OnomastiqueToponymie

L’étymologie du mot «Aurès»

Awrès ou Awras est le plus ancien oronyme de l’Afrique du nord. Il est cité dès le IIe siècle par Ptolémée sous le nom « Audus » : « Au midi des Cirtésiens et de la Numidie habitent, au pied du mont Audus, les Misulames ».
Le poète épique romain Corippe ayant vécu au VIe siècle évoqua la « Aurasitana manus » (l’armée aurassienne): «Aurasitana manus celsis descendit ab oris », l’armée aurassienne descendant de sa montagne, pour rejoindre la coalition berbère réunie sous les ordres du chef Antalas afin d’affronter le général byzentin Jean Troglita (la Johannide., II, 149).
L’historien byzantin Procope de Césarée quant à lui , évoque l’Aurès sous le nom de « Mons Aurasius », que certains auteurs français ont traduit par « Aurasion » , ou « Aurasio » (1).
Dans d’autre traductions ont retrouve même « mont Aurase » : « Jabdas (sic) demeura ferme à la tête de vingt mille homme, et entra dans le fort de Zerbulon , qu’il avait construit sur le mont Aurase » ( La guerre Vandale) . Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière dans son dictionnaire géographique (1768) dit : « Aurase : Quelques uns comme Baudron éd. 1705, disent AURAIS, d’autres, comme Marmol , disent Aurae . Baudrand , éd. 1682 dit aussi Auras . Il l’appelle en latin Mons Aurasinis et dit que son ancien nom est Audus . Corneille dit [qu’il y a] en fait deux montagnes, l’une nommée Aurais, l’autre Auraz , en quoi il se trompe » (2) .
Chez les auteurs français, les formes Auras, Aurais, et Auraz , évoluerons en Aourâs et finissent par nous donner la forme qu’on connait aujourd’hui : Aurès . Les chroniqueurs arabes utilisèrent Aurasius de Procope et en ont fait اوراس (Awras) comme : Ibn Khaldoun , Léo l’Africain , Al Bakri , et Al Idrissi .
Selon Thomas Shaw, les turcs désignaient l’Aurès sous le vocable « Evress » (3) .

Origine du mot Aurès

En thachawith on prononce « awres » , adhrer n wewres ( mont de l’Aurès) . C’est le nom d’une petite chaîne qui va de Tamza (wilaya de Khenchela) vers la vallée du Mellagou (4) , et dont le sommet est appelé «ixef n ousserdhoun» (pic du mulet). Le nom Awres s’est étendu ensuite sur  l’ensemble du massif.
Le structure du mot Awres est typiquement berbère : a-CCEC est un schème nominal très fréquent; on le rencontre, dans plusieurs adjectifs : arguez, akses , arkes .
Bien qu’il existe plusieurs hypothèses sur la signification du mot Awres , la plus plausible est celle qui fait référence à la couleur « rouge » , « ocre » , « rousse » . Il est vrai que la couleur rouge de la chaîne de l’ouest de Tamza qui a donné son nom à tout le massif, est très visible sur la photo (voir la photo ci-dessus). La richesse en oxyde de fer donne à cette montagne cette couleur ocre qui la distingue du reste du massif aurassien .

Awres /Ares

L’existence du mot « Ares » très proche de awres qui se réfèrent à la même couleur, donne encore plus de crédit à cette hypothèse. En effet, « yis ares » désigne un cheval ” bai, alezan”. « Thahuth tarest » signifie une ’’fille rousse’’.
Chez les Aïth Saïdh de Rmila , les Aïth Oujana de Chélia ( wilaya de Khenchela) , ainsi que dans l’ighzar Amellal ( W. Batna ), le terme est encore usité aujourd’hui . On s’étonnera au passage que les rédacteurs de l’encyclopédie berbère aient évoqué l’existence de l’adjectif « Aras » au Maroc et en Kabylie et ne pas en avoir signalé l’usage dans l’Aurès.

Awres / Tawrest

L’historien arabe Al-Bakri nous informe de l’existence, dans la région de Msila, d’une ville antique nommée “Tawrest”, تاورست, et qu’en langue berbère signifie « la rouge » :
(5)”مدينة خالية تُسمى بالبربرية “تاورست” تفسيره “الحمراء” وهي مبنية بالصخر على واد عذب”
Dans la traduction française du livre d’Al-Bakri, on peut lire à la page 320 :
« On y voit encore une autre ville antique sans habitants, et qui s’appelle en langue berbère ” Taourest” c’est-à-dire la rouge » (6) .

Le Père blanc Huyghe dans son « Dictionnaire chaouia – arabe – kabyle & français » sous le terme « auras » écrit :
« Auras : rouge, azeguagh […..] Ce mot actuellement hors d’usage en chaouia, se retrouve en kabyle sous une forme un peu différente et avec une signification également différente aras, roux, brun. Le sens de auras, nous est fourni par le géographe arabe El-Bekri, qui cite une ville du nom de Taourest….., ce qui veut dire la rouge » .

Awres / Aurasi

Emile Masqueray parle d’une inscription qui contient le mot « AURASI » (s’écrit AVRASI en latin) qu’il a étudié en mai 1876 sous la recommandation de son ami Letourneux . Elle est localisée au sud-est de Thazzoult , à Ahenchir d’Oued Bur ou bour ( Ighzar n bour , ou bour n’Aïth Zyan). « AVRASI est-il un nom de lieu, comme le veut M. Letourneux ? Est-il un surnom tiré du mont Aourâs lui-même ? ab ipso monte Aurasio ductum ? Ce peut être un nom de lieu terminé par l’adjonction ‘’i’’. Ainsi les noms Djidjell (Djidjlli) , Chull (Chulli ) , Thamugad ( Thamugadi ) ….. Nous n’avons pas à insister sur ce point de philologie, mais il est très admissible que le mot Aurasi ait été formé comme Thamugadi » écrit-il .
La deuxième hypothèse qu’il avance est que le ”Aurasi” nom de lieu soit utilisé comme surnom. Il donne de multitude d’exemple d’hommes qui ayant pris les noms de leur village comme surnom.
Selon cette hypothèse l’inscription serait une dédicace à un homme originaire de la petite chaîne de « Awres » et qui est enterré à « ighzar n bour » près de Tazzoult , c’est-à-dire à 80 kilomètre du lieu de sa naissance ; « Le caïd de Ouâd Abdi affectent (sic) d’appeler Aourâs le ras Aserdoun qui domine Khenchela (Mascula) » conclu E. Masqueray dans sa notice  archéologique de la province de Constantine .

Awaris/Awras /Abaritana/Abaris
Pour J. Desanges le vocable Abaritana mentionnée au Ve siècle par l’évêque Quoduultdeus de Carthage, puis par Victor de Vita pourrait être une partie reculée de la Gétulie, et elle ne serait donc en réalité qu’un avatar du mot Aurès. Il voit des correspondances phonétiques entre Abaritana/Abaris et Awaris/Awras (7) .

Aurès /Maure/ Abaritana
Dans le même sillage , Lionel Galand a vu une ressemblance entre les termes ayant été utilisés pour désigner l’Aurès et les mots « Maures » et « Abaritana » : « Les appellations Aurasion, Aurasius ont fait l’objet d’un double rapprochement intéressant: d’une part avec le nom des Maures, d’autre part avec celui de Abaritana (ou Auaritana regio)  ».

Aurès /Arzoun

Cette hypothèse a été émise par Letourneux au XIXe siècle , l’Aurès signifierais pays de cèdre, cet arbre occupaient jadis des immenses espaces dans le massif. Awres viendrais donc du mot hébreu Arzoun (cèdre).
Cette hypothèse qui était pourtant la seule à cette époque, à cause du manque du développement des études de la langue berbère, était loin d’avoir l’adhésion de tous les spécialistes de l’Aurès. Le colonel de Lartigue a déjà émis des doutes dans sa monographie de l’Aurès sur l’origine sémitique du mot ,  privilégiant l’origine locale : « La signification du mot AURES ou AOURES comme le prononcent les indigènes n’a pu encore être déterminé ; c’est probablement un nom d’origine berbère, qu’on retrouve donné à d’autre montagnes, notamment au djebel AOURES prés de KHENCHELA . Certains auteurs ont voulu faire dériver ce nom du mot hébreu “ARZOUN ” (cèdre), et les immenses forêts de cèdres qui ont recouvert autrefois et recouvrent encore une partie du massif prêteraient quelques vraisemblances à cette étymologie. On l’écartera cependant car il n’y a pas vraisemblance que les israélites aient pénétré le pays avant la conquête des romains qui appelaient cette contrée “MON AURASIUS“» (8).

Jugurtha Hanachi

1-MASQUERAY P., De Aurasio Monte, Paris, 1886.
2-Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière « Le Grand Dictionnaire géographique historique et critique » (1768) .
3-Dr Shaw « Voyage dans la régence d’Alger » , traduit e l’anglais par J Mac Carty , Paris 1830.
4-En examinant les premières cartes établies par les géographes de l’Armée française sur la base des renseignements fournis par la population locale : le terme de ‘’Djebel Aourès’’ n’y figure en effet que dans la moitié est des feuilles 29 et 38 où il désigne que cette chaîne.
صفحة 141-142 المغرب في ذكر بلاد افريقية و المغرب5- Abd Allāh ibn ʻAbd al-ʻAziz Al-Bakri : Description de l’Afrique septentrionale, page 320 .
6-J. Desanges et S. Chaker, « Abaritana ou Avaritana provincia », in Encyclopédie berbère, 1 | Abadir – Acridophagie [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2012, consulté le 15 avril 2015. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/772 .
7-Raoul-Julien-François de Lartigue (Lt-colonel.) , Monographie de l’Aurès

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