Ichouqan , la ville numide et ses milliers de tombeaux mégalithiques

Ichouqan est une ancienne ville numide célèbre pour sa nécropole qui contient des milliers de tombeaux mégalithiques. Située au sud de Timgad, et de quelques encablures au nord de imi n Tob ( foum toub , 50 kilomètre de Batna) .
Ichouqan s’élève sur un plateau étroit que bordent deux ravins. Le premier est appelé Akhanneq n Sebaâ regoud (défilé des sept dormants) ou imi n Qsantina (gorge de Constantine) , et le deuxième Akhanneq n Lakhreth (défilé de l’autre Monde).
Emile Masqueray identifie Ichouqan au mons Aspidis (mont du Bouclier) signalé par Procope dans la guerre des Vandales. Salomon, le chef vandale avec son armée, s’est retranché trois jours dans cet endroit lors de sa compagne contre les maures de l’Aurès (1).
C’est dans cet endroit également, que des insurgés chaouis se sont retranchés pendant la révolte de 1879 contre la France (insurrection de Bouhqanoucht) (2).

Entrée du défilé , à gauche Akhanneq n Sebaâ regoud , à droite Akhanneq n Lakhreth

Le commandant Payen, le premier qui découvrit la ville en 1869, avait estimé le nombre des tombeaux à 1 500 (3). Emile Masqueray quant à lui, avait compté entre djebel Bou Driessen et du djebel Kharrouba 1 000 et 2 000 chouchets(3) et bazinas : « Ils ont 2 mètres 50 centimètres ou 3 mètres de hauteur, et sont recouverts de larges dalles ». Enfin, le colonel Delartigue dans sa monographie de l’Aurès, avance le chiffre de 3000.
Après Payen et Masqueray , un ethnologue allemand , Leo Frobenius avait pratiqué des fouilles dans le site en 1914 . Il avait constaté dans chaque monument l’existence d’un coffre funéraire quadrangulaire, de petites dimensions (0,90 m X 0,45 m en moyenne), déterminé par quatre dalles ou plus, ne renfermant en principe qu’un seul sujet inhumé en position contractée (5). La neige, et l’éclatement de la guerre de 1914 l’ont contraint à abandonner les fouilles.

La signification du mot
orthographiée « Ichoukkân » par Masquary , « ichoukkane » par G. Camps , ou encore Ichoukhrane et Ichoukrina par le colonel Delartigue . Le premier pense que le mot doit être décomposé en ich-ou-qan : « Les Berbères nomment ce lieu Ichoukkân, je n’ai pu encore déterminer la signification de ce nom. « ich » signifie corne; mais que peut vouloir dire kan, que j’ai entendu ailleurs prononcer qan ? …. […] J’ai entendu, au pied du Chellîya ich-el-kom » (6).
Selon M. Duveyrier, la signification du mot Ichouqan serait La Forêt. Il écrit en note du rapport de Masquary dans le bulletin de la Société de Géographie de Paris de 1874 : « Le sens du nom ichoukkân me parait facile à trouver sans qu’il soit besoin de le décomposer. J’y vois une variante dialectique d’ehichkân pluriel d’ehichk qui signifie un arbre dans la langue des Aouelimmiden . ichoukkân serait alors un nom comparable à celui de La Forêt, en France. On sait que l’Aouras, comme l’Algérie tout entière, a été fortement déboisé depuis l’invasion arabe ».
Nous contestons, quant à nous ces deux hypothèses. Primo, la forme du mot Ichouqan (qui se prononce Qan et non pas Kan) est clairement celle d’un pluriel en thachawith du mot « Achqoun ». La décomposition du mot est donc incorrecte.
Secundo, le mot arbre se dit «thassata » en thachawit, et la nature du site, en plus un plateau aride entre deux ravins, semble peu favorable à une végétation luxuriante.
Et si le mot Achqoun désignerait tout simplement un tombaux mégalithique ? Avec deux milles tombeaux, la désignation du site par « Ichouqan » , nous semble fort plausible .
Description du site d’après Masquary
En 1876, alors qu’il était en tournée dans l’Aurès, Masquary qui voulait rallier Ichamoul à partir de Timgad, et au lieu de suivre le chemin que la plupart des voyageurs empruntent, c’est-à-dire le lit du ravin des Sebaâ R’goud , il s’en est détourné . Il décrit son voyage en ces termes : « Le hasard fit qu’en passant à mon tour de la plaine de Firaz dans celle de Tahammâmt, je ne suivis pas le chemin ordinaire. Comme j’étais arrivé, venant du nord, au point de jonction des deux ravins, de l’Akhra, et du Sebaâ R’goud, mon guide prétendit que le chemin tracé au fond du ravin des Sebaâ R’goud était encombré de rochers, impraticable, et assura qu’il valait mieux monter droit par dessus la montagne, entre les deux ravins. J’hésitai quelque temps, parce que la pointe que nous avions devant les yeux, composée d’assises superposées comme les plaques d’un bouclier, et bombée comme une carapace de tortue, me paraissait insurmontable; mais je reconnus bientôt que les pieds de nos chevaux et de nos mulets pouvaient mordre sur le grès qui constitue tout ce terrain, et, après une courte ascension, je me trouvai sur un plateau étroit, bordé de précipices. Je le suivais dans sa longueur, du nord au sud, pour redescendre de l’autre côté dans la plaine de Tahammâmt. Tout à coup, j’aperçus sur ma gauche d’énormes blocs de pierre singulièrement distribués. J’y allai, et après une courte inspection, je résolus d’y travailler. J’y suis resté cinq jours.
« Il y a bien là certainement une ville berbère. Le fer de lance compris entre la Khânguet El-Akhra (Akhanneq n Lakhreth) et la Khângua Sebaâ R’goud (Akhanneq n Sebaâ R’goud ) est séparé du reste du plateau par une longue muraille qui va d’un ravin à l’autre, et l’isole complètement. Cette muraille se compose de gros blocs mal taillés. A l’intérieur sont des traces de murs et des ruines évidentes de grosses maisons, dont l’appareil très grossier exclut toute idée de construction romaine. Du côté du ravin du Seba’a Regoûd, et juste au bord du précipice on trouve les débris d’une forteresse de même genre, et, du côté du ravin de l’Akhra, des sortes de grosses tours défendent aussi l’accès de la ville ».

Chouchet , tombeau rond du mont Kharrouba d’après Payen

Description des tombeaux
« En dehors de la ville, sur le plateau, commencent immédiatement les tombeaux. Ils se suivent en longues lignes du sud au nord, principalement le long du ravin des Sebaâ R’goud. Auprès de la muraille, ils sont pressés les uns contre les autres, de telle sorte qu’on ne peut savoir si ce sont des bases de tours ou des tombeaux véritables. Quelques-uns sont encore très-bien conservés. Ils ont la forme de tours de 5 mètres de diamètre environ et d’une épaisseur de 1 mètre 50 centimètres, quelquefois 2 mètres ils sont composés de fortes pierres, grandes et bien ajustées » (7).

Monuments mégalithiques d’Ichouqan d’après L. Frobenius.

Masqueray a effectué des fouilles sur le plateau d’ichouqan , sur le mont Bou Dhriessen et celui de Kharrouba . Il a toujours trouvé des squelettes dans ce qu’il appelait proprement tombeau, jamais rien trouvé dans les tours.
Dans son compte-rendu à la société géographique de Paris, il note : « le squelette se trouve au fond de cette chambre, reposant sur le sol, accroupi, la tête vers le nord nord-ouest. On ne trouve pas toujours de poterie à côté de la tête, dans les tombeaux du Kharroûba. J’ai trouvé dans certains tombeaux la poterie seule et point de squelette. Plusieurs tombeaux aussi étaient complètement vides, bien que la dalle n’eût pas été déplacée. J’ai même trouvé dans un tombeau cette exception singulière : un squelette la tête tournée vers le sud ».
Il a extrait plusieurs têtes entières et les a emballées dans deux caisses, en y joignant de la poterie et des hélices qu’il a trouvés en dessous des ossements, avant de l’expédier à Paris.
En plus des tombeaux et des tours d’Ichouqan , Emile Masqueray a également exploré la grotte de Sebaâ regoud ( des sept dormants) . Cette caverne pratiquée par les eaux dans la muraille qui surplombe la rive gauche de l’oued, est l’objet de vénération de la population locale qui y vient former et accomplir des vœux.
Identification d’Ichouqan au « mons Aspidis », le mont du bouclier de Procope
Dans sa guerre des Vandales , Procope parle deux fois de l’Aurasius Mons ; la montagne de l’Aurès . La première fois (Vandales, II, 13), il déclare que l’Aurès est une montagne élevée, située à treize jours de marche de Carthage, elle est longée par le fleuve Amigas qui arrose toute cette contrée et dont la ville de Timgad se trouve à l’ouest.
Emile Masqueray identifie cet Aurès au mont Mehmel des Aïth Abdi (à ne pas confondre avec celui des Aïth Rechach près de Khenchela), et l’Amigas à l’Ighzar n Thaqqa qu’on connait aujourd’hui. Il note : « Cet Aouras ne peut être que le Mehmel des ‘Abdi. Il parvient jusqu’à une journée de marche de la montagne, et, du point où il s’est arrêté, ses auxiliaires berbères peuvent aller touts les jours, dit expressément Procope, communiquer avec les compatriotes révoltés. Salomon ne pousse pas plus avant, mais il avise près de lui dans la montagne une position fortifiée par la nature et où se trouvait une forteresse ancienne .Il s’y retranche; il y reste trois jours; à la fin, sa petite armée menaçant de se désorganiser et d’ailleurs manquant de vivres, il est forcé de battre en retraite. Le lieu où s’est ainsi établi Salomon pendant trois jours doit être, suivant moi, la ville d’Ichoukkân … […] …Cette sorte de presqu’île pointue et convexe comme une écaille de tortue entre Akhanneq n Lakhreth et l’ Akhanneq n Sebaâ R’goud , conclue-t-il , a bien la forme d’un bouclier ».

tombeau d’ichouqan vue aérienne
tombeau d’ichouqan , vue latérale

Le magnifique site d’ichouqan et son immense nécropole a été longtemps négligé par les pouvoir public. Ne bénéficiant pas de programme de protection et de revalorisation, nombreux tombeaux sont en état de détérioration avancée.
Son classement l’année dernière : patrimoine national protégé, a été bien accueilli par les amoureux de l’Histoire de la région, qui espèrent que le site d’Ichouqan sera enfin sauvé d’une disparition qui semble inéluctable.

Jugurtha Hanachi
Note :


(1) Procope «la guerre des Vandales » (II, 13)

(2) Ernest Fallot, Par-delà la Méditerranée. Kabylie, Aurès, Kroumirie, (20 août 1885.)
(3) PAYEN Cdt, “Lettre sur les tombeaux circulaires de la province de Constantine”, Annuaire de la Soc. archéol. de Constantine, t. VIII, 1863,
(4) « les chouchets sont l’aboutissement de l’évolution architecturale des dolmens. Ils situent dans la zone méridionale de la grande région mégalithique algéro-tunisienne : elles occupent essentiellement l’Aurès, et, en dehors de ce massif, on ne connaît qu’un seul au nord du Hodna » G. Camps, « Ichoukkâne », in 23 | Hiempsal – Icosium, Aix-en-Provence, Edisud (« Volumes »,no 23) , 2000 [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 18 septembre 2015. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/1631 .
(5) FROBENIUS L., “Der Kleinafrikanische grabbau”, Præhistorische Zeitschrift, 1916.

(6) MASQUERAY E., Voyage dans l’Aourès, Bull, de la Soc. de Géographie de Paris, 1874
(7) ibid