Coutumes&Traditions

Une cuiller à pot pour demander la pluie

« Ô taghnja ! Présente tes mains au ciel et demande à Dieu qu’il nous donne beaucoup de pluie. »

Anzar, Maître de la pluie, désirait s’unir à une jeune fille d’une exceptionnelle beauté qui avait pour habitude de prendre son bain à la rivière. Or, chaque fois qu’Anzar descendait du ciel et s’approchait de la jeune fille, celle-ci prenait peur. Un jour cependant, il parvint à lui déclarer sa flamme, mais la jeune fille lui fit part de ses craintes vis-à-vis du “qu’en dira-t-on”. Prenant acte de leur impossible union, Anzar tourna la bague qu’il avait au doigt et disparut. Immédiatement la rivière se tarit. La jeune fille fondit en larmes, se déshabilla et dans le lit de la rivière implora le retour d’Anzar qui revint pour s’offrir à elle. « La rivière se remit à couler et la terre se couvrit de verdure » (H. Genevois, 1978 : 393).

Cette légende explicative d’un rite d’obtention de la pluie dans la tribu des Aït-Ziki, vallée du Haut-Sébaou en Algérie, est ainsi rapportée par Henri Genevois (1978 : 393-402). Elle serait à l’origine des cérémonies de rogations pour la pluie. Ainsi, anciennement, lors des périodes de sécheresse (automne et printemps), les vieilles femmes se réunissaient pour fixer le jour de la célébration. Une jeune fille pubère était alors parée de tous les atours d’une fiancée et, entourée des femmes et jeunes filles, partait en procession dans le village. Portant une « cuiller à pot » taghnja en main, le cortège s’arrêtait au seuil des maisons et recevait différents présents (semoule, farine, viande, graisse, etc.). Les femmes accompagnaient ensuite la jeune fille devant la mosquée et confectionnaient, sur place, un repas avec les différents dons obtenus. Elle était alors entièrement dévêtue et enveloppée dans un filet à fourrage. Elle faisait sept fois le tour de la mosquée ou du sanctuaire, tenant la louche et entonnant des chants à la gloire d’Anzar implorant le retour de la pluie. Les chants étaient ensuite repris par toutes les femmes. Pendant ce temps, les jeunes filles en âge de se marier se rassemblaient autour de la fiancée d’Anzar, et jouaient au jeu de la balle à la crosse qui consiste à faire entrer une balle de liège dans un trou, à l’aide d’un bâton. Dès lors, on pouvait être assuré de la venue de la pluie dans les jours suivants.

D’après Henri Genevois, ce rituel rapporté par les femmes les plus âgées fut interdit, dès le XVIIIe siècle (1), par les marabouts. Certains villages continuèrent de le pratiquer, se contentant de transporter en procession une cuiller à pot parée comme une fiancée (2).

La description de l’origine du rituel d’Anzar telle que le rapporte l’auteur est particulièrement intéressante et nous permet d’aborder à titre comparatif, les pratiques rituelles contemporaines telles que nous avons pu les observer dans le Sud-Est marocain lors de récentes missions (2003 et 2004).

Le rituel pour la pluie dans le Tafilalt : mise en scène de la « cuiller à pot »

En 2002, les habitants de Taqucht, petit hameau situé au pied de la formation dunaire de l’erg Chebbi, à trois kilomètres du village de Merzouga, ont effectué la procession de « cuiller à pot » afin de favoriser le retour de la pluie. Après les fortes précipitations de 1996, la sécheresse taghart (3) s’était installée et depuis, aucune récolte de blé n’avait pu être réalisée. Dans la région, la culture en maider (4) tributaire des eaux de pluie, permet habituellement aux habitants d’obtenir la quasi-totalité de leur consom­mation annuelle de blé. Celui-ci étant la base de l’alimentation, cette production céréalière est très importante. Aussi observe-t-on une relative fréquence des rites de rogations pour la pluie, en général avant la période habituelle des semailles, de décembre à février (5). Les champs collectifs sont situés sur de larges sections submergées par les eaux de l’oued en période de crue. Une retenue d’eau formant une sorte de lac a été aménagée par la tribu et permet de recueillir les eaux de ruissellement. Les cultures céréalières sont totalement tributaires des eaux de pluie. Le partage de la terre en parcelles attribuées à chaque foyer est effectué par les chefs de fraction dès que des pluies conséquentes ont eu lieu (6). Aux nécessités de l’agriculture s’ajoutent celles de l’élevage, l’eau étant bien évidemment indispensable à la survie des troupeaux de dromadaires, d’ovins et de caprins. Toutes les familles possèdent quelques moutons destinés aux différents sacrifices rituels (fêtes religieuses, rites de la naissance et du mariage, réception d’hôtes prestigieux, etc.). En l’absence de précipitations, il n’est pas possible de nourrir ce bétail et depuis la fin des années 1990, la plupart des foyers de la région pré-saharienne de Merzouga ont dû peu à peu cesser leur activité d’élevage. Décision douloureuse, car pour la plupart des Aït Khebbach, et conformément au mode de vie pastoral, la richesse se mesure à la possession de troupeaux, spécialement de camélidés.

Comme c’est le cas pour la majorité des sociétés d’agriculteurs, et plus encore dans une région où les précipitations sont particulièrement faibles, la pluie fortement valorisée est utilisée dans les thérapeutiques traditionnelles. Dans le nord du Maroc, la pluie de mars (7) est connue pour ses nombreuses vertus prophylactiques (Biarnay, 1924 : 137-138). Commun à la plupart des parlers berbères, le terme générique pour désigner la pluie est celui d’anzar. La pluie fine et particulièrement bénéfique pour la terre se nomme tasut. Pour les fortes précipitations considérées comme inutiles parce qu’elles « courent sur la terre », on emploie le terme agussif. Lorsqu’une période de pluie a permis une bonne irrigation de la terre, les Aït Khebbach disent « issua », littéralement « elle a bu ». C’est la période idéale pour ensemencer.

Lorsque la pluie se fait attendre et qu’il n’est pas possible de commencer les semailles, la cérémonie de la « cuiller à pot » est décrétée par les femmes qui chargent leurs filles d’aller récolter, auprès de tous les habitants du hameau et des campements alentours, de quoi organiser un repas collectif. Il s’agit d’une procession pour laquelle, les jeunes filles confec­tionnent un mannequin, sur une armature faite d’un roseau, aghanim, (8) ou de tamaris (9) et de deux cuillers à pot qui matérialisent les bras (photo 1, p. 87). L’armature est ligaturée par un morceau d’étoffe. Dans le cas précis des rites de rogations, le terme taghnja se réfère à la cuiller à pot et non à la cuiller individuelle servant à se nourrir (10). Il s’agit là d’un instrument de grande taille destiné à servir les rations de nourriture, sorte de « louche » à cavité hémisphérique telle que décrite par Marceau Gast (1968 : 366-368).

Le mannequin est nommé taghnja, littéralement, « la cuiller à pot » ou « la louche ». Il s’agit d’un terme berbère. D’après E. Westermarck (1926, tome II : 269), l’utilisation de ce terme dans la plupart des rituels nord-africains d’obtention de la pluie, y compris en milieu arabophone, témoigne de l’origine même du rite, emprunté à la culture berbère.

Le mannequin est revêtu des plus beaux vêtements réservés aux jours de fête, et plus particulièrement de ceux que portent les femmes lorsqu’elles se rendent à un mariage. Nous reviendrons plus en détail sur les différents éléments de l’habillement de la « cuiller à pot ».

Photo 1. Préparation de Taghnja (11)

Le mannequin mesure environ un mètre de haut, et est promené par plusieurs jeunes filles dans tout le village. C’est à la plus âgée des fillettes que revient le privilège de porter le mannequin qui doit être le plus proche possible du ciel. Si le rituel de la « cuiller à pot » est commun à l’ensemble des populations berbérophones de l’Afrique du Nord, les différents éléments entrant dans la confection de la poupée diffèrent selon les régions. La cuiller figure parfois la tête même du mannequin et elle est donc fixée au bout d’un long roseau comme chez les Rehâmna (Doutté, 1905 : 383) et chez les Igliwa (Laoust, 1920 : 205). La cuiller comme élément principal du mannequin est fréquente en Tunisie, le long de la frontière algérienne, et se nomme rhonja (Monchicourt, 1915 : 76). On la retrouve aussi chez les Maures de Mauritanie faite d’un piquet de tente ou d’une cuiller en bois (Béart, 1955 : 98). À Marrakech encore, elle est simplement fixée sur un roseau et décorée d’un lambeau d’étoffe. Ce procédé n’est pas sans rappeler la hampe d’une bannière dont on sait l’importance à l’occasion de différents rituels (achoura, visites au tombeau des saints, fête du mawlid, etc.). On note également, pour figurer le corps, l’emploi d’un entonnoir ou de la pelle servant à déplacer le grain sur l’aire à battre (12). Tous les éléments choisis pour la figuration de la « cuiller à pot », entonnoir, pelle et roseau sont utilisés comme des symboles explicitement associés à l’eau. La procession démarre de l’une des maisons des jeunes filles ayant confectionné la « cuiller à pot » avec l’aide de leurs mères et des voisines prêtant toutes un objet particulier. Elles s’arrêtent ensuite sur le seuil de chaque maison, et chantent l’invocation suivante : « Taghnja ! (13) Lève les bras au ciel, demande à Dieu beaucoup de pluie » (Taghnja assi iraln nm sliguina hgl i-rbi adich anzar s chiyan).

Pendant ce temps, la maîtresse de maison jette de l’eau sur le mannequin, sur l’assistance et en verse parfois dans les deux cuillers. Elle donne ensuite aux fillettes des œufs, de la farine ou du blé. Elle n’offre jamais de viande ni d’argent. Le cortège repart immédiatement et effectue une nouvelle station devant une autre maison où aspersion rituelle et dons alimentaires se reproduisent. Les chants sont alors modifiés, alternant les incantations à chaque arrêt.

La terre, la terre est sèche, mon Dieu mouille-la ! Achal, iqor achal, Arbi sum ghtid
Nous sommes parties de l’autre côté, seule la pluie m’a fait revenir nda sg agmadin, khs anzar ayd id irurn (14).

Un rituel offrant une forme similaire a été relevé par Dominique Champault (1969), chez les Belbala (15), où toutes les jeunes filles ont mission de demander le retour de la pluie par l’intermédiaire de tarenja (photo 2, p. 89). Les bras du mannequin sont confectionnés par deux louches (16), remplies d’eau par une femme issue de famille maraboutique (17) (ibid. : 141). Elles chantent :

Tarenja a ouvert ses cheveux.  Dieu, mouille ses boucles d’oreilles ; tarenja, mère d’espérance, tarenja, ô Madame, porte-nous la pluie pour remplir nos cruches (Champault, 1969 : 141).

Comme chez les Aït Khebbach, les jeunes filles vont de maison en maison (fig. 3, ci-dessous) et récoltent du blé, des dattes, des œufs ou des légumes mais jamais de viande. Selon l’auteur, ce rite commun à de nombreux pays (Arménie, Palestine …), pourrait aussi être rapproché des « fiancées du Nil », poupées jetées au fleuve pour amorcer la crue. L. Joleau (1933a : 268) signale cette possible analogie avec les fellahs du bord du Nil qui dressaient une colonne de terre appelée Taslit « fiancée » qu’ils jetaient ensuite dans le fleuve pour en hâter l’inondation. Il semblerait qu’à l’époque pharaonique une vierge parée de ses plus beaux atours y était noyée (op. cit.).

Les invocations durant la procession rituelle peuvent être directement adressées à Dieu, à la « cuiller à pot » apparaissant alors comme un intercesseur : « ô taghnja, tends tes mains au ciel et demande à Dieu la pluie ô taghnja », elles peuvent aussi constituer une prière adressée directement au mannequin : « Lève-toi, taghnja, et va puiser l’eau ».

Photo 2. Mannequin de Taghnja, Tabelbala (18)

Une fois la collecte de denrées terminée, les jeunes filles déshabillent le mannequin et restituent ses différents atours. On observe parfois une destruction de ce dernier par les femmes qui engagent une sorte de lutte. À Timgissin, souligne E. Laoust (1920), on procède à l’enterrement de la « cuiller à pot » (19). Ailleurs, elle est jetée dans une rivière :

Si la poupée plonge la tête droit sous l’eau, on dit que l’année sera pluvieuse. On voit dans le cas contraire le signe d’une année de sécheresse. (op., cit.: 208)

Photo 3. Procession rituelle de Taghnja, village de Taqucht, 2002

Le soir, un repas est préparé par les femmes à partir des différents dons recueillis et partagé avec l’ensemble des foyers du village. Ce banquet rituel est en général servi dans des lieux particuliers, tel le lit d’un oued, l’aire à battre ou une colline, lieux qui manifestent leurs liens avec l’eau, les récoltes et les nues. C’est pour cette raison que les habitants de Taqucht pratiquent souvent la cérémonie de la « cuiller à pot », le hameau étant situé sur une colline surplombant le village de Merzouga. Les jours suivants la pluie est censée revenir pour fertiliser les champs.

Aux origines du rite : aperçu comparatif

L’aspersion de la « cuiller à pot » par les femmes est attestée dans de nombreuses sociétés d’Afrique du Nord. En Tunisie, à Gafsa et dans les Matmatas, le mannequin est copieusement arrosé (Menouillard, 1910 : 303). À Sfax, on moPour ce faire, la femme la remplit et la verse plusieurs fois uille les membres du mannequin. Le rituel présente les mêmes caractéristiques processionnelles que celui des Aït Khebbach, avec une variante puisque le mannequin, traité d’ivrogne par les fillettes, agite la tête de colère ce qui est censé provoquer la pluie. Dans certaines cérémonies, comme à Tanger, c’est une jeune fille qui se substitue au mannequin et monte à l’envers sur une ânesse. Les femmes l’aspergent d’eau durant toute la procession (Biarnay, 1924 : 138-139). L’aspersion succède parfois à une immersion complète comme chez les Aït Haddidou du Haut-Atlas marocain (20), où les mariés de l’année sont jetés dans les bassins d’irrigation ou les rivières afin d’obtenir la pluie tout au long de l’année (Joleau, 1933b : 346). J. -H. Probst-Biraden (1932 : 99) décrit dans la province de Constantine l’aspersion d’eau sur l’effigie et sur les porteurs. E. Laoust (1920) le signale également pour l’ensemble des rituels marocains. Chez les Aït Chitachen (Demnat), le mannequin est même allongé dans une gouttière, les femmes se tiennent sur la terrasse et déversent sur lui le contenu entier de cruches d’eau.

L’aspersion rituelle est donc très répandue et n’est pas sans rappeler l’immersion des idoles antiques, signalée par P. Saintyves. Cette pratique se retrouve encore au début du XXe siècle, dans la plupart des sociétés paysannes de l’Europe. P. Saintyves (1933) présente un ensemble de descriptions de l’immersion des sacra21 (statues divines, croix, reliques des saints, etc.) depuis l’Antiquité gréco-romaine jusqu’au XIXe siècle. Très généralement l’immersion avait lieu au printemps et apparaissait dès lors comme la volonté d’un renouveau, celui de la nature et de la terre (22).

On retrouve au Maghreb sensiblement les mêmes époques choisies pour la procession rituelle de la « cuiller à pot » : la période des semailles ainsi que l’aspect « licencieux » évoqué par l’auteur (23).

En Kabylie, Henri Genevois décrit le rituel originel comme nécessitant la nudité d’une jeune fille escortée par les femmes (1978 : 394). Le légendaire impliquant une jeune fille pubère renvoie à l’association pureté et limpidité, thème récurrent qui apparaît dans la plupart des rites d’obtention de la pluie.

Chez les Aït Khebbach la pureté de l’eau s’associe toujours au bonheur et au bien-être. Les discours à propos de la source, targua (24), qui alimente la palmeraie sont éloquents. La source est très souvent présente dans les pratiques divinatoires et les visions oniriques féminines. La récurrence du rêve, où une source limpide se trouble soudainement, est le signe annonciateur d’un malheur.

Au Maghreb, les rites de demandes de la pluie existent aussi dans les prescriptions religieuses et trouvent leur origine dans un hadith. C’est en général l’imam qui en prend la décision et ordonne trois jours de jeûne. Le troisième jour une procession constituée d’hommes, de femmes âgées et des enfants de l’école coranique qui portent leur planchette sur leur tête se rend vers le lieu de la prière. Tous implorent : « Dieu, arrose Ton pays et déverse Ta miséricorde » (Laugel, 1958 : 336). Il s’agit d’une prière rituelle, çalate el istisqa, pratiquée dans tout le Maghreb (25). Ensuite un repas est organisé à l’aide des offrandes faites par tous. La pluie est censée tomber le jour même. En arabe ces demandes sont appelées thlob en nou. Or ces cérémonies à caractère religieux (26) n’excluent généralement pas les actes profanes comme la procession de la « cuiller à pot ». À Merzouga, l’imam prononce parfois cette prière, hors du cercle des habitations (27), à proximité des champs de céréales pour lesquels il sollicite les faveurs du ciel. Mais la prière de l’istisqa paraît très largement minoritaire face à la cérémonie coutumière de la « cuiller à pot ». Par ailleurs, si les cérémonies apparaissent parfois concomitantes elles ne se confondent pas, même si l’istisqa s’avère parfois mêlé à des rituels plus directement inspirés du culte des saints comme les « tournées sacrées » effectuées en utilisant des étendards déployés dans les champs tout en invoquant Dieu (Monchicourt, 1915 : 71).

Les variations rituelles des cérémonies en Afrique du Nord

Si les processions de la « cuiller à pot » sont communes à l’ensemble du Maghreb, différentes configurations rituelles des éléments du cortège appellent quelques remarques. En effet dans certaines régions la cuiller à pot fait partie des processions et l’on relève aussi l’intervention conjointe de certains animaux. C’est le cas à Tanger par exemple, où une jeune fille monte à l’envers une ânesse. Celle-ci est habillée avec des vêtements de femmes : ceintures et foulards (Biarnay, 1924 : 138). De même dans le Haut-Atlas, chez les Infedouaq, une vieille femme est montée sur un âne déguisé. Ce dernier est poussé dans une rivière. S’il urine (28) c’est un bon présage pour les précipitations futures. L’intervention animale dans le cadre sacrificiel est assez répandue. C’est le cas à Aïn Sefra (Algérie), dans l’Altlas marocain ou en Tunisie. Il s’agit le plus souvent du sacrifice d’un taureau ou d’un agneau, et parfois d’un chevreau. Les animaux sont parés d’atours féminins et promenés en cortège. Dans tous les cas, l’animal doit être noir et sans tache, sa couleur rappelant celle des nuages chargés de pluie (29) (L. Joleaud, 1933 : 212).

Au sud du Tazeroualt [Maroc], les rites de la pluie comportent la promenade d’un agneau accompagnant la traditionnelle grande cuiller en bois, tlgonja, habillée en fiancée, taslit. La foule chante: “Belghonja! Qui croit en Dieu qui peut nous secourir avec la pluie par l’Agneau et le Bélier réunis” (op. cit.) (30).

Dans la plupart des rituels l’animal est aspergé d’eau. S’il urine durant la cérémonie la pluie va revenir en quantité. On peut noter ici l’utilisation constante des liquides, comme l’eau, les pleurs, l’urine et l’eau des cours d’eau, autant d’éléments symboliques évoquant la pluie. Le sacrifice (31) n’est pas systématique ; parfois l’animal est uniquement promené puis restitué à son propriétaire. Si la pluie arrive, on organise un repas et l’animal est alors sacrifié (32). Signalons enfin un dernier rituel fréquemment associé aux processions de la « cuiller à pot », celui du jeu de la balle à la crosse.

Jeu de la balle à la crosse Takurt (33) et obtention de la pluie

Ce jeu, fort ancien, est couramment pratiqué en Afrique du Nord et marque souvent la fin du rituel de la « cuiller à pot » (Doutté : 1905, Westermarck : 1913, Monchicourt : 1915, Laoust : 1920, Marçais et Guiga : 1925, Joleaud : 1933, Loubignac : 1952, Genevois : 1978, Camps : 1989, Safi : 1989). Très généralement le jeu consiste pour deux camps adverses à échanger une balle à l’aide de bâtons recourbés, où à se disputer la balle jusqu’à ce qu’elle tombe dans un trou préparé pour la recevoir (Genevois, 1978 : 396)34. À Merzouga, on utilise la partie inférieure d’une palme, laquelle constitue une sorte de raquette triangulaire légère et résistante. La balle est formée de poils de dromadaire enroulés en pelote, d’un diamètre de 15 à 20 cm.

Des parties sont organisées durant la fête du printemps et également en temps de sécheresse pour attirer la pluie (35). Ce jeu semble partout au Maghreb conserver un caractère rituel. E. Westermarck (1913 : 121) en signale la pratique par deux ou trois femmes entièrement nues, loin du regard des hommes, afin d’obtenir le retour de la pluie. De même :

Chez les Tsoul, au Nord-Ouest de Taza, des femmes également nues se livrent à ce sport en utilisant une cuiller à pot pour lancer la balle. (L. Joleaud, 1933a : 242)

Lorsque le jeu met exclusivement en scène des femmes, il peut être considéré comme un rituel en faveur de la pluie. Différents auteurs (Joleaud : 1933a, Prost-Biraden : 1932) ont proposé de comparer ces pratiques à un culte très ancien décrit par Hérodote (36). En hommage à une déesse de caractère guerrier honorée par les Machlyes et les Auses « filles de la mère et du fleuve », les jeunes filles divisées en deux camps luttaient à coups de pierres et de bâtons. Celles qui mouraient de leurs blessures étaient considérées comme des fausses vierges. L’on portait ensuite en triomphe près d’une étendue d’eau la lutteuse la plus forte, et donc la plus pure (Monchicourt, 1915 : 79).

Si l’on admet que de nombreux jeux dérivent d’anciens rites magiques, on peut supposer qu’ici le jeu de la balle a pour but de simuler le mouvement des nuages avant l’arrivée de la pluie. La violence du jeu est soulignée partout. Elle pourrait évoquer l’orage ou, plus simplement, la succession des saisons, succession mimée sous la forme d’un combat rituel par le jeu de la balle à la crosse (37). Au Tafilalt, écrit E. Laoust (1920 : 208), les femmes engagent entre elles une lutte (38) qui se termine par la destruction du mannequin, et on prétend que sans ce combat il ne pleuvrait jamais. On relève aussi des simulacres de ces combats chez les Ida Gounidif, décrit par le même auteur. Les enfants partent en quête de farine et d’huile et demandent à une femme de leur préparer de la bouillie à proximité d’une aire à battre. Une fois leur repas achevé, ils s’emparent du foulard de la femme, le roulent en boule et se le lancent comme une pelote jusqu’à ce que la femme pleure. Les larmes sont supposées faire pleuvoir. En temps de sécheresse, chez les Kaoud, écrit Ch. Monchicourt (1915 : 79), les femmes s’arment de cuillers à pot et se disputent la balle pendant que les jeunes filles promènent un mannequin dans le campement.

En général, le jeu de la balle à la crosse clôt les cérémonies rituelles d’obtention de la pluie, juste avant le partage du repas collectif. La balle devait parfois être « enterrée dans le trou, comme le serait une semence » (G. Camps, 1989 : 797).

La part du féminin dans le rituel

Le rituel de la « cuiller à pot » se présente comme une allégorie de la féminité et plus particulièrement de la fécondité, manifestée par les vêtements des femmes Aït Khebbach et la mise en scène d’objets exclusivement féminins. En effet la procession rituelle de la « cuiller à pot » n’utilise que des éléments féminins. Ainsi seules les jeunes filles promènent le mannequin et sont avec leurs mères les inspiratrices du rite, depuis la confection du mannequin jusqu’à la préparation du repas. Les hommes n’apparaissent qu’à l’occasion de la consommation de la nourriture, le soir à la tombée de la nuit. La « cuiller à pot » est vêtue d’une robe de cotonnade blanche sur laquelle est déposée une étoffe transparente brodée de fils d’or ou d’argent, retenue par deux fibules d’argent aux épaules. Une large ceinture de cordelettes, alternant les couleurs traditionnelles des Aït Khebbach (rouge, jaune et vert) et ornée de pompons, étoffe les hanches du mannequin. Les pompons sont placés sur chacune de ses hanches. Cette ceinture appelée tasmert est portée par les femmes mariées mères de plusieurs enfants. Elle est le symbole même de la fécondité. Aussi tasmert n’est jamais portée par la fiancée le jour de son mariage (39). La ceinture des mariées, nommée taboqst est différente. Nettement moins large, elle se présente avec un seul pompon placé sur les reins de la jeune fille. Cette distinction entre tasmert et taboqst témoigne de l’association faite entre la « cuiller à pot » et la fécondité. Ainsi, plus qu’une fiancée, la « cuiller à pot » symbolise une femme féconde non une vierge. C’est aussi ce que relève Dominique Champault (1969) chez les Belbala, lorsqu’elle note que la « cuiller à pot » diffère des autres mannequins dénommés « fiancée » ou « mariée », tislit. « Ce n’est pas une vierge mais une femme (op. cit. : 141) ». Ceci est confirmé chez les Aït Khebbach par les autres éléments de l’habillement ; la robe de la « cuiller à pot » n’est pas la tenue des mariées mais l’habit traditionnel de fête des femmes. Les mêmes remarques s’appliquent au tatouage facial, réalisé avec du safran par les femmes sur le morceau de roseau qui figure le visage. Lors des mariages, le tatouage de la fiancée est appelé illaune. Il s’agit de marquer le contour du visage, l’arête du nez et d’ajouter un motif sur le menton. Rien de similaire pour la « cuiller à pot » dont le tatouage, bien que réalisé au safran, est celui, indélébile, des femmes mariées. On le nomme tiqsay. La distinction est là encore très nette entre fiancée, tislit, et femme, tmttut. Seul le fait que son visage soit parfois dissimulé par le voile pourrait assimiler la « cuiller à pot » à la fiancée avant la nuit de noces.

La « cuiller à pot » doit plutôt être considérée comme l’épouse de la pluie et non comme sa fiancée. De nombreux auteurs ont, semble-t-il, trop vite associé la « cuiller à pot » à une fiancée, sans doute en association avec le jeu de taslit (la fiancée ou la mariée) très répandu dans tout le Maghreb. Or dans la plupart des rituels observés ou décrits par les auteurs, le mannequin est le plus souvent nommé taghnja et non taslit. Ainsi chez les Infedouaq, E. Laoust (1920 : 215) signale, lors des rituels d’obtention de la pluie, la présence de deux « poupées » taghnja et son mari, argaz n-tghnja. Dans cet exemple, si la « cuiller à pot » était une fiancée son partenaire, anzar : la pluie (40), serait alors un asli, fiancé, et non un homme, argaz ou ariaz. Dans la légende rapportée par H. Genevois à propos de l’origine du rite celui-ci note (1978 : 393), « en cas de sécheresse on célèbre sans tarder Anzar (41) et la jeune fille choisie pour la circonstance doit s’offrir nue ». Il n’est plus question d’épousailles mais de représentation de l’union physique que l’on répète à l’occasion des différents rituels L’important n’est pas ici la virginité mais la fécondité (42). De manière encore plus claire, on peut évoquer un rite tout à fait similaire en Syrie du Sud, où le mannequin est dit « la mère de la pluie, celle qui enfante la pluie » (Monchicourt, 1915 : 77). Citons enfin un dernier argument qui plaide pour la thèse de l’épouse/femme et non de la fiancée/vierge, il s’agit du terme taslit lui-même, notamment utilisé dans une autre cérémonie décrite par Laoust (1920 : 217-224) celle des idoles de Taliza où l’une, masculine, adad, « le doigt », conduit le rituel des feux de joie et la seconde, taslit, préside aux rites de l’eau. Cependant cette taslit est tout à fait distincte des cérémonies mettant en scène la « cuiller à pot » et rien ne semble permettre de les confondre.

En ce qui concerne l’ensemble des rituels de la « cuiller à pot », l’association femme/fécondité/pluie apparaît dès lors évidente. Par ailleurs le rôle des femmes dans les rites de la pluie est très largement attesté par la littérature ethnographique.

La cuiller à pot : un ustensile féminin

Si l’on étudie le mode de constitution du mannequin, on peut interpréter la présence de la cuiller comme une représentation à la fois de la femme et de la vie (association femme / nourriture/pluie). La cuiller était anciennement l’unique couvert utilisé. C’est elle qui plonge dans la marmite et « octroie la nourriture » (Champault, 1969 : 142). La marmite de terre cuite figure dans la plupart des habitations des Aït Khebbach. Elle est posée sur le qanun en pisé construit par les femmes. Il s’agit d’un dôme percé formant un foyer rond. Les braises sont déposées au centre ; la marmite repose sur l’armature en terre. On adjoint souvent un second dôme de dimension réduite, permettant de chauffer en permanence une bouilloire d’eau pour le thé. La cuisson au feu de bois est pratiquée le soir et plus particulièrement en hiver. Le couscous n’est jamais cuit au gaz, considéré comme un combustible qui entraîne une cuisson trop rapide. Le repas du soir, uniquement constitué d’une soupe d’orge et de navets, est cuit au feu de bois. La soupe offerte ensuite dans des bols est d’abord refroidie à l’aide de la louche (fig 4, ci-dessous).

Photo 4. Modèle actuel de louche, en bois de tamaris (longueur totale 50 cm)

Pour ce faire, la femme la remplit et la verse plusieurs fois dans le récipient avant de la servir pour de bon. Si aujour­d’hui on constate l’apparition de louches en aluminium, la louche en bois (43) demeure privilégiée. La cuiller est donc fortement asso­ciée à la fonction nourricière, tout comme l’eau qui nourrit la terre et fait croître le grain. L’utilisation dans le rituel de taghnja de la pelle à grain (44) participe d’une symbolique similaire car c’est elle qui déplace les grains dont la croissance est rendue possible par la pluie. Enfin l’omniprésence du roseau plante qui ne pousse que dans des sols gorgés d’eau. Dans la plupart des sociétés sahariennes et nomades les ustensiles culinaires sont très peu nombreux. À Merzouga, l’apparition du meuble vaisselier destiné à exposer les différents plats, couscoussiers, théières est relativement récente. Les plats en faïence de confection chinoise supplantent peu à peu les ustensiles traditionnels. Cependant le plat en bois muni d’un pied, le couscoussier en vannerie traditionnelle et la louche demeurent les éléments essentiels du mobilier. Et c’est la cuiller en bois qui est systématiquement utilisée lors des cérémonies du mariage.

À l’occasion de l’un des derniers rituels du mariage la cuiller à pot a également sa place. Dans ce rituel, un isnaïn (45), un des personnages qui prennent en charge l’ensemble des cérémonies du mariage, donne des conseils “inversés” à l’épouse, une fois l’ensemble des cérémonies terminées, lorsque la jeune mariée prend son premier repas chez son époux. En présence du jeune couple, isnaïn prélève une louche de beurre qu’il verse sur le couscous en donnant à la jeune épousée une série de conseils contraires aux règles d’usage. Ainsi, par exemple, il lui enjoint de désobéir à sa belle-mère, de lui voler des œufs, de refuser de travailler, etc. Cette inversion rituelle des fonctions de l’épouse et l’utilisation de plaisanteries constituent pour les hommes un support d’expression privilégié et indirect sur le monde des femmes que les prescriptions coutumières interdisent de discuter dans la quotidienneté. Ses conseils “à l’envers” permettent à isnaïn de mettre en garde le jeune marié contre certains des comportements féminins considérés comme une entrave à l’expression de la domination masculine. L’utilisation de la cuiller dans ce rituel apparaît comme le symbole même de l’économie domestique féminine et s’associe ici pleinement non à la virginité, laquelle a déjà été manifestée et fêtée rituellement immédiatement après la nuit de noce, mais à la fécondité.

Enfin la gestuelle du rituel de la « cuiller à pot » s’oriente autour d’actions évoquant la pluie. Ainsi les mains, constituées des deux louches, sont tournées vers le ciel pour recevoir l’eau de pluie. Les multiples aspersions d’eau lors des stations du cortège devant les habitations symbolisent explicitement les averses attendues. On peut à nouveau noter l’intervention exclusive des femmes puisque seule la maîtresse de maison asperge la « cuiller à pot ». Chez les Belbala (sud-ouest algérien) certaines femmes vont aussi verser directement de l’eau dans les deux louches, amorçant ainsi la chute de la pluie (Champault 1969 : 142). A cette gestuelle évocatrice l’auteur ajoute l’intervention du pilon de bois figurant le corps de la poupée lequel « pénètre verticalement dans le mortier comme la pluie dans le sol ».

En d’autres termes, à Tabelbala comme aux confins du Tafilalt, la confection de la « cuiller à pot » , l’ensemble de ses atours et la gestuelle usitée lors de la procession rituelle mettent en scène des éléments exclusivement féminins et pleinement associés à la vie conjugale. L’apparence vestimentaire de la poupée évoque bien une femme et non une jeune mariée, et l’utilisation de la louche est une allusion aux fonctions nourricières de la femme-mère.

Symbolisme rituel : fécondité, procréation et enfantement

Il reste un dernier élément à évoquer à propos de la constitution matérielle de la « cuiller à pot ». Nous avons noté le rôle de la cuiller à pot comme représentation symbolique de la femme en tant qu’épouse féconde. L’armature figurant le corps de la poupée est constituée d’un roseau, plus rarement d’un morceau de bois de tamaris. Ces deux éléments symbolisent ici encore la fécondité.

Le roseau (46) ainsi que le bois de tamaris est généralement utilisé métaphoriquement dans les discours relatifs aux représentations physiolo­giques de l’engendrement, où l’homme est représenté par une branche de tamaris (47) fichée dans la terre laquelle, sorte de matrice originelle, représente la femme. L’eau est ici le principe fécondant, principe nécessitant l’intervention complémentaire de l’homme et de la femme puisque l’eau de l’homme amen n-ariaz et l’eau de la femme amen n-tamttut doivent s’ajouter à la terre et au tamaris. De la sorte, le couple terre – eau reproduit rituellement la perception de l’engendrement (48).

Si, comme le souligne T. Sanders (2002), de nombreux auteurs ont mis en avant le symbolisme sexuel des rites d’obtention de la pluie, chez les Aït Khebbach le symbolisme rituel de la procession de la « cuiller à pot » est directement orienté vers la glorification de la fécondité féminine (49). Les éléments culinaires du repas collectif organisé après la procession rituelle le confirment.

La collecte de dons alimentaires apparaît comme l’une des phases essentielles du rituel d’obtention de la pluie ; elle mobilise l’ensemble de la communauté villageoise. Les dons n’impliquent ni argent, ni viande rouge dont l’abattage rituel est réservé aux hommes. La farine, le blé, l’orge, la semoule, le lait et ses dérivés, beurre, lait caillé, les volailles et les œufs sont des denrées associées au monde féminin. À Merzouga, comme dans l’ensemble du monde rural marocain, l’élevage, la vente des volailles et des œufs sont le fait des femmes. C’est ainsi qu’elles peuvent disposer de modestes ressources financières.

Le repas qui sera ensuite consommé par tous une simple bouchée – permettant de parler de partage – de nourriture (50) est le plus souvent constitué de soupe, de bouillie, ou de crêpes, parfois de volaille, le sacrifice d’un poulet apparaissant comme un sacrifice pleinement féminin, (Zirari, 1999). Quant aux produits laitiers, il s’agit de lait de chèvre ou de beurre fondu fabriqué par les femmes qui prennent en charge la traite des animaux.

On note surtout la prépondérance des éléments céréaliers (51) qui occupent une place essentielle dans les habitudes alimentaires maghrébines. La complémentarité des genres y est manifeste, les hommes cultivent et récoltent tandis que les femmes réalisent la transformation des céréales en biens de consommation induisant trois actes féminins, fondateurs du domaine culinaire : moudre, pétrir et cuire (Virolle-Souibès, 1989 : 74). Ces préparations, note l’auteur, expriment le rôle féminin et l’acquisition du statut de femme par le biais de l’élément liquide ; c’est la pleine maîtrise du sec et de l’humide (op. cit. : 96).

La soupe constituée d’orge et de farine est le plat principal du banquet rituel. L’orge, céréale souvent associée aux femmes, sert à la confection du repas que l’on retrouve systématiquement à l’occasion des rituels de la naissance. Les accouchées en consomment durant les trois premiers jours qui suivent l’accouchement, car l’orge est considérée comme particulièrement reconstituante. J. -H. Prost-Biraben (1932 : 101) évoque la préparation de la zerda, soupe spéciale d’herbes et de légumes, préparée rituellement par les vieilles femmes et symbolisant la fécondité. Le poulet, la soupe d’orge, la farine, les œufs, le lait de chèvre et le beurre servi lors du repas clôturant les rituels d’obtention de la pluie sont exactement les mêmes que ceux servis à une nouvelle accouchée. Comme le souligne Biarnay (1924 : 135), l’eau qui tombe fin mars, et permet donc d’ensemencer et plus tard de récolter, est donnée à la parturiente en cas d’accouchement difficile.

En conclusion, la mise en scène de la « cuiller à pot » met en évidence la trame rituelle des cérémonies orientée vers une représentation de l’engendrement et de l’enfantement. Le parallèle sémantique entre la venue de la pluie et la célébration de la fécondité est ici évident et renforce notre hypothèse selon laquelle la « cuiller à pot » matérialise la femme féconde et non la vierge. Par ailleurs, le fait que seules les femmes soient à l’initiative de la cérémonie, ainsi que la présence exclusive de fillettes durant la procession rituelle, tend à renforcer l’idée d’une valorisation de la fécondité féminine.

Compte tenu du maintien du rituel de la « cuiller à pot » en milieu berbérophone marocain (52) et du soin toujours porté aujourd’hui à la confection de la « cuiller à pot », il nous apparaît important d’en poursuivre l’étude. En effet, pour nombre de Berbères marocains, les processions de la « cuiller à pot » témoignent d’une marque identitaire forte (53) du monde berbère.

Marie-Luce GÉLARD
Source : Journal des  Africaniste

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Notes :

1 Il demeure difficile de donner une date précise dans la mesure où les informations sont transmises et rapportées oralement.
2 Nous reviendrons plus loin sur les distinctions qu’il convient d’établir entre “fiancée” et “mariée”.
3 Terme dérivé de iqur, « il est sec ».
4 Vallées ou dépressions bénéficiant de la crue d’un cours d’eau ou d’eaux de ruissellement.
5 En zone saharienne, compte tenu du climat, les semailles sont beaucoup plus précoces que dans le reste du Maroc où elles ont lieu plutôt vers le mois de mars.
6 L’un des anciens lance un appel pour réunir tous les nomades et sédentaires de la tribu des Aït Khebbach. Ceux-ci diposent d’un mois pour se rendre sur les terres collectives afin de prendre possession de la parcelle de terre qui leur revient. La présence d’un seul représentant de chacune des fractions de la tribu suffit pour établir l’attribution, comme le stipule le droit coutumier en matière de partage des terres collectives, allouées pour une seule récolte.
7 En Kabylie, quelques gouttes de la pluie de mars ou de mai (nisan) sont aussi utilisées dans la confection du couscous (Virolle-Souibès, 1989 : 94).
8 Chez les Aït Khebbach, l’utilisation du roseau est quasiment exclusive de toute autre matière. Dans la culture matérielle saharienne celui-ci occupe une place privilégiée. Son emploi est multiple (toiture des habitations, abri contre le soleil, élément amovible du métier à tisser, etc.), il est aussi utilisé dans différentes pratiques rituelles (procédure symbolique pour préserver la virginité des filles, coupe du cordon ombilical, etc.). Ses qualités, souplesse et résistance font du roseau un élément essentiel qui ne semble pas avoir trouvé d’autre élément de substitution alors que la matière plastique supplante désormais la majeure partie des vanneries traditionelles. À ce propos, voir Benfoughal (1996).
9 Il s’agit d’un arbuste, pouvant atteindre une envergure imposante, pourvu de petites feuilles en écaille. Le tamaris ou tamarix pousse dans les erg sahariens et sur les sables du littoral. Tout comme le roseau, il est fréquemment associé à l’eau.
10 Comme le souligne M. Gast (1968 : 366), à propos de l’Ahaggar, l’utilisation de la fourchette est quasi inexistante en milieu rural saharien, « la cuiller étant le seul instrument qui porte la nourriture du plat vers la bouche », sinon on mange exclusivement avec les doigts.
11 Village d’Hassi Lbyed, 2004.
12 W. Marçais (1925 : 202) signale, en Tunisie, la confection d’un mannequin nommé « mère Bangou » à l’aide d’un “bâton à battre le blé” et d’un “bâton à piquer les ânes”.
13 Lorsque la cuiller ne fait pas partie de la confection du mannequin, on relève toutefois l’unanimité des prières qui débutent invariablement par le terme tlaghnja. On peut donc supposer que les modifications rituelles pratiques n’ont pas entraîné d’altération du marquage identitaire du rituel.
14 Voici un chant de demande de pluie recueilli par W. Marçais (1954 : 156) : “Donne-nous la pluie à verse, pour que vive la veuve. Donne-nous pluie qui inonde, pour que vivent les laboureurs. Madame mère de la pluie, l’eau dégouttera, la terre sera abreuvée. Nous ferons des crêpes”.
15 Les deux régions sahariennes du Tafilalt et de Tabelbala (oasis du Sud-Ouest algérien) ont longtemps été en contact à l’époque du commerce transsaharien et offrent d’importantes similitudes dans de nombreuses pratiques. L’oasis de Tabelbala est connue des Aït Khebbach qui ont longtemps nomadisé dans cette région, aujourd’hui territoire algérien, et entretenu des relations commerciales avec celle-ci, située à seulement 180 km au Sud du Tafilalt (Gélard, 2003).
16 Voici la description proposée par Dominique Champault : “Deux louches sont ligaturées perpendiculairement à un pilon de bois. Le pilon symbolise la pluie pénétrante. Les louches, cuilleron tourné vers le ciel, implorent la venue d’une eau précieuse. Parée des bijoux des femmes fécondes, tarenja est promenée à la tête d’un cortège de jeunes filles au moment où la pluie est souhaitée; de maison en maison, on asperge tarenja d’eau et l’on donne quelques présents en nature qui seront partagés par les jeunes filles au cours d’une agape nocture”.
17 Dans la région de Merzouga il n’existe plus de famille maraboutique. En effet les marabouts (igwrramen) ont quitté la région à la suite d’un conflit les opposant à la tribu. Ils sont dits avoir utilisé leur pouvoir magique afin de marquer leur profond mécontentement et avoir stoppé l’écoulement de la source alimentant le village. Les Aït Khebbach furent contraints de leur « demander l’excuse » afin qu’ils mettent fin au charme maléfique. Ceci fut fait mais les marabouts refusèrent définitivement de revenir vivre au sein de la tribu des Aït Khebbach. D’une manière générale, le maraboutisme et le culte des saints sont souvent associés aux rituels d’obtention de la pluie ; les marabouts et les saints apparaissant dans un rôle d’intercesseur.
18 Cliché D. Champault (Collection Quai Branly, ancienne coll. du musée de l’Homme, n°60.39.I)
19 En Tunisie, chez les Souassi, la poupée, tenbou, est placée dans un tombeau maraboutique, duquel elle est extraite rituellement, au départ du cortège (Ménouillard, 1910).
20 Les Aït Hadiddou se sont surtout rendus célèbres par l’organisation de leur Moussem, à l’occasion duquel sont organisés des mariages collectifs, par ailleurs improprement qualifié de “foire au fiancées”. Pour plus de détail, voir Gélard (2000) : 297.
21 À ce propos voir également le texte de Schüle (1987).
22 Il s’agissait de ramener l’esprit qui gonfle les germes et d’assurer à la terre l’eau qui la féconde. Ce dessein nous est d’ailleurs confirmé par le côté licencieux de la fête : les libres propos, les gestes hardis, les mille appels à la fécondité (P. Saintyves, 1933 : 149).
23 Voir les descriptions des cérémonies de “la nuit de l’erreur”, Laoust (1920) et Joleaud (1933).
24 Au début du XXe siècle, l’édification de galeries drainantes, fogaras, qui sont à l’origine de la création d’une source indispensable à l’installation du village, demeure un sujet de grande fierté pour la plupart des anciens. En effet cette construction fut réalisée par quelques dizaines d’hommes, en très peu de temps, ce qui constitue une véritable prouesse car les conduits s’étendent sur plusieurs kilomètres. Une attention constante lui est portée. Dans la palmeraie, le canal adducteur principal ne doit jamais être sali et on évite d’en troubler l’eau, y compris lorsque celle-ci doit s’écouler dans les parcelles cultivées. L’eau destinée à la consommation est prise en amont, juste à l’endroit où elle sort des canaux souterains.
25 Voir Houdas (1904 : 330-331), Bel (1905) et Doutté (1909 : 591-596).
26 Comme le souligne M. Gast, la littérature ethnographique manque de descriptions sur l’istisqa, souvent considéré comme un ensemble d’actes « paiens » que l’islam orthodoxe rejette. On relève cependant l’étude récente de El Adnani (2005) qui illustre les liens entre pluie et pouvoir politique au Maroc. Il décrit notamment l’apparition, dans la deuxième moitié du XIXe siècle du « mythe de la pluie qui tue le sultan » comme moyen de discrédit du pouvoir. Le mythe explique qu’après la prière dite « Salat al-Istisqa » si « la pluie s’ensuivait, le sultan mourrait ». L’historiographie marocaine signale le refus des sultans de participer à ladite prière. La mort du sultan pourrait être perçue comme une nécessité d’ordre « sacrificielle ». Pour plus de détails, je renvoie au texte d’El Adnani (op. cit).
27 La prière de la pluie, impose un changement spatio-temporel note El Adnani (2005 : 65), le lieu de cette prière est aussi celui de la fin du jeûne et du sacrifice du mouton : « C’est sans doute parce que l’humilité et la soumission dont on doit faire preuve pour demander à Dieu la pluie, rejoignent le sacrifice et l’ascétisme célébrés dans les deux fêtes » (op. cit.).
28 Le rôle de l’urine comme symbole de la pluie est également fréquent chez les Beni Mahsen “où un personnage influent arrose de son urine un plat de couscous : si le liquide filtre à travers la semoule et s’écoule par les trous du keskes, l’année sera pluvieuse” (Joleaud, 1933a : 240).
29 Voir les développements proposés par J. G. Frazer (1935 : 159-197), dans le chapitre sur la maîtrise magique de l’atmosphère et J-F. Vincent (1991 : 649).
30 Également relevé par E. Laoust (1920 : 210).
31 Il convient aussi de signaler d’autres pratiques rituelles destinées à combattre la sécheresse comme celui du végétal détruit par lapidation. Voir El Alaoui (2002 : 311sq).
32 Toute consommation de nourriture carnée s’accompagne d’un sacrifice sanglant (immolation prescrite par l’Islam).
33 En arabe kura ce jeu est appelé autrement, jeu de zerzari ou chirra(Loubignac, 1952 : 309).
34 E. Doutté signale trois manières différentes de jouer à la kura. Dans le premier cas les joueurs sont répartis en deux camps, la balle est déplacée au pied et ne doit pas rester dans un camp, le but étant de s’en débarasser. La deuxième façon de jouer consiste à ne frapper la balle qu’avec l’aide d’un bâton. Cette fois la balle doit être amenée dans le camps des joueurs adverses. Enfin, la troisième manière de jouer nécessite de lancer en l’air la balle, d’effectuer une pirouette sur les mains et de frapper celui qui se trouve le plus près de soi. Cette règle engendre parfois des luttes violentes entre les adversaires. “On n’est pas divisé en camps et c’est celui qui est le plus résistant qui est le vainqueur” (Doutté, 1905 : 319). Selon l’auteur, le fait que la balle doive être amenée dans un trou constitue une variante aux règles habituelles du jeu.
35 Voici la description faite de ce jeu par W. Marçais (1925 : 201) à Takroûna (Tunisie) juste après le sacrifice destiné au retour de la pluie : « Oumm-el-Kheir prit son couvre-tête, le roula en boule, le ligotta d’un fil de chaîne et le lança à terre en disant à ses compagnes: “Allons! Jouez votre partie!”. Là-dessus, une mêlée s’ensuivit, les unes poussant la balle vers le bas de la rue et les autres vers le haut. Elles se bousculaient comme des chamelles et aucune d’elles ne disaient : “Mon feu est froid!” Mêlée sans règle et sans suite. Chacune frappait là où elle trouvait à placer son coup, sans se soucier [de la direction], que ce fût, non vers son but [mais vers celui de l’adversaire]. Vous n’auriez vu que femmes courant, tapant ; et elles criaient à qui mieux mieux en se tordant de rire. L’une allait son vêtement dégrafé, l’autre sa ceinture défaite ; et d’autres encore avaient perdu leur coiffure. Fatiguées enfin, rendues, n’en pouvant plus, elles se réunirent en un paquet et, toutes ensemble, poussèrent un même cri : “À toi d’intercéder! O l’Ami! O Envoyé de Dieu!” ; ceci trois ou quatre fois. Puis chacun s’en fut chez soi ».
36 Voir la description détaillée rapportée par D. Bertholon (1909 : 52-53).
37 En Tunisie, A. Safi (1989 : 88) note : “Quand persiste la sécheresse, deux groupes de vieilles femmes se livrent à un véritable match de “hockey”, se lançant, au moyen de cuillers en bois, un ballon formé de chiffons usagés. Le match se déroule dans un cimetière et prend fin quand les cuillers se cassent”.
38 Cette lutte n’est pas une lutte sanglante.
39 Pour plus de détails sur la symbolique de la ceinture : ceinture de la puberté, du mariage ou de la femme mariée, nous renvoyons à l’étude de T. Benfoughal et M. de Fontaines (1996).
40 En berbère anzar, la pluie, est un terme masculin.
41 Notons que la personnification et/ou l’instrumentalisation de la pluie sont très fréquentes dans certaines sociétés subsahariennes où la maîtrise de la pluie par les représentants du pouvoir est très répandue, comme par exemple au Cameroun où l’on relève l’existence de “pierres de pluie” détenues par le prince (Vincent, 1986 : 112). Pour plus de détails sur les liens entre pouvoir et contrôle de la pluie en Afrique centrale, voir Adler (1977), Muller (1983) et Jouaux (1989).
42 En Tunisie, le mannequin est “habituellement revêtue d’habits de femme, parfois même, comme aux Benî-zîd, de la défroque d’une ménagère renommée pour ses vertus et sa piété” (Marçais, 1925 : 206).
43 Les louches les plus grandes atteignent environ 15 cm de diamètre (cavité hémisphérique) et sont taillées dans du bois de tamaris. Les plus petites sont de la taille d’une cuiller individuelle et peuvent être taillées dans du bois d’oranger ou d’amandier. Les plus anciennes sont parfois ouvragées et présentent des incrustations de métaux (cuivre, argent). Elles sont fabriquées dans la petite ville de Rissani par les populations harratin vivant dans les palmeraies du Tafilalt. L’ustensile est toujours usité à l’occasion des rituels festifs et des repas collectifs.
44 Dans le Rif la pelle, ensuite dépouillée de ses habits, est plantée sur un tas de fumier jusqu’à ce que la pluie la mouille (Laoust, 1920 : 214). Elle retrouve ensuite sa fonction habituelle.
45 Voir Gélard (2001).
46 E. Laoust (1920 : 230-231) signale la fréquence du port d’un roseau comme instrument de charmes de pluie.
47 Cet arbre spontané des régions désertiques se plante directement dans la terre ou dans le sable où il est totalement enfoui. Il est ensuite arrosé abondamment. Ce procédé de bouturage très simple est fréquent dans la région de Merzouga. Lors des conflits fonciers, l’usage habituel consiste pour s’approprier une terre, à y planter des arbres. Compte tenu de leur maturation rapide les tamaris constituent de véritables actes de propriété.
48 De nombreux auteurs associent directement la terre, principe féminin, et l’eau, principe masculin, comme le souligne H. Basset (1921 : 361): “La récolte est le produit d’un mariage magique renouvelé chaque année, entre un élément femelle, la terre, et un élément mâle, la pluie”.
49 L’association entre l’obtention de la pluie et la fécondité se trouve aussi corellé à l’expression désignant l’arc-en-ciel ou la pluie par temps ensoleillé, on dit alors “c’est le mariage de Chacal”.
50 La commensalité est primordiale, elle active le lien communautaire. Plus généralement encore, le partage des biens est essentiel, chacun veillant à sa parfaite équité. Lors des différentes fêtes coutumières et/ou religieuses, une attention extrême est portée au fait que chaque membre de la famille et du voisinage dispose de sa part de denrées alimentaires.
51 Il est rarement fait mention de viande ou de graisse (Genevois : 1978), sauf bien sûr lorsqu’on relève l’intervention concomittante au rituel de tlaghnja, d’un sacrifice animal.
52 Nos enquêtes conduites en 2003 et 2004 dans le Tafilalt, le Haut-Atlas (Aït Yafalman) confirment le maintien du rituel de tlaghnja, ainsi que dans la région de Marrakech.
53 À tel point que la formule très souvent citée apparaît aujourd’hui comme l’une des revendications culturelles de la berbérité : « Tant que tlaghnja vivra, vivra le peuple berbère. », propos recueillis en 2003 et 2004 à Merzouga. Cette expression figure aussi dans l’ouvrage pour enfants de Terna Hajji (2003).

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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