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Biskra, reine des Zibans

En allant de Batna vers le sud, la route de l’Atlas se faufile dans les gorges spectaculaires d’El Kantara. Alors, tout à coup, s’ouvre un vaste espace saharien. Cette porte du désert n’est pas seulement géographique. Elle est aussi climatique. En hiver, le froid et parfois la neige, sévissent sur les hauts plateaux de la région de Batna. En sortant d’El Kantara, un tout autre monde s’ouvre à perte de vue. Le désert prend tout à coup possession du paysage où les pluies se font plus rares.
Alors, plus loin dans cet espace saharien, le voyageur venu du nord arrive à Biskra, première oasis du grand désert.

Parler de Biskra ne se fait pas sans émoi quand on y a vécu. La douceur de son climat d’hiver comme le rythme de sa vie s’emparent du voyageur propulsé tout à coup dans la quiétude du monde saharien. La magie fait ensuite son œuvre. C’est comme si la langueur ambiante se mettait au diapason de la brise agitant les palmiers de l’oasis. Certes, Biskra est une ville de 300 000 ha, mais la frénésie urbaine n’est plus celle de la partie nord de l’Atlas saharien.
On ne s’étonnera pas qu’à une certaine époque – à la fin du XIXe et dans la première moitié du XXe – Biskra devint alors un lieu de villégiature prisé…
L’exposition « Biskra, Sortilèges d’une Oasis » organisée par l’Institut du Monde arabe à Paris (du 23 septembre 2016 au 23 janvier 2017), sponsorisée par l’Algérie, retrace donc cette période prestigieuse Elle s’efforce de recréer l’atmosphère saharienne de son oasis.

L’ancien Biskri que je suis se devait de venir y faire un saut même si cela devait être depuis l’extrême-Orient.

Cette rétrospective comporte un grand nombre de documents visuels ou sonores. Elle se compose de documents explicatifs, de cartes, d’affiches, de peintures ou de photographies anciennes. Il y a également des courts-métrages en noir et blanc. On pourrait craindre qu’il s’agisse d’une exposition au relent colonial. En réalité il n’en est rien. D’abord parce que beaucoup de documents ou de tableaux sont l’œuvre d’artistes locaux. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une exposition sponsorisée en grande partie par la République algérienne. Certaines œuvres exposées ont une provenance lointaine de Sydney à Washington D.C. Deux mondes se côtoient : les édifices en pisé et les seguias de la palmeraie, comme les constructions de l’époque coloniale (la poste, la gare, le casino et les jardins). Les environs de Biskra sont également évoqués :Chetma, Sidi Okba, les dunes d’Oumach, la palmeraie de Tolga. Il s’agit en outre d’une évocation des artistes locaux sur ce qui est convenu d’appeler l’École de Biskra, ou encore des célébrités diverses venues y chercher l’inspiration, comme Oscar Wilde, Anatole France ou Eugène Delacroix, précurseur des Orientalistes.

Voici quelques artistes figuratifs venus chercher exotisme et inspiration dans la région de Biskra :

Affiche de l’exposition « Biskra, Sortilèges d’une Oasis »
Eugène Fromentin (1820-1876), peintre et écrivain français.
Gustave Guillaumet (1840-1887), peintre orientaliste français.
Auguste Maure (1840-1907), photographe français.
Étienne (Nasreddine) Dinet (1861-1929), peintre orientaliste français.
Maurice Bompard (1857-1935), peintre français
Henri Matisse (1869-1954)
Il y a eu également des artistes nord-américains comme le Canadien Maurice Cullen (1866-1934) ou l’Américaine Anna Richards Brewster (1870-1952)
Abou-Obeïd el-Bekri (1014-1094), géographe et historien d’Al Andalus (Hispanie maure) : « Cette grande ville possède beaucoup de dattiers, d’oliviers et d’arbres fruitiers de diverses espèces. Les alentours sont remplis de jardins qui forment un bocage de six mille d’étendue. »
Eugène Fromentin (1820-1876), peintre et écrivain (‘Un été dans le Sahara‘, 1857) : « Cette subite apparition de l’Orient par la porte d’or d’EL-KANTARA m’a laissé pour toujours un souvenir qui tient du merveilleux » – 1853.
Guy de Maupassant (1850-1893) : « C’est là (Biskra) que j’espère goûter le désert, car ce pays a vraiment pour moi une saveur unique. »
Anatole France (1844-1924), romancier, membre de l’Académie française, lauréat du Prix Nobel (1921).
André Gide (1869-1951), romancier français, lauréat du Prix Nobel (1947) : « Si Biskra continue d’être ce qu’il est, à savoir l’endroit du monde où je souhaite le plus de vivre, j’y fais construire et reviens y vivre chaque hiver. »
Sir Charles Thomas-Stanford (1858-1932), britannique : « Biskra has other qualities; it is barbaric, African to the core, tropical in its intensity. »
Oscar Wilde (1854-1900), écrivain irlandais.
Belle rétrospective donc. On pourrait toutefois lui reprocher de ne pas avoir ajouté une dimension contemporaine supplémentaire, outre le plan de la ville d’aujourd’hui. Est-ce à dire que cette période faste est à jamais révolue ? N’existe-t-il pas des artistes locaux, peintres ou photographes, perpétuant l’œuvre des maîtres d’antan ? Dans les années 80, le jardin Landon avait encore un pavillon destiné à servir d’atelier aux jeunes Biskris… Le visiteur, comme les anciens résidents de Biskra, peuvent donc se poser la question de savoir à quoi ressemble la cité du XXIe siècle et si les émules de l’Art y trouvent encore leur inspiration. On pourrait tout simplement faire le vœu de conserver l’esprit de «Biskra, Sortilèges d’une Oasis» pour générer la création d’un musée local destiné à préserver l’héritage artistique et d’en faire une source d’inspiration.
Christian Sorand

Le blog  de M. Sorand ici

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