traduction en français par A. Barguet, Folio Gallimard, Paris, 1985 et 1990, 2 vol.
  • Lejeune M., « Documents gaulois et para-gaulois de Cisalpine », Études Celtiques, 1970-71.
  • Lejeune M. , Lepont/co, Société d’Éditions, Les Belles Lettres, Paris, 1971.
  • Lejeune M. , Recueil des inscriptions gauloises, II, 1, CNRS, Paris, 1988.
  • Lejeune M. , Dictionnaire de la langue gauloise, Errance, Paris, 2003
  • McKerrell H., Mejdahl V., François H., and PortalV., «Thermoluminescenceand Glozel», Antiquity, 48, 1974, pp. 265-272.
  • Morlet, A., GlozelI, Desgranchamps, Paris, 1929.
  • Lambert P.-Y., La langue gauloise, Errance, Paris, 2003.
  • Kruta V., Les Celtes – Histoire et dictionnaire, Laffont, Paris, 2000.
  • Frazer J. G., Sur les traces de Pausanias à travers la Grèce ancienne, ouvrage traduit de l’anglais parM. Georges Roth,avecunepréfacedeM.MauriceCroiset,2eédition, Paris, 1927.
  • Géographie de Strabon, traduit en français par AmédéeTardieu. Librairie Hachette, Paris, 1867-1890, 4 vol.

Ali FaridBelkadi
Histoire an tique/An thropologie
(Épigraphie phénicienne et libyque)

Revues et publications

  • «Le Tassili N’Ajjer à Lascaux?Sahara Preistoriae storia del Sahara». Revue Sahara n° 16. Italie, 2006.
  • « Un épigraphe libyque du lle siècle avant J.-C. ». Language Design. Journal of Theoretical and Experimental Linguistics. (ISSN: 1139-4218 DL: GR-1058-98). Université de Granada, 2007.

Conférences/Symposiums/Colloques/Études

  • XXIeValcamonica Symposium,8-14septembre2004, Brescia, Italie. «Les Protolibyens aux marges de la préhistoire ». Paru dans les actes du Colloque.
  • Colloque du GMPCA/CNRS Archéométrie 2005 (Institut National des Sciences et Techniques Nucléaires), 19-22 avril2005, Saclay (91), France. « Analyse d’une allégo­rie graphique saharienne ». Actes du Colloque.
  • XeCongrès de l’ARIC. Université d’Alger. Alger.Club des Pins. 2-6 mai 2005. « Du Sahara à Lascaux ». Actes du Colloque.
  • Vle Congressof Phoenician & Punie Studies, 26 septembre – 1eroctobre 2005. Univer­sité de Lisbonne. Portugal. Actes du Colloque.
  • The Vl th International Conférence of Language, Literature and Stylistics. June 01 -02, 2006 Université Isparta/Turquie. Actes du Colloque.
  • IIe Congreso Internacional sobre lenguasy culturas del mundo Lenguaje e lntegraciôn Sociocultural. Universidad Granada 8-10 de noviembre de 2006. Actes du Col­loque.
  • Colloque « Autour de l’oralité et de l’écriture ». 18 avril 2007 au 19 avril 2007. Faculté des lettres El Jadida, Maroc. Actes du Colloque.
  • Colloque International, CREAD_2007. Bibliothèque du Hamma, 10/11 / 12 novembre2007 Actes du Colloque.
  • Colloque, Iconographie et Religions dans le Maghreb antique et médiéval. Institut Supérieur des Métiers du Patrimoine, 21-22-23 février 2008. Université deTunis, Tunisie.
  • Colloque international sur le Tourisme, secteur de l’économie de substitution et de développement durable. Alger 12/13 avril 2008.
  • Colloque international : « Interculturalité : Enjeux pour les Pays du Sud ». Université de Bejaia. 19 et 20 novembre 2008.
  • Dénombrement et étude au musée du Louvre (Paris) des stèles puniques d’El-Hofra (Constantine).
  • Étude de la stèle du Mausolée de Dougga, au British Muséum (Londres).
  • Découverte au Muséum national d’histoire naturelle de Paris d’une cinquan­taine de têtes de résistants algériens, décapités par les Français durant la période 1840/1860.
  • Publication : « Boubaghla, le sultan à la mule grise. La résistance des Chorfas». Éditons Thala, Alger. Novembre 2014.