Tamazight… ou les indigènes de la République ?

Après la reconnaissance de Yennayer (Yennar) comme fête nationale, L’État algérien vient d’engager, et affirme même accélérer, le processus de création de l’Académie algérienne de la langue tamazight et l’élaboration de la loi organique portant sur le développement et la généralisation de la langue tamazight en vue de son institutionnalisation effective (enseignement, intégration dans l’administration de l’État, les relations entre l’État et les citoyens, et l’environnement-toponymie-signalisation), après sa constitutionnalisation en 2016.

Cette évolution importante de l’État algérien mérite d’être saluée, après des décennies de déni de l’histoire de l’Afrique du Nord, de négation de notre algérianité et de répression.

Aussi, la constance des citoyens militant dans un mouvement culturel amazigh non violent depuis près de 40 ans est aussi à saluer avec force, alors que tout l’environnement répressif poussait vers cette violence que les islamistes, eux ont adopté, fait subir et font encore subir à notre pays.

Sommes-nous donc arrivés à une étape de rupture avec le passé post-1962 qui supposait, à tort, que notre pays était composé de citoyens élus de l’arabo-islamisme et d’une part tolérée de sous-citoyens… d’indigènes de la République ?

La reconnaissance récente de notre amazighité nationale et l’engagement de l’État de renouer avec notre véritable histoire et société, ne doivent pas éluder les menaces des tenants du statu-quo et de la régression. Ainsi, dans l’hypothèse que nous ne serions pas dans un énième « Plan de Constantine » (1), élaboré pour une nouvelle roublardise,  l’État algérien a le devoir d’aller de l’avant et vite. Pour cela :

1. La constitution de 2016 (2) doit être amendée au plutôt, afin

a) de corriger l’une des anomalies importantes de cette négation historique et d’affirmer explicitement : l’Algérie est un pays amazigh, méditerranéen et africain.

Ce qui ne nous empêchera pas d’intégrer tout ensemble économique, politique ou culturel dans lequel nous serons solidaires avec les autres et où nous défendrons nos intérêts.

b) Mettre les deux langues officielles (tamazight et arabe) sur le même pied d’égalité et en finir avec les subtilités de langage qui ne font que conforter la suspicion et maintenir l’inégalité qui perpétuera le sentiment d’exclusion, et de fait l’exclusion jusqu’à la prochaine révolte.

2. Redoubler de vigilance envers les islamistes.  A travers les quelques déclarations dans les médias hostiles à l’amazighité  : contre la célébration de yennayer, l’enseignement de tamazight qui devrait être fait en caractères arabes et… en arabe, l’administration de l’État qui doit rester exclusivement en arabe, etc… les islamistes s’accrochent, par tactique, au schéma éculé de la supposée opposition kabyle/arabe.

Pour eux, l’amazighité c’est exclusivement la Kabylie, afin, bien évidemment de casser le mouvement de renouveau national. L’objectif de leur démarche est visible à l’œil nu, c’est la division : mobiliser les arabophones contre… les kabylophones.

Par la célébration de yennayer dans la communion à travers tout le territoire national, la société algérienne vient de leur opposer un refus net de contribuer à leur démarche de division.

La vigilance est plus que jamais nécessaire afin de contrer les puissants mouvements et capitaux oummistes et panarabistes. Le danger est réel. Pour mémoire, l’Algérie a failli sombrer en 1958, lors du putsch des généraux français (3),  dans une autre tragédie qui aurait pu anéantir tous les efforts du mouvement national vers l’indépendance politique acquise en 1962.

La fin du déni historique, par l’institutionnalisation prochaine de la langue tamazight dans le fonctionnement de l’État et les évolutions à venir, constituera le puissant ciment qui manquait pour sceller tous les délabrements subis par la maison Algérie depuis des décennies.

Comme les symboles ont toujours une part d’utilité, après Yennayer, il s’agit d’avancer vite dans le processus d’institutionnalisation, et dès à présent de commencer par « corriger les noms » comme le dit si bien le philosophe chinois (4).

Aumer U Lamara, physicien, écrivain de langue tamazight

 

Notes :

(1) Plan de Constantine : Le Plan de développement économique et social en Algérie ou Plan de Constantine (1959-1963) est un programme économique élaboré par le gouvernement français en 1958 au plus fort de la guerre d’Algérie après l’arrivée au pouvoir du général De Gaulle, qui annonce publiquement son lancement dans un discours devant la préfecture de Constantine le 3 octobre 1958. Visant à la valorisation de l’ensemble des ressources de l’Algérie, ce plan était aussi destiné à l’affaiblissement politique du FLN. (wikipédia).

(2) « L’Algérie, terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, pays arabe, méditerranéen et africain… » (Constitution algérienne, 2016).

(3) Le putsch d’Alger ou coup d’État du 13 mai 1958 est le coup d’État mené à Alger, conjointement par l’avocat et officier parachutiste de réserve Pierre Lagaillarde, les généraux Raoul Salan, Edmond Jouhaud, Jean Gracieux, l’amiral Auboyneau avec l’appui de la 10e division parachutiste du général Massu et la complicité active des alliés de Jacques Soustelle. L’objectif était de créer une république française d’Algérie (une république Pied-Noir), distincte de la république française, dans le même schéma que l’Afrique du sud. L’apartheid, pratiqué de fait en Algérie, aurait été institutionnalisé par l’État Pied-Noir.

(4) Quand on demanda au grand philosophe Chinois Confucius ce qu’il ferait en premier lieu s’il était porté au pouvoir suprême, celui-ci répondit : « Je rectifierais les noms ». (Confucius 551 – 479 avant J.-C.).

Il est le personnage historique qui a le plus marqué la civilisation chinoise, et est considéré comme le premier « éducateur » de la Chine.