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Le rapport de Me Kouceila Zerguine à propos de la discrimination envers les prénoms amazighs

A l’occasion de la tenue de la 57ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, maître Kouceila Zerguine a exposé à l’instance africaine la discrimination qui frappe encore les prénoms amazighs en Algérie. Nous reproduisons ci-dessous son rapport .

L’État a l’obligation de respecter l’article 2 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui garantit le droit à la non-discrimination, et l’article 3 qui consacre le droit à l’égalité.
Selon la recommandation n° 14 de 2008 de la Commission africaine, l’État algérien devait : « prendre des mesures appropriées pour assurer le respect des droits et libertés de toutes les personnes telles qu’entérinés dans la charte africaine ».

Pendant la présente période, plusieurs familles berbères ont été victimes de discrimination de la part de l’administration algérienne lorsqu’elles ont voulu enregistrer leurs enfants sous un nom amazigh (berbère).
Dans le cinquième et sixième rapport périodique de l’État, aucun élément de réponse n’est apporté sur ces cas de discrimination(1).

A. Analyse de la loi
La Constitution algérienne reconnaît expressément dans son préambule l’identité berbère comme une composante fondamentale de l’identité algérienne aux côtés de l’arabité et de l’Islam. De plus, l’article 29 de la Constitution dispose que : « les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de race ou toutes autres conditions ou circonstances personnelles ou sociales »
Concernant le choix des prénoms, l’article 64 de l’ordonnance n° 70-20 du 19 février 1970 relative au Code de l’état civil indique que : « Les prénoms sont choisis par le père, la mère ou, en leur absence, par le déclarant. Les prénoms des nouveaux nés doivent être de consonance algérienne », ce qui est assurément le cas des prénoms berbères.
Cependant, le décret n° 81-26 du 7 mars 1981 portant établissement d’un lexique national des prénoms restreint ce choix à une liste arrêtée conjointement par le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice. Ce lexique officiel des prénoms doit en principe faire l’objet d’une actualisation tous les trois ans. Or, jusqu’à présent, aucune actualisation n’a jamais été réalisée.
Enfin, l’acte discriminatoire ne constitue pas, au regard du Code pénal algérien, une infraction.

B. Analyse de la pratique
En pratique, le refus d’enregistrer des prénoms berbères à l’état civil persiste depuis l’indépendance de l’Algérie. Plusieurs familles ont été confrontées aux pratiques abusives et arbitraires de l’administration pendant la période du présent rapport.

Ainsi, le 11 mars 2013, Fouad Hassam s’est rendu à la mairie d’Oran pour inscrire sa fille sur les registres de l’état civil sous un nom « Massilia ». Il a été confronté au refus arbitraire de l’officier de l’état civil d’inscrire sa fille sous ce prénom prétendant que ce n’était pas un nom algérien. L’inscription de l’enfant sous ce prénom n’a pu être réalisée que 7 mois plus tard suite à une décision judiciaire.

Le 11 août 2013, Ali Ouchène a également été confronté au refus arbitraire de l’officier de l’état civil de la mairie d’Arris (wilaya de Batna) d’inscrire son fils sous le prénom « Gaya », au motif que ce prénom « n’aurait aucun sens ». Le père n’a pu obtenir gain de cause qu’après 15 mois de procédure judiciaire.

De même, le 9 novembre 2014 à T’kout (wilaya de Batna), l’officier de l’état civil a refusé d’inscrire un nouveau-né sous le prénom « Thifyour ». Il a exigé, en dehors de tout cadre légal, une autorisation du procureur de la République. Par la suite, l’APC (Assemblée populaire communale, l’équivalent de la mairie) s’est rétractée lorsque les parents leur ont fait part de leur volonté d’ester en justice.

Le 14 novembre 2014 à la wilaya de Ouargla, une autre famille qui voulait inscrire leur fille sous le prénom « Taziri », a été confrontée au refus arbitraire de l’officier de l’état civil de l’APC de Ouargla. Cette inscription a été réalisée seulement après l’intervention d’un parlementaire.

La situation de « Massilia », « Gaya », « Thifyour » et « Taziri » est à l’image de nombreux nouveaux nés et de leurs familles qui sont victimes de discrimination chaque année.

En 2012, le Comité des droits de l’enfant s’est inquiété : « de ce que, dans certaines villes, les familles berbères ne sont pas autorisées à enregistrer leurs enfants sous un nom amazigh »(2). De même, dans ses observations finales du 1er mars 2013, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est ainsi déclaré : « préoccupé du fait que dans certaines wilayas, les officiers de l’état civil refusent de procéder à l’enregistrement des prénoms amazighs [c’est-à-dire berbères] sous prétexte qu’ils ne figurent pas sur « la liste des prénoms à caractère algérien »(3). L’information fournie au Comité par le gouvernement algérien : « concernant la révision de la liste des prénoms pour y inclure plus de 500 prénoms amazighs » n’a toujours pas été mise en place à ce jour.

C. Recommandations
Face à ce constat, les auteurs du présent rapport demandent à la Commission africaine de demander à l’État algérien de :
-Prendre les mesures nécessaires pour assurer qu’en fait et en droit tous les Algériens aient le libre choix des prénoms de leurs enfants et puissent les inscrire auprès de l’officier de l’état civil sans aucune discrimination .

-Assurer la formation de l’administration au droit à la non-discrimination .
-Sanctionner les membres de l’administration qui se seraient rendus coupables de discriminations.

Note :

(1)Algérie, Cinquième et sixième rapports périodiques, 2010-2014, décembre 2014, p. 21-22
(2) Comité des droits de l’enfant, Observations finales, Algérie, 18 juillet 2012, CRC/C/DZA/CO/3-4, § 39
(3)Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant les quinzième à dix-neuvième rapports périodiques de l’Algérie, adoptées par le Comité à sa quatre-vingt-deuxième session, 16 avril 2013, CERD/C/DZA/CO/15-19, § 16a

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