Puniques et Numides – Les Phéniciens en Afrique du Nord – Partie 1

La publication intitulée Puniques et Numides Les Phéniciens en Afrique du Nord traite trois grandes thématiques :
Première partie : Les Phéniciens et la Méditerranée orientale
Deuxième partie : Les Puniques et la Méditerranée occidentale (disponible ici)
Troisième partie : L’Afrique des Numides (disponible ici)
Nous avons décidé de publier cette étude à travers trois articles, en voici la partie 1

Après ‘Grecs et Libyques‘, ce second texte vient compléter les recherches entreprises pour tenter de remonter aux origines possibles de la symbolique décorative caractérisant l’orfèvrerie aurésienne, ou tout au moins ses aires d’influence. Cette étude étaye également une analyse précédente, consacrée au ‘Signe de Tanit‘. L’impact symbolique et culturel de Tanit, déesse punique de la Fécondité, est tel qu’il a semblé nécessaire de l’analyser indépendamment.

Sur bien des points, la civilisation phénicienne a eu une forte influence sur celle des Grecs. La Phénicie  demeure le lieu de la création du premier alphabet. Elle a également servi de tremplin aux civilisations antérieures : mésopotamiennes ou syriennes. On pourrait donc se poser la question de savoir pourquoi elle figure en deuxième volet dans cette quête de l’histoire amazighe. La réponse est tout simplement d’ordre géographique et historique. La première véritable « colonisation » durable fut celle des Grecs de Cyrénaïque, suivie ensuite par la fondation de Carthage. L’analyse montrera que les Puniques, et par voie de conséquence, les Numides, sont restés fortement influencés par la culture grecque.

Il est d’ores et déjà intéressant de constater que ce triple amalgame aura des répercussions culturelles indélébiles jusqu’aux temps modernes !

Ce volet apparaît donc comme un maillon essentiel dans la recherche d’interprétation des figures géométriques de la parure féminine amazighe / berbère.

Il est vraisemblable que l’apport symbolique de la décoration était déjà en place avant l’arrivée des Romains, qui n’ont fait que conserver ce qui existait déjà.

« Carthago delenda est » [‘Il faut détruire Carthage‘]: cette citation martelée par le sénateur romain Caton est devenue réalité quand Rome, victorieuse de la IIIe guerre punique, détruit sa rivale [en 146 av. J.-C.] pour s’y établir à son tour. On peut malgré tout se poser la question suivante: Carthage a-t-elle vraiment été anéantie en totalité ? Or, cette première interrogation en entraine une seconde : est-il possible d’oblitérer la mémoire d’une culture de manière irrémédiable ?

On peut certes faire disparaître des murs, des monuments, voire des êtres vivants. Toutefois, il est vraisemblable qu’il en restera des traces archéologiques, et surtout des éléments culturels et linguistiques indélébiles. Or justement, les archéologues ont découvert récemment quelques  éléments puniques. « La ville fut détruite […] mais elle ne fut pas rasée de fond en comble, comme le veut la légende ». À Byrsa, par exemple, « sont apparus des murs encore assez élevés (jusqu’à 3 m)[1] ».

De surcroît, il semble improbable d’éradiquer un héritage qui s’est prolongé pendant sept cents ans. « Au Ve siècle, à l’époque de saint Augustin, le punique était encore parlé aux environs de Constantine, du moins dans la région d’Hippone (Bône-Annaba) et de Thagaste (Souk-Ahras), mais c’était un parler dont se servaient les paysans et que les savants dédaignaient[2]».

On a pu s’attaquer aux fondements de Carthage, sans toutefois nuire à l’existence d’un autre peuple, appelé les Numides. Ce terme est utilisé par convenance, plus que par réalité physique et historique, afin de l’opposer au terme libyque, utilisé par les Grecs. Car, ce sont bien les Numides qui porteront le flambeau punique après la destruction de Carthage, puisqu’ils en ont été les bénéficiaires directs.

Par ironie du sort, au cours de la 1ère guerre punique, les Romains ont détruit Kerkouane’, petite colonie punique du cap Bon. La ville a été alors délaissée et a été oubliée. Or ce site, dorénavant classé par l’Unesco[3], a révélé aux archéologues, non seulement de précieuses données sur l’habitat punique mais aussi la confirmation d’une symbiose autochtone numide, souvent appelée libyco-punique.

Dans la perspective d’une connaissance antérieure à la date fatidique de la destruction de Carthage, marquant le commencement de l’ère romaine, il semble opportun d’y ajouter une dimension locale : celle des Numides. Le texte ‘Grecs et Libyques‘ s’est efforcé de faire le point sur la partie orientale du territoire nord-africain, connu alors comme étant le pays libyen. Il apparaît donc légitime, à ce stade, de se pencher sur les relations existantes entre Puniques et Numides plus à l’ouest. Cette tâche n’est pas aisée car toutes les données existantes sur cette période se bornent le plus souvent à une stricte analyse du monde grec ou phénicien, certes plus spécifiquement circonstanciée par un plus large éventail de traces écrites ou archéologiques. Si la plupart des études mentionnent d’une façon ou d’une autre les « Berbères », il n’existe guère que deux spécialistes dans ce domaine qui s’intéressent véritablement au peuple Amazigh : ce sont l’anthropologue Georges Camps et le sociologue Jean Servier. « Les Berbères ont constitué, au fil des millénaires, la trame de l’histoire du Maghreb quelle qu’ait été la langue dominante, pénétrant la pensée des peuples qui ont été parfois en contact avec eux. […] La civilisation berbère est héritière des civilisations méditerranéennes, capables, au fil des siècles, de fournir des lettrés à Rome, des Pères de l’Église au christianisme, des dynasties à l’Empire musulman, des saints à l’Islam, aussi des révoltés pour l’honneur et l’indépendance des villages[4] ». C’est donc bien cet héritage qu’il convient de considérer.

Le terme de ‘numide‘ fait référence aux peuplades amazighes couvrant l’actuelle Tunisie. Quant à celui de ‘punique‘, il désigne la civilisation phénicienne, carthaginoise, profondément altérée par des influences locales. Il faut préciser que Carthage, de par ses propensions maritime et  commerciale, abritait également des Grecs, des Cananéens et des Hébreux, venus s’y établir. Bien évidemment, la population numide constituait un apport majoritaire en fonction de son positionnement géographique.

L’approche abordée dans cette analyse s’efforce de synthétiser plusieurs sources. Une tâche ardue qui tente de rassembler les différents morceaux d’un puzzle pour tenter – autant que possible – de reconstituer une image plus claire du monde Amazigh dans son ensemble. Il ne s’agit encore que d’un voile levé, mais l’avancée des données techniques et scientifiques l’a déjà bien dépoussiéré.

Cette réflexion se fait donc en trois étapes. [+] La recherche d’une connaissance actualisée sur les Phéniciens, permet de mieux cerner les Carthaginois (Puniques). Ensuite, l’implantation prolongée de ces derniers, dans ce qui est aujourd’hui en grande partie la Tunisie, éclaire leur relation avec les populations amazighes indigènes. On verra donc qu’il s’agit plus d’une symbiose culturelle, à double sens, scellée par la durée temporelle et humaine d’un brassage devenu vraisemblablement indélébile.

Ce texte fait suite à un premier article consacré aux Grecs et aux Libyques et dans lequel, on évoquait déjà cette fusion culturelle entre deux civilisations. Il faudra songer ensuite à aborder une troisième étude : celle des Hébreux, déjà présents à Cyrène et à Carthage. On aura alors une vision plus précise des éléments qui marqueront l’histoire de l’Afrique du Nord dans l’Antiquité.

Dans un premier temps, il convient donc de rappeler le rôle historique joué par Carthage en relation avec ce peuple oriental sémitique, communément appelé les Phéniciens.

  1. Première partie : Les Phéniciens et la Méditerranée orientale.
  1. Les Phéniciens.

Ancêtres des Libanais, les Phéniciens ont joué un rôle-clé dans l’histoire de l’Antiquité du Proche-Orient. Les spécialistes insistent malgré tout sur le fait qu’il n’y a pas eu une aire phénicienne homogène. Il existait plutôt des villes-États côtières partageant une identité socio-culturelle calquée sur un modèle identique. « Les Phéniciens, s’ils n’ont jamais formé une entité politique unifiée, partageaient une langue commune, apparentée à l’hébreu ou à l’arabe, ainsi qu’un même substrat culturel, religieux et artistique[5] ». Ce rôle a été mené principalement par Tyr et Byblos.

Le monde égéen grec a servi de plateforme maritime propice aux échanges avec les Phéniciens. Le terme ”phénicien” est dû aux Hellènes. « Les Grecs leur ont donné le nom […] le mot grec ‘phoinix’ [φοȋνιξ] désignant aussi bien le palmier dattier que la couleur rouge[6] ». Le dernier élément de la citation fait allusion à la teinture de pourpre, dont les Phéniciens faisaient le commerce.

1.1. Aire géographique.

Dans cette région orientale du bassin méditerranéen, l’influence phénicienne a été triple, sur trois continents. Les côtes orientales méditerranéennes étaient en contact direct avec les grands courants moyen-orientaux à l’amont dont elles étaient issues; mais à l’aval, la façade maritime avait permis des échanges avec le monde grec et également avec les Égyptiens voisins ; puis peu à peu avec le reste de l’Afrique du Nord. Les Phéniciens, de par leurs velléités commerciales, ont donc joué un rôle essentiel en fonction de leur positionnement géographique.

1.2. Le Levant, carrefour des civilisations.

L’aire géographique de ce territoire, les a placés au cœur des bouillons de culture d’alors : les Mésopotamiens, les Syriens, les Hittites, les Perses, les Hébreux, les Égyptiens, puis bien sûr les Grecs. Françoise Briquel-Chatonnet[7] évoque par exemple le changement politique qui s’est opéré au début du Ier millénaire. Le « repli des grandes puissances régionales permet aussi la naissance des

royaumes araméens en Syrie, des royaumes d’Israël et de Juda, des royaumes philistins et trans-jordaniens, avec lesquels les cités phéniciennes entrent en relation ».

En évoquant la civilisation phénicienne, on l’associe d’ordinaire à sa puissance maritime. Or, il existait également d’importants échanges terrestres venant compléter les velléités commerciales.

1.3.Le commerce terrestre et maritime.

Si la géopolitique explique en partie leur rôle, leur influence socio-culturelle vient ensuite solidifier cet atout. Commerçants dans l’âme, ils ont ainsi tissé un réseau de négoce qui les a poussés sur terre comme sur mer. En fait, leur fabuleuse puissance maritime, guerrière et commerciale, fait souvent oublier leur importance commerciale terrestre. Un négoce terrestre existait déjà avec l’arrière-pays  levantin.

1.3.1.Commerçants. Par ailleurs, les Phéniciens se sont très tôt révélé comme un peuple de marchands efficaces. Les échanges terrestres ont donc tout d’abord joué un rôle important. Il s’agit là d’un aspect à retenir, car il sera repris à Carthage où, souvent peu évoqués, ils ont joué également un grand rôle. Il n’est pas improbable en effet que par l’intermédiaire du peuple libyen des Garamantes, les Carthaginois aient établi un commerce transsaharien jusqu’au Golfe de Guinée.

1.3.2.Navigateurs. Leur force majeure était surtout d’être un peuple de marins exceptionnels. Les Phéniciens étaient de fabuleux navigateurs à qui l’on doit l’avancée des techniques de navigation de l’époque, Leurs ports d’origine sont situés sur la côte méditerranéenne comme le sont tous leurs principaux comptoirs. Ce sont les seuls à avoir dépassé les colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar) et à avoir fondé des comptoirs en Andalousie, sur la côte marocaine, et peut-être même aux Canaries et dans le golfe de Guinée. L’ouvrage consacré aux ‘Phéniciens, Aux origines du Liban[8]’ évoque qu’à l’époque des pharaons saïtes (664 et 525), ils avaient même doublé l’extrême cap austral de l’Afrique (le cap de Bonne-Espérance).

1.3.3.Comptoirs côtiers. Leurs velléités commerciales les a donc poussés à essaimer avant tout le bassin méditerranéen en y créant des comptoirs commerciaux. C’est ainsi, que du levant au couchant, ils sont devenus les Prométhées de la diffusion culturo-religieuse en Méditerranée. « La côte phénicienne s’est donc trouvée en cette première moitié du Ier millénaire au centre d’un vaste réseau d’échanges qui allait des côtes de l’Atlantique jusqu’aux contreforts du plateau iranien, et de l’Anatolie jusqu’à l’Égypte[9] ».

1.4.Le prestige mercantile des Phéniciens.

Le commerce des villes phéniciennes revêtait deux objectifs principaux : la recherche des métaux précieux et le négoce de produits finis. Les Égyptiens, peuple du désert, étaient férus de l’importation du bois de cèdre. « Culturellement très influencés par l’Égypte, les Phéniciens échangeaient le bois dont manquait la vallée du Nil contre du papyrus[10] ». C’était d’ailleurs l’apanage de la ville de Byblos [βύβλος], dont le nom grec tire son origine de la fabrication du papyrus [βύβλος]. « Exportatrice de papyrus, la ville, […] laissera son nom aux rouleaux de papyrus (‘byblos’ en grec signifie livre)[11] ».

1.5.Les inventeurs de l’alphabet.

Fait encore plus remarquable, ils ont été les initiateurs du premier alphabet (1300 av.J.-C, selon Hérodote). Les Grecs l’ont ensuite adapté à leur langue, prenant souvent modèle, dans bien des domaines, sur la fructueuse influence phénicienne.

L’alphabet phénicien, fondé sur une langue sémitique, donc consonantique, comporte 22 lettres. L’alphabet grec (puis latin) en comporte 26, car il inclut cette fois des voyelles. L’alphabet tifinagh, lui, comporte 24 lettres. A-t-il été influencé par l’alphabet phénicien ? C’est possible, si l’on considère l’ancienneté historique du phénicien (-1300 av. J.-C.), et du grec (vers le VIIIe av. J.-C.). Les tifinagh dateraient du IIIe av. J.-C., antérieurs donc à l’alphabet hébraïque (vers le IIe av. J.-C.) et à l’alphabet arabe (512 apr. J.-C.). La question de l’origine du tifinagh n’a pas encore été totalement résolue. Le linguiste Salem Chaker pense malgré tout, qu’une origine séparée semble peu probable. Historiquement parlant, il est indéniable que Libyques et Numides, avaient déjà eu connaissance des alphabets phénicien à Carthage, et grec en Cyrénaïque. Comme les autres alphabets, le Tifinagh ne serait qu’une adaptation linguistique du tamazight, qui n’est pas une langue sémitique au même titre que le phénicien, le maltais, l’hébreu ou l’arabe, ce qui explique qu’il comporte un nombre supérieur de lettres (24 au lieu de 22). Le tamazight [ⵜⴰⵎⴰⵣⵉⵖⵜ] appartient au groupe des langues dites chamito-sémitiques, dont une autre branche est d’ailleurs l’ancien égyptien.

1.6.La recherche des métaux et l’expansion maritime.

Les Phéniciens avaient donc dépassé les limites maritimes d’alors, celles des colonnes d’Héraclès. Leur présence sur la côte atlantique du Maroc est attestée. « L’aventure atlantique des Phéniciens est confirmée par les traces archéologiques de leur présence sur la côte du Maroc, où ils ont fondé notamment Agadir[12] ». En voici une liste alphabétique : Anfa (Casablanca), Azamma (Azemmour), Cerné (Essaouira, 9e siècle av.J.-C.), Lixus (Larache, 1146 av.J.-C.), Rusbisis (El Jadida, 650 av.J.-C.), Rusadir (Melilla), Sala Colonia (Rabat) et Chellah (Salé), Tamuda (Tétouan, fondée par Hanon), Thusmida (Medhya), Tingi (Tanger), Tizas (Taza), Volubilis, Zilis (Asilah)[13]. « La tradition littéraire transmise par les Grecs rapporte que les plus anciennes fondations coloniales en Afrique du Nord – Utique –, au-delà du détroit de Gibraltar en Espagne – Cadix – ou au Maroc – Lixus – remonteraient au XIIe siècle[14] (av.J.-C.) ». Il est vraisemblable aussi qu’ils soient allés explorer le nord des côtes européennes (le voyage d’Himilchon au Ve siècle av.J.-C.) : les îles Scilly, au large de la Cornouaille (route de l’étain), et peut-être même jusqu’en Scandinavie. « Le Périple d’Hannon » parle également d’un trafic maritime qui serait allé jusque dans le golfe de Guinée (route de l’or). Sans vouloir extrapoler sur ce sujet, encore un peu flou, et à qui il manque des preuves scientifiques tangibles, on voit bien à quel point les Phéniciens ont été un élément majeur dans les échanges des idées et de la connaissance. À ce propos, le texte ‘Grecs et Libyques[15]’ évoquait les mythes grecs situés sur ce vaste territoire de la façade atlantique.

1.7.L’existence d’une route commerciale transsaharienne.

En outre, il semble à peu près certain que les Carthaginois – comme les Grecs de Cyrénaïque – avaient également établi une route commerciale terrestre transsaharienne grâce aux Garamantes. Il faudra attendre la reprise des recherches faites par l’université de Leicester en Angleterre, pour en savoir davantage sur le peuple présumé Amazigh des Garamantes que Gabriel Camps[16] appelait « les conducteurs de chars ». « Il n’est pas exagéré de dire qu’il exista une culture garamantique nourrie d’un commerce transsaharien qui assurait les relations entre les pays du nord, imprégnés des civilisations méditerranéennes et ceux du sud où la savane abrite les cultures africaines[17] ». Cette route permettait d’alimenter les ports côtiers de produits tels que l’ivoire, les animaux sauvages, ou les œufs d’autruche. « Les œufs d’autruche […] étaient l’un des produits exotiques du commerce phénicien et punique[18] ».

1.8.Les autres caractéristiques des Phéniciens.

Peuple sémitique, les cités-États de Phénicie partageaient une même culture, une même langue, et avec quelques légères différences, des croyances religieuses apparentées. « La langue phénicienne, langue sémitique de la même famille que l’hébreu et l’arabe[19] ». Ces langues sont des langues phonétiquement consonantiques. Or ce qui va caractériser les Phéniciens sera l’invention de l’alphabet, marquant ainsi un tournant décisif dans l’histoire de l’écriture. Cet apport majeur vient donc s’ajouter au rôle joué par Byblos dans la confection des papyrus.

Les différentes croyances religieuses de l’Antiquité ont souvent créé des émules en dehors du cadre strict du territoire où elles se trouvaient. L’oracle de Siwa en Égypte, à cheval entre le monde libyque et celui du Nil a donné deux versions : celle de Ba’al-Hammon d’un côté et Amon-Ré de l’autre. « La religion phénicienne est également caractérisée à la fois par l’unité et la diversité. Si les grandes figures divines héritées du millénaire précédent sont toujours vivantes, comme El, chaque cité semble s’être mise sous la protection d’un couple divin particulier : […] À Tyr, le panthéon était dominé par Milqart, dont le nom signifie « Roi de la cité » et qui était Baal, le maître de Tyr, associé à Astarté[20]». On ne s’étonnera pas alors d’assister à une sorte de mutation opérée chez les Puniques au contact avec les Numides.

2.Tyr.

Parmi les cités-États de ce qu’il est convenu d’appeler la Phénicie, la ville historique de Tyr semble avoir joué un rôle crucial, tant et si bien qu’elle a été à la base de plusieurs mythes persistants, directement liés au cadre de cette étude.  La fondation présumée de Tyr[21] remonterait à 2750 av. J.-C, selon Hérodote. Cette ville située au sud de Beyrouth, la plus méridionale des cités de la côte phénicienne, s’appelle maintenant Sour [صور]. Selon Françoise Briquel-Chatonnet et Éric Gubel[22] ”son nom phénicien, Sôr, signifie « rocher »”, en fonction du  ”groupe d’îlots sur lesquels elle a été érigée” (p.76). Selon les mêmes sources[23],”Tyr devient la cité dominante à l’époque phénicienne” et entretient des ” relations privilégiées avec Israël”.

2.1.Géopolitique : Située dans la partie sud de l’actuel Liban, la cité de Tyr est à la fois, la voisine d’Israël, et géographiquement la plus proche de l’Égypte pharaonique. Les contacts avec ces deux dernières entités n’en ont été que plus aisés, comme les données historiques le confirment.

Toutefois, la position levantine de Tyr, rendait les échanges avec la partie occidentale de la Méditerranée, moins faciles. Ce handicap a été résolu à la fondation de Carthage, puisqu’ Élissa était une princesse tyrienne et que les liens entre les deux cités ont perduré. Ce recentrage géopolitique a été crucial dans l’historique des relations occidentales africaines et européennes.

2.2.Références historiques : Ce sont des sources grecques qui évoquent le passé de la cité de Tyr. C’est surtout grâce à Hérodote, celui que l’on surnomme le « Père de l’Histoire ». Hérodote d’Halicarnasse [Ἡρόδοτος] (480-425 av.J.C.) aurait en effet visité Tyr au 5e siècle av. J.-C. Des prêtres du temple de Melkart lui auraient alors parlé de la fondation de Tyr, 2300 ans plus tôt. La date de 2750 av. J.-C. a été confirmée par l’archéologie.

2.3.Religion : Le dieu Milqart (autre orthographe de cette divinité) semble avoir été ”le maître de Tyr”. Françoise Briquel-Chatonnet[24] ajoute que : « le Ier millénaire voit en outre le développement de cultes liés à l’idée d’endormissement et de réveil annuel d’un jeune, Milqart à Tyr, Adonis à Byblos, périodes dont l’alternance marque le rythme de la végétation en hiver et au printemps, tout en jouant un rôle dans la régénération du pouvoir royal et de l’ordre du monde. Le culte d’Adonis, lié au cycle égyptien d’Osiris, connaîtra un développement jusqu’à Athènes » (p.104). Autre fait intéressant selon les mêmes sources : « le temple de Milqart de Tyr » aurait servi de modèle aux « colonnes Jakin et Boaz devant le temple de Jérusalem » [réf. Livre II des Chroniques / Livres des Rois et d’Ezéchiel] (p.110). Milqart aurait également été « assimilé à Héraclès à Tyr » (p.107). Quant à Baal, son nom signifie ”le Maître” ou ”le Seigneur” et il était « le dieu ancestral de l’orage brandissant un éclair », comme l’a été Zeus ensuite.

2.4.Des mythes évocateurs: Un certain nombre de mythes connus soulignent l’impact culturel que les cités phéniciennes ont pu avoir avec les autres peuples méditerranéens.

Les rapports avec l’Égypte étaient étroits, d’une part pour des raisons évidentes de proximité, mais également en fonction du rayonnement culturel de la civilisation du Nil. S’ajoutent à cela des raisons commerciales et maritimes puisque les Phéniciens offraient aux Égyptiens une ouverture sur leur façade marine en complément de la navigation sur le Nil.

Les mythes évoqués ci-dessous illustrent donc les échanges qui ont pu avoir lieu avec la Grèce antique, avec les Hébreux, voisins et peuple sémitique comme eux, avec les peuples libyques d’Afrique du Nord, grâce en particulier à l’implantation de la colonie carthaginoise.

2.4.1.Le mythe d’Europe – Ce mythe grec révèle deux aspects fondamentaux de l’interaction que la Grèce antique a pu avoir avec la Phénicie. Il illustre d’abord la volonté grecque d’une ouverture vers le Levant, sous le couvert de Zeus, père des dieux. Et ensuite il souligne l’importance du leg phénicien. Le nom de la princesse tyrienne, Europe [Εὐρώπη], deviendra celui de tout un continent À ce propos, l’étymologie linguistique apporte une précision supplémentaire fort intéressante. « Sous le nom d’Europe, on reconnaît une racine sémitique signifiant l’« occident », tandis que celui de Cadmos désigne l’ « orient ». Ainsi, la Phénicie était bien pour les Grecs le lieu mythique de jonction entre l’Orient et l’Occident et l’Europe était un don de Tyr[25] ». On pourrait illustrer ce mythe par le symbole de l’Ouroboros [οὐροϐóρο], le serpent qui se mord la queue. Dans son enfance, Rhéa [Ῥέα] cache au regard de Cronos [Κρόνος] son nouveau-né, Zeus, afin d’éviter qu’il soit dévoré par son père. Zeus [Ζεύς] passe alors son enfance en Crète. Or, lorsqu’il enlève Europe [Εὐρώπη] sous l’apparence d’un taureau blanc, il retourne en Crète, où la descendance d’Europe comptera en particulier le roi Minos [Μίνως], puis le Minotaure [Μινώταυρος], mi-homme mi-taureau, né des amours de Pasiphaé [Πασιφάη], épouse de Minos, avec un taureau blanc envoyé par Poséidon [Ποσειδῶν], le propre frère de Zeus. La Crète et le taureau blanc font figure d’une double récurrence impliquant l’image du cycle cosmique évoqué par l’Ouroboros.

Voici le récit de l’enlèvement d’Europe, raconté par Jean-Pierre Vernant[26] : « Europe est une ravissante jeune vierge qui, sur le rivage marin de Tyr, joue avec ses compagnes. […] Zeus la voit et la convoite aussitôt. Il prend la forme d’un magnifique taureau blanc avec les cornes en forme de quart de lune. […] Par sa façon de se comporter, le taureau lui donne toutes les raisons d’être rassurée. […] Zeus et Europe voyageuse passent d’Asie en Crète. Là, Zeus s’unit avec Europe et, leur union consommée, il la fixe d’une certaine façon en Crète. »

Cet épisode mythique présente plusieurs images-clés caractérisant les civilisations méditerranéennes : le mythe du taureau bien sûr, mais aussi celui des cornes (Cornucopia, la corne de l’abondance), et même le croissant de lune, qui n’est pas seulement l’apanage de l’Islam ; la lettre nūn [ن], est la 25e lettre de l’alphabet arabe, correspondant au N de l’alphabet latin. Ce caractère contient une image symbolique où la coupe ou coque (de navire) contient un germe en gestation. René Guénon[27] écrit que « cette lettre est considérée surtout, dans la tradition islamique, comme représentant El-Hût, la baleine, ce qui est d’ailleurs en accord avec le sens originel du mot nûn lui-même qui la désigne, et qui signifie aussi « poisson » ; et c’est en raison de cette signification que Seyidnâ Yûnus (le prophète Jonas) est appelé Dhûn-Nûn. Ceci est naturellement en rapport avec le symbolisme général du poisson ». Y-aurait-il là une possible origine à l’image du ”poisson” tunisien ? Car cette lettre appartient également aux alphabets phénicien et hébreu. Il ne semble pas inutile d’ajouter cet élément à la recherche entreprise pour remonter aux origines de la civilisation maghrébine.

2.4.2.Le mythe de Kadmos – Kadmos [Κάδμος], frère d’Europe, était donc originaire de Tyr et il est parti à la recherche de sa sœur, selon la volonté de son père, le roi Agénor. Or, au terme de sa quête, Kadmos deviendra le premier souverain de la ville de Thébes [Θῆϐαι], en Grèce antique. Rapporté par la plume de Jean-Pierre Vernant[28], voici comment ce Phénicien est devenu le héros fondateur de cette cité de Béotie. « Cadmos se rend à Delphes pour savoir ce qu’il doit faire. L’oracle lui dit :”Finies les pérégrinations, il te faut t’arrêter, il faut t’installer, car tu ne retrouveras pas ta sœur”. […] ”Tu vas suivre une vache, elle-même voyageuse, partout où elle ira. Europe a été enlevée par un taureau voyageur, il s’est fixé. Toi, suis cette vache et, tant qu’elle marchera, tu te mettras dans sa trace, mais le jour où elle se couchera, et ne se relèvera plus, alors tu fonderas là une ville, et tu trouveras ta racine, toi, Cadmos, l’homme de Tyr” ». Évidemment, Kadmos suit les préceptes de la pythie et trouve une vache qu’il va suivre jusqu’au moment où elle s’immobilisera. « Cadmos comprend que c’est à cet endroit qu’il doit fonder une ville[29] ».

En liant ce mythe à celui d’Europe, les corrélations perpétuent un même parcours cyclique. On retrouve le germe proche-oriental, et surtout cet animal fétiche qui passant du taureau olympien est devenu une simple vache. Qui plus est, ce mythe réitère les rites de la fondation d’une ville nouvelle. « Avant de la fonder, il (Cadmos) veut faire un sacrifice à Athéna, déesse dont il se sent proche. Pour faire un sacrifice, il faut de l’eau. Il envoie ses compagnons jusqu’à une source qu’on appelle la source d’Arès, parce que c’est ce dieu qui en est le patron, avec pour mission de remplir d’eau leurs récipients, leurs hydries. Mais cette source est gardée par un dragon, un serpent particulièrement féroce, qui met à mort tous les jeunes gens venus y puiser l’eau. Cadmos se rend lui-même à la source et tue le dragon[30]. » Tout mythe de fondation doit nécessairement recevoir l’aval d’un dieu. Ici, ce sera la déesse Athéna. Dans le texte consacré aux emprunts grecs en provenance de la Libye antique[31], nous avions alors évoqué l’origine africaine de cette déesse. Quant au dragon [δράκων, drákōn], effigie terrifiante du serpent, symbole chthonien par excellence, il rappelle une nouvelle fois l’Ouroboros, un symbole qui fut égyptien avant d’être grec. C’est d’autant plus significatif que l’un des descendants de Kadmos, n’est autre qu’Œdipe, qui affrontera la ”Sphinge” (version féminine du Sphinx) pour délivrer Thèbes. Un parallèle porteur de cette image cyclique renvoyant l’image du serpent se mordant la queue. On peut même pousser ce lien davantage en rappelant  que l’oracle de Delphes est lui-même lié à la légende de Python [Πύθων]. Cet autre ”dragon” était entré en conflit avec Apollon, qui deviendra ensuite le maître de Delphes.

Le mythe illustre l’histoire d’un peuple en tableaux successifs, dans lequel les symboles jouent un rôle important[32]. Pour cela, il suffit d’interpréter les mots et les images évoquées en oubliant l’histoire apparente pour en retirer « la substantifique moelle » selon l’expression rabelaisienne.

2.4.3.Le mythe d’Hiram – Hiram (969-936 av. J.-C.), roi de Tyr – ville la plus proche voisine d’Israël – est un personnage à la fois mythique et biblique. Son existence est historiquement attestée. Son amitié avec le roi David, puis avec celle de son fils, le roi Salomon s’est soldée par la construction du légendaire temple de Salomon. Cette construction, non identifiée par l’archéologie, était l’œuvre des architectes et ouvriers phéniciens qui pourvoyaient le bois de cèdre. Les deux colonnes d’airain, Boaz et Jakin, situées à l’entrée du temple sont devenues deux éléments essentiels du temple maçonnique : Boaz, à gauche, est tournée vers le septentrion, tandis que Jakin, à droite, se trouve orientée vers le midi. L’ouvrage déjà cité, consacré aux Phéniciens, mentionne également que le roi Hirom de Tyr entretenait des  « relations amicales au Xe siècle avec Salomon (1er Livre des Rois) » et que c’est en fonction du « bois de cèdre » et des «  artisans maçons et bronziers » que le temple de Jérusalem a été construit[33].

Sans entrer dans le détail de ce mythe, il permet de souligner l’étroitesse des connexions avec les Hébreux, dont les langues étaient proches. Or, à Carthage, Grecs et Hébreux se côtoyaient avec les Puniques et les Numides. Cela dénote bien l’importance de ce creuset, servant de ferment à l’histoire nord-africaine.

2.4.4.Le mythe d’Elishat-Didon – À la fondation de ce mythe, Elishat, sœur du roi de Tyr, et dont l’époux fut assassiné par ordre royal, fuit vers Chypre à bord d’un bateau, accompagnée d’un groupe qui lui était fidèle. « Le drame  se noua à Tyr lorsque le roi de cette cité, Pygmalion, tua par cupidité le mari de sa soeur, Elissa. Cette dernière s’enfuit alors avec un certain nombre de fidèles, dont des notables de la cité. Après avoir fait escale à Chypre, où quatre-vingts jeunes vierges – peut-être prêtresses d’Astarté – se joignirent aux immigrants, elle parvint après quelques pérégrinations en Libye. D’Elissa qu’elle était au départ (c’est la transcription par les Grecs du phénicien Elishat) elle devint Didon (en grec Deidô, chez Timée) arrivée en Afrique[34] ».

Les éléments du mythe seront analysés à la rubrique consacrée à la fondation de Carthage. On peut toutefois relever le caractère éminemment féminin de son origine. Il est possible que cela ne soit pas entièrement accidentel. À Tyr, la déesse Astarté était associée à Milqart [MLQ], c’est à dire Baal. Or à Carthage la déesse Tanit a supplanté Astarté[35]. On se souvient également qu’Europe était la fille d’un roi de Tyr. Avec Elishat, c’est donc la troisième fois qu’un personnage de sexe féminin vient caractériser la cité de Tyr. Or, quand on connaît la propension libyque ou numide d’une société de principe matriarcal, on voit combien l’assimilation a pu en être facilitée. Il n’est pas improbable non plus que ce soit là un des éléments majeurs du mythe d’Elishat.

3.Exploration et comptoirs phéniciens (antérieurs à la fondation de Carthage).

Dans la partie occidentale de la Méditerranée, les fondations les plus anciennes sont celles de Lixus et Gadès en 110, puis celle d’Utique en 1101.

Françoise Briquel-Chatonnet[36] décrit de manière pertinente le choix de ces comptoirs : « On peut esquisser une typologie de ces comptoirs phéniciens, toujours implantés près de la mer sur des sites disposant d’un port naturel et faciles à défendre. Ce sont des îlots en face de la côte, sur le modèle de Tyr ou d’Arwad, comme Motya à l’ouest de la Sicile, Cadix en Espagne, Sulcis sur l’île de San Antiocho au sud-ouest de la Sardaigne. Ce sont des péninsules ou des presqu’îles comme Tharros ou Nora en Sardaigne. Ce sont enfin des sites côtiers à l’abri d’une colline comme Carthage – ou aux embouchures de fleuves ».

Un certain nombre de ces sites sont antérieurs à la fondation de Carthage. En voici les principaux :

  • Lixus (actuellement Larache au Maroc) aurait été fondée au XIIe av. J.-C. Selon la légende, la ville aurait été le site de deux exploits d’Héraclès/Hercule : Antée d’abord et les pommes d’or du jardin des Hespérides ensuite. Cette colonie est aussi à l’origine des autres comptoirs de la côte atlantique marocaine. Peut-être également le point de départ de l’expédition maritime vers le golfe de Guinée, mais ce périple de Hanon n’est pas encore véritablement attesté.
  • Gadès / Gadir en punique/ Cadix/ Phéniciens 1100 av.J-C. Il s’agit ici d’un autre lieu stratégique situé à la limite de deux mondes. Si les Grecs se sont cantonnés à sillonner la Méditerranée, tel ne fut pas le cas des Phéniciens. Le site de Gadir est situé en deçà des colonnes d’Hercule, révélant les propensions atlantiques des navigateurs phéniciens. Cette escale portuaire a permis l’exploration des côtes atlantiques de l’Afrique. « L’aventure atlantique des Phéniciens est confirmée par les traces archéologiques de leur présence sur la côte du Maroc, où ils ont fondé notamment Agadir[37]».
  • Parmi les différents comptoirs phéniciens, celui du site d’Utique s’avère le plus intéressant dans le cadre de cette étude puisqu’il précède celui de Karsh-Hadat (”la ville nouvelle”). Si Carthage a été baptisée ainsi, c’est bien en fonction de l’existence d’Utique – (Karsh-Attiq,”la ville ancienne”). Le mot phénicien attiq (vieux) est à l’origine de l’appellation romaine ”Utica” qui a donné Utique en français. Les historiens pensent que ce fut la plus ancienne colonie phénicienne d’Afrique. Située à mi-chemin entre le Levant et les colonnes d’Héraclès, elle permettait aux navires phéniciens de se ravitailler sur la route maritime de l’Atlantique. Les datations ne sont pas clairement attestées. Selon Aristote ou Pline l’Ancien, la fondation d’Utique par les Tyriens daterait de 1101 av. J.-C. Une date contestée par l’archéologie moderne qui propose une origine aux alentours de 800 av. J.-C. Cette dernière hypothèse est en contradiction avec les appellations de ”ville ancienne” (Utique) et de ”ville nouvelle” qui feraient d’Utique un site contemporain de celui de Carthage.

En évoquant la fondation d’Utique, voici ce que Habib Boularès[38] écrit : « Bien avant la fondation de Carthage, un établissement phénicien a vu le jour, au nord-est de la Tunisie, à la fin du douzième siècle av. J.-C., en 1101 ou 1100. C’est Utique ou Utiga, adossée à la chaîne des collines qui se terminent par le cap Sidi Ali El-Mekki (appelé cap Apollon par les Romains). Elle a été fondée par Tyr, comme les villes qui l’avaient précédée : au Maroc Lixus, (Larache) et, en Espagne Gadis (Cadix), Abdera (Adra, à l’ouest d’Alméria), Sexi (Almunécar) et Malaca (Malaga) ».

L’intérêt de cette première partie consacrée aux Phéniciens, a été de montrer l’impact que cela a pu avoir dans la Haute Antiquité, au regard de l’histoire de l’Afrique du Nord. La fondation de Carthage a ensuite permis de relayer cette expansion dans la partie occidentale de la Méditerranée.  De ce fait, il est souvent difficile de distinguer ce qui était punique de purement phénicien. « Mais le phénomène le plus important est sans doute la montée en puissance de Carthage. Ayant pris son indépendance, la cité punique développe ses propres réseaux aux dépens de ceux de Tyr et prend peu à peu le contrôle des implantations phéniciennes dans le bassin occidental de la Méditerranée ; le rôle des cités phéniciennes elles-mêmes y devient secondaire[39] ».

Cette considération souligne également les échanges étroits qui ont existé entre les Phéniciens et les Grecs. « Ce golfe de la Grande Syrte situé entre le monde d’influence grecque et la région contrôlée par Carthage la Punique, sert de zone tampon. Les échanges sont en général pacifiques. […] L’archéologie confirme ces contacts par la découverte de céramiques ou de monnaies[40] ». Ces deux peuples de navigateurs sont à l’origine de la diffusion culturelle du creuset méditerranéen.

Le troisième élément que l’on pourrait ajouter à ce tour d’horizon est le rôle majeur que les Phéniciens ont eu plus directement en relation avec les Égyptiens, les Hébreux et les Mésopotamiens.

Toutes ces considérations permettent donc de mieux comprendre l’héritage carthaginois. Ils deviendront les Puniques par assimilation aux autochtones numides de cette partie de l’Afrique. Car les Carthaginois, porteurs du flambeau phénicien, deviendront vite des propagateurs essentiels de par leur positionnement géographique idéal (le détroit de Sicile) et et de par une puissance maritime et commerciale de premier ordre.

Christian Sorand

Notes :
[1]   Amadasi Guzzo, M.G., Carthage, PUF, Que Sais-je ? 2007, p.58.
[2]   Jean Servier, Les Berbères, pp.33-34
[3]   Cité punique de Kerkouane et de sa nécropole, UNESCO, https://whc.unesco.org/fr/list/332/
[4]   Jean Servier, Les Berbères, pp.39-40
[5]   Les Phéniciens, Aux origines du Liban, CH.I, p.17, Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel
[6]   Idem p.18
[7]   Qui étaient les Phéniciens ?, Françoise Briquel-Chatonnet, Clio 2016
[8]  Les Phéniciens, Aux origines du Liban, Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Découvertes Gallimard, 1998, page 91.
[9]  Qui étaient les Phéniciens?, Françoise Briquel-Chatonnet
[10]    Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, p.40
[11]   Ibid. p.69
[12]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, p.99
[13]   Les villes du Maroc fondées par les Phéniciens : http://fracademic.com/dic.nsf/frwiki/1060400
[14]   Qui étaient les Phéniciens ?, Françoise Briquel-Chatonnet
[15]   Grecs et Libyques, C.Sorand, https://www.inumiden.com/grecs-libyques-nature-bivalente-contacts-de-haute-antiquite
[16]   Gabriel Camps, Les Garamantes, conducteurs de chars et bâtisseurs dans le Fezzan antique, https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_garamantes_conducteurs_de_chars_et_bAtisseurs_dans_le_fezzan_antique.asp
[17]   Serge Lancel, Ibid., 2002
[18]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, p.81
[19]   Françoise Briquel-Chatonnet, Qui étaient les Phéniciens ?, Clio, 2016
[20]   Ibid.
[21]   http://tyros.leb.net/tyr/
[22]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, pp.76-77
[23]   Ibid.
[24]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, pp.104-110
[25]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, pp.19-20
[26]   L’univers, les dieux, les hommes, J-P Vernant, Seuil, 1999, p.173
[27]   René Guénon, Les mystères de la lettre nûn, http://esprit-universel.over-blog.com/article-rene-guenon-les-mysteres-de-la-lettre-nun-1-109644257.html
[28]   L’univers, les dieux, les hommes, J-P Vernant, Seuil, 1999, (p.173-175)
[29]   Ibid.
[30] L’univers, les dieux, les hommes, J-P Vernant, Seuil, 1999, (p.175-176)
[31] Grecs et Libyques, C.Sorand, https://www.inumiden.com/grecs-libyques-nature-bivalente-contacts-de-haute-antiquite/
[32] Histoire, Mythes et Symboles, C.Sorand
[33]   Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Les Phéniciens, Gallimard, 1998, p.77
[34]   Encyclopédie Berbère, URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/2070
[35]   Le Signe de Tanit, C.Sorand, https://www.inumiden.com/signe-de-tanit/
[36]   Qui étaient les Phéniciens ?, Françoise Briquel-Chatonnet, Clio 2016
[37]   Les Phéniciens, Françoise Briquel-Chatonnet & Éric Gubel, Gallimard, 1998, (p.99)
[38]   Histoire de la Tunisie, Habib Boularès, , https://archive.org/details/HistoireDeLaTunisie (p.30)
[39]   Qui étaient les Phéniciens ?, Françoise Briquel-Chatonnet, Clio 2016
[40]   La Libye antique, Claude Sintès, Gallimard, 2004, p.52