Histoire moderne

Les dirigeants de l’Aurès-Nemencha (1954-1957)

« Pour comprendre les révolutions et ceux qui y participent, il faut à la fois les observer de très près et les juger de très loin. » Simon Bolivar[1]

Entre le 1er novembre 1954 et la nomination de Cherif Mahmoud par le Comité de coordination et d’exécution (CCE) au mois d’avril 1957, la zone 1, qui recouvre la région de l’Aurès-Nememcha, a connu plusieurs dirigeants que nous nous proposons de présenter : Mostefa Ben Boulaïd, Bachir Chihani, Omar Ben Boulaïd, Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, etc. Quelques-unes de ces figures sont connues des chercheurs. D’autres beaucoup moins en raison de l’insuffisance des sources disponibles et du silence des témoins sur les nombreux troubles internes qui ont divisé les différents groupes de dirigeants.

Si nous voulons appréhender le groupe des chefs de l’insurrection et comprendre les rôles qu’ils ont été appelés à assumer durant la Guerre de Libération nationale, nous devons nous intéresser à la manière dont se sont construites les relations entre eux, tout en ne perdant pas de vue que celles-ci englobent aussi bien les conflits que les affrontements. Ce qui suppose que chacun des protagonistes n’avait pas le monopole politique et que des formes de négociations ont abouti tantôt à un accord tantôt à un désaccord entre eux. D’où des recompositions sociopolitiques tenant compte à la fois des attentes voire des pressions locales, des besoins de la configuration nationale et des réactions de l’administration française.

Ce travail préliminaire sur les dirigeants de l’Aurès-Nemencha englobe la période où la zone 1 gère ses problèmes intérieurs en l’absence de toute intervention extérieure. La figure charismatique de Mostefa Ben Boulaïd, son premier dirigeant, et l’un des chefs historiques du Front de libération national (FLN), a fait l’unanimité de toute l’élite politico-militaire qui se trouve réunie à ses côtés à la veille et au lendemain du 1er novembre 1954. Son arrestation (février 1955) inaugure l’ère de profondes dissensions entre prétendants au pouvoir, dissensions qui semblent rentrer dans l’ordre après son évasion de la prison du Coudiat de Constantine (novembre 1955). La crise renaît, au lendemain de sa mort, au mois de mars 1956. Nous verrons comment les premiers insurgés de novembre ont tenté de régler seuls, en mobilisant leurs propres ressources, le problème de la succession de Mostefa Ben Boulaïd, avant que les décisions adoptées au congrès de la Soummam (août 1956) ne viennent aggraver une situation, déjà fortement brouillée par l’ampleur de la guerre, les ambitions des uns et des autres et la prégnance du régionalisme.

Cette étude est proposée dans la perspective que notre laboratoire[2] a toujours privilégiée dans ses priorités, à savoir que la lecture du mouvement national d’une part et celle de la période de la Guerre de Libération nationale d’autre part est à inscrire dans un processus non linéaire et encore moins homogène. Les dynamiques sociales interfèrent selon leur logique et agissent sur la nature des changements intervenus durant cette période particulièrement courte.

Par ailleurs, cette étude est le résultat d’une exploitation partielle des archives conservées au Centre des archives d’Outre-mer[3] (Aix-en-Provence) et au Service historique de la Défense[4] (Vincennes) en plus des informations contenues dans les nombreuses publications éditées de plus en plus en Algérie[5] ou recueillies auprès de témoins privilégiés. Elle comprend donc forcément des lacunes. Sa publication en l’état équivaut à un appel désespéré aux institutions responsables de dépôts d’archives en France comme en Algérie de mettre fin au « silence des archives » [6].

De Mostefa Ben Boulaïd à Bachir Chihani

Entre novembre 1954 et le mois d’avril 1957, la zone 1 a connu pas moins de cinq chefs qui ont exercé le commandement à titre individuel ou collectif[7]. Avant de partir vers l’Égypte[8], via le Sud de la Tunisie et la Libye le 23 janvier 1955, Mostefa Ben Boulaïd a confié l’idara à Bachir Chihani, son principal adjoint. Celui-ci sera secondé dans ses tâches par Abbas Laghrour, Adjel Adjoul, Mostefa Boucetta, Meddour Azoui et Messaoud Bellagoune. Depuis le déclenchement de la Guerre de Libération nationale, le poste de commandement est installé à El Hara. Mais dès que la nouvelle de l’arrestation de Mostefa Ben Boulaïd (23 février 1955) lui parvient, Bachir Chihani décide de déménager le poste de commandement à Galaâ, dans les monts des Nemencha[9]. Et à la fin du mois de mars 1955, il convoque à Loustia (Kimmel) les principaux dirigeants de l’Aurès auxquels il annonce un changement de taille. Il surprend en effet son auditoire quand il annonce son effacement devant Omar Ben Boulaïd, frère de Mostefa Ben Boulaïd. Cette décision est à l’origine de la première crise qui se poursuivra par de nombreux troubles, à l’échelle de l’Aurès-Nemencha pendant plusieurs années. Loin de faire l’unanimité, la décision de Bachir Chihani divise les responsables présents dont la majorité se regroupe autour de Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Ali Baâzi, Ali Benchaiba, Mohamed Ben Messaoud, Abdelwahab Othmani, Messaoud Bellagoune, Mostefa Boucetta et Bachir Ouartal dit Sidi Hani. Leur opposition à la nomination de Omar Ben Boulaïd est-elle dictée par le seul rejet de tout népotisme ? De son côté, Omar Ben Boulaïd recueille l’assentiment d’Amar Maâche, Messaoud Benaïssa et Tahar Nouichi. Meddour Azoui s’abstint de prendre position. De part et d’autre, le positionnement ne répondait pas entièrement à la logique segmentaire. Il est impossible de l’expliquer par la seule répartition selon l’appartenance communautaire. Même si dans le groupe formé autour d’Omar Ben Boulaïd, la présence de Tahar Nouichi, originaire des Cheurfa, a été interprétée comme un signe d’opposition à Adjoul qui lui appartient aux Serhana. Les gens des Cheurfa et des Serhana cohabitent en effet dans le même douar de Kimmel. La principale caractéristique de ces deux tribus qui ressort de la lecture des sources disponibles est qu’elles sont arabophones. Cette qualification ne fait pas d’elles des tribus spécialement guerrières et plus enclines à l’anarchie que d’autres. Par ailleurs, des natifs d’El Hadjadj (Ichmoul), de Khenchela, etc., se retrouvent dans les deux groupes : tel est le cas d’Ali Baâzi / Meddour Azoui (El Hadjadj) et de Laghrour / Amar Maâche[10] qui, eux sont de Khenchela.

De tous les participants à cette réunion de Louastia, seuls Adjel Adjoul et Messaoud Benaïssa sont de fait séparés par un vieux contentieux[11] et leur rivalité était connue de tous. La consultation est complètement bloquée, étant donné que les partisans de chacun des deux clans campent sur leurs oppositions. Finalement, c’est Messaoud Bellagoune qui trouve le compromis nécessaire pour réconcilier l’assemblée : il propose une nomination à titre purement honorifique d’Omar Ben Boulaïd[12] à la tête de l’idara (« administration »). La proposition est adoptée après avoir été soumise au vote. La nouvelle direction regroupe autour d’Omar Ben Boulaïd, responsable politique et militaire de l’idara, Chihani qui est son second tandis que Laghrour est adjoint militaire et Adjoul adjoint politique. Ce qui se passe lors de cette réunion est d’une importance capitale pour la suite des événements. Derrière cet accord formel, la crise politique est en fait ouverte. En dépit des recommandations de Mostefa Ben Boulaïd, Chihani se dessaisit formellement du pouvoir de la direction de l’AurèsNememcha. Nous ignorons les véritables motifs qui l’ont incité à s’effacer devant Omar Ben Boulaïd. Craignait-il autant Omar Ben Boulaïd au point de faillir à la promesse faite à Mostefa Ben Boulaïd d’assurer les tâches de l’idara ? Toujours est-il, qu’à l’issue de cette réunion, Chihani a tenté de préserver l’unité dans les rangs des insurgés en recourant au principe de la collégialité. Ce choix allait se révéler très rapidement peu efficient pour deux raisons essentielles : ni Bachir Chihani, ni Omar Ben Boulaïd n’avaient l’intention de se retirer de la compétition politique.

Bachir Chihani[13] comptait-il vraiment maîtriser Omar Ben Boulaïd en lui offrant la direction, même à titre honorifique. Voulait-il gagner du temps et attendre le moment propice pour l’éliminer ?

À l’issue de ce remaniement, il continua en effet, à distribuer des ordres et à répartir des tâches aux uns et autres. L’intendance revient à Messaoud Benaïssa, assisté de Meddour Azoui. Par ailleurs, l’organisation territoriale de la zone 1 fit l’objet d’une réorganisation qui aboutit à la création de six régions (mintaqa) : Arris, Kimmel, El Ksar, Khenchela, Tébessa et Souk Ahras. Chaque région est divisée en secteurs. Ainsi, celle d’Arris est répartie entre huit secteurs confiés à Ali Benchaïba pour Arris, Mostefa Boucetta pour Biskra, Mostefa Réaïli pour Sétif, Abdelhafid Torèche pour Barika, Mohamed Chérif Benakcha pour Aïn Touta, Ali Baâzi pour M’chounèche, Tahar Nouichi pour Bouarif, Hadj Lakhdar pour Batna et Amar Maâche pour Chélia[14].

Chihani maintint bien sûr le poste de commandement de la zone 1 à Galaâ où il avait commencé à s’installer. Quand Meddour Azoui lui demanda des explications quant à « la véritable raison de ce transfert », Chihani élude la réponse en invoquant la lettre de Mostefa Ben Boulaïd[15]. L’une des préoccupations évoquées par Mostefa Ben Boulaïd concernait alors l’urgence du rétablissement « de la légalité révolutionnaire dans les Nememcha » et par conséquent la nécessité de lutter contre l’anarchie devenait prioritaire. Mais Bachir Chihani saisit très rapidement tout l’intérêt du déplacement du centre de gravité vers Galaâ : outre la reprise en main de la résistance dans les Nemencha, il entrevoit l’importance stratégique d’étendre son autorité aux secteurs du Kouif, Ouenza et Négrine, pour l’acheminement des armes venant d’Orient et empruntant les nombreux passages qu’offre toute la longueur de la frontière orientale.

Comme l’a déjà fait remarquer Mohammed Harbi[16], le contrôle des voies empruntées par les convoyeurs des armes et munitions s’impose très rapidement aux premiers responsables du Front de libération national – Armée de libération nationale (FLN-ALN). La focalisation sur l’approvisionnement des armes conditionne à l’évidence la poursuite de la lutte sur le terrain. Parallèlement, elle s’imposait à ceux que l’idée de pouvoir et donc de domination préoccupait déjà.

La proximité avec la frontière tunisienne et libyenne et la familiarité de nombreux trafiquants en armes, ralliés à la cause du FLN, facilitaient les choses. Enfin, le contrôle de la ville de Tébessa confortait le choix de Galaâ, dans la mesure où sa richesse représentait un atout non négligeable en mesure de faciliter le ravitaillement dont l’Aurès avait grand besoin. En effet, depuis le début de l’année, l’armée française a intensifié non seulement les opérations militaires mais imposé un terrible blocus alimentaire[17] aux populations éparpillées dans le massif qui étaient accusées de nourrir « la rébellion ».

En ce début de la lutte armée pour l’indépendance, la question du ravitaillement et celle de l’approvisionnement en armes deviennent une obsession et commencent en effet, à peser sur les décisions des dirigeants de l’Aurès, supplantant d’autres questions tout aussi importantes, sinon prioritaires. La conjugaison de tous ces facteurs explique et accompagne les initiatives prises par Chihani qui représentent en fait l’une des mutations internes parmi les plus décisives et les plus délicates de ce début de la lutte de libération nationale. En effet, la démarche de Chihani vise à dépasser l’empirisme des débuts, d’où ses efforts de structuration et de coordination à la mesure de la rapide évolution générale.

De son côté Omar Ben Boulaïd, secoué par l’irréductibilité du camp adverse, n’entendait pas se contenter d’un second rôle. Prenant très au sérieux son titre de chef « honorifique », il remplit les premières missions d’inspection dans l’Aurès occidental en appliquant à la lettre les orientations convenues avec Chihani. Cependant, il commence par éveiller les soupçons d’Abbas Laghrour quand il décide de s’entourer d’une garde de volontaires dont il confie la direction à Ahmed Azoui. Omar Ben Boulaïd n’hésite pas à user de son pouvoir pour doter sa garde de l’armement qui s’impose. C’est ainsi qu’il met Hocine Berrahaïl aux arrêts pour avoir refusé de lui procurer des armes[18]. L’affaire sera tranchée par un Chihani plus soucieux de mettre au point les règles fondamentales du nidham[19] que d’intervenir dans les entreprises d’Omar Ben Boulaïd. En ce mois de juin 1955, le corps des commissaires politiques est créé : placés sous l’autorité directe des chefs militaires, ils sont appelés à renforcer les liens entre les populations et l’Armée de libération nationale. Avec l’aide de ses deux secrétaires, Hocine Maârfi et Salah Hannachi, il rédige une sorte de « code de la Révolution » : la mobilisation des populations des villes comme celles des campagnes lui importe autant que le noyautage de l’administration française et la poursuite des actes de sabotages.

Enfin, Chihani a réussi à reprendre en main les groupes particulièrement turbulents des Nememcha, mission autrement plus délicate. La région de Khenchela est désormais confiée à Othmani Brahim, dit Tidjani, et celle de Tébessa à Bachir Ouartal, dit Sidi Hani.

Devant l’ampleur de la tâche à laquelle Chihani consacre toute son énergie, les desiderata d’Omar Ben Boulaïd paraissent bien mineurs. Ce dernier est appelé du reste à faire une seconde inspection dans le Chélia. Au cours de cette seconde mission, Omar Ben Boulaïd pose les jalons d’une prise de pouvoir : il commence d’abord par renforcer sa garde, remplace les chefs de région et de secteurs par des gens issus des Touaba[20], comme lui. Il est fort de l’appui d’Ahmed Nouaouara, Amar Maâche, Messaoud Benaïssa, Ahmed et Meddour Azoui, Messaoud Bellagoune et Ahmed Ben Abderazak, le futur Si El Haouès. Il distille un certain nombre de rumeurs que ses alliés répandent soigneusement, ici et là parmi les djounouds. Mieux encore, il rédige des tracts accusant Chihani, Abbas Laghrour et Adjoul d’être des traîtres à la cause défendue par Mostefa Ben Boulaïd, de brader l’Aurès au profit des Nememcha. La découverte de ces tracts et l’arrestation de leurs porteurs[21] est accueillie avec stupeur par Chihani, Laghrour et Adjoul. Il ne reste plus qu’à convoquer Omar Ben Boulaïd et ses compagnons. Au début du mois de juillet 1955, Chihani doit se rendre à l’évidence, Omar Ben Boulaïd ne viendra pas. Au cours d’une réunion de tous les responsables à l’exception des « dissidents », Chihani destitue Omar Ben Boulaïd et ses compagnons de leur titre de « djounoud de l’ALN ». Omar Ben Boulaïd est remplacé par Saïd Farhi de la région de Tébessa tandis que Hocine Maârfi est promu à la tête du secteur d’Arris[22]. Mais celui-ci, étant des Touabas, refuse de porter les armes contre Omar Ben Boulaïd. D’où la convocation de tous les chefs de secteurs à la fin du mois de juillet 1955 pour mettre un terme à cette crise. À l’issue de cette rencontre, Chihani a prononcé plusieurs condamnations à mort contre ceux que l’on peut considérer comme les premiers opposants du FLN-ALN.

Sur le terrain, les accrochages se multiplient avec les forces de l’armée française et se soldent par des pertes sévères de part et d’autre. Mais ce qui est le plus redouté, ce sont les opérations de « nettoyage », selon la terminologie employée dans les journaux de marche[23], qui visent les populations civiles en guise de représailles. La multiplication des zones interdites et l’accélération du mouvement de regroupement des populations dans des camps, rendent désormais les contacts plus difficiles, et surtout réduisent les possibilités de ravitaillement. Rappelons que depuis le début de l’année 1955, l’Algérie est gouvernée par Jacques Soustelle et que le général Parlange a reçu les pleins pouvoirs, civils et militaires, pour l’Aurès-Nememcha depuis le mois de mai. La « pacification » est le leitmotiv du nouveau responsable qui espère venir très rapidement à bout des « bandes rebelles ». Afin de rétablir l’ordre dont l’Algérie a besoin, l’armée française mobilise des moyens considérables et sans commune mesure par rapport aux ressources dont disposent les premiers maquisards de l’ALN. Au cours de l’été 1955, l’embrasement gagne d’autres régions de l’Algérie. Que sait-on dans l’Aurès du soulèvement décidé par Zighoud Youcef dans la zone 2 qui couvre le Nord Constantinois ? Bachir Chihani l’aurait qualifié d’« opération suicide »[24].

Pourtant, à son tour, en convoquant un grand rassemblement patriotique dans les grottes d’El Djorf, sur l’oued Helaïl, où étaient conviés non seulement tous les chefs militaires et politiques mais également « les notables des villes et villages des Nememcha »[25], il n’avait pas agi autrement, sous-estimant le réseau français de renseignements[26]. À l’aube, l’armée française avait bouclé tout le secteur et mobilisé différents corps, dont des troupes venues de Tunisie : légionnaires, tirailleurs, parachutistes, etc., et surtout un imposant matériel composé de tanks, de pièces d’artilleries, le tout renforcé par une importante couverture aérienne. L’affrontement étant inévitable, la bataille dura plusieurs jours, se soldant par la perte de quelque quarante-cinq maquisards sans parler des prisonniers (une quarantaine)[27].

Ce n’est que le 9 octobre 1955, que Chihani retrouve Laghrour, Adjoul, Lazhar Cheriet à Galaâ. Après la lecture du rapport sur la bataille de l’oued Helail, ils prennent rendez-vous pour le 20 octobre 1955.

La liquidation de Bachir Chihani, 23 octobre 1955

C’est entre ces deux rencontres que les choses se sont précipitées. Nous ne disposons pas de documents suffisants pour éclairer les cheminements de la crise. Si l’on suit les récits contenus dans les mémoires publiés ces dernières années[28], c’est l’échec de la bataille du Djorf qui a scellé le sort de Chihani. Autrement dit, si le commandement de Chihani à la tête de la zone de l’Aurès-Nemencha forçait le respect et l’admiration, il était à peine toléré par un certain nombre de maquisards et parmi eux ses principaux adjoints : Abbas Laghrour et Adjel Adjoul. Chihani ne pouvait ignorer le mécontentement attisé par la bataille d’El Djorf. Il en a si bien conscience, qu’à l’ouverture de la séance du 20 octobre 1955, Chihani demande à tous les chefs présents, parmi lesquels figuraient Adjoul, Laghrour, Lazhar Cheriet, de lui renouveler leur confiance[29] en prêtant serment. On peut toujours se poser des questions sur le sens de ce rituel. Chihani a t-il des doutes sur la loyauté de ses deux principaux adjoints ? Cherche-t-il à gagner du temps face à des adversaires redoutables ? Espère-t-il pouvoir préserver l’unité des rangs en sollicitant la seule symbolique des liens créés par le serment religieux ? Et comment interpréter les changements qu’il annonce à l’issue de cette cérémonie ? Adjoul doit rejoindre la région de Tébessa, Lazhar Cheriet est muté à son tour à Kimmel. Abbas Laghrour est envoyé à la frontière algéro-tunisienne. Adjoul et Laghrour allaient se retrouver privés de leurs bases respectives et de leur clientèle.

À l’issue de la réunion, rien ne laissait présager la fin imminente de Chihani. Adjoul invite tous ses compagnons et parmi eux, Bachir Chihani, à passer quelques jours ensemble, à Hammam Cheboura situé non loin du fief familial à Dermoun. Le 22 octobre 1955, au soir, Chihani est arrêté et passé par les armes par Laghrour et Adjoul[30] selon le témoignage de Bicha Djoudi dit Boucenna[31]. La zone 1 venait de perdre un chef d’envergure nationale. L’Aurès Nemencha sans dirigeants ?

Chihani disparu, le commandement se retrouve fragmenté entre au moins trois chefs qui exercent le commandement : Omar Ben Boulaïd légalement investi, même à titre purement honorifique, depuis la réunion de mars 1955, Adjel Adjoul et Abbas Laghrour. Omar Ben Boulaïd s’installe au poste d’El Hara, Adjel Adjoul à Kimmel et Abbas Laghrour à Galaâ. La mort de Chihani n’est pas connue de tous les maquisards de l’Aurès. Très tôt, le goût du secret est soigneusement cultivé[32]. Une lutte sourde se poursuit entre Omar Ben Boulaïd et Adjel Adjoul. Des tracts condamnant l’un et l’autre circulent dans la région d’Arris et contribuent à créer un climat de suspicion généralisé. Adjoul se comporte comme un véritable chef. Il a hérité d’une bonne organisation à laquelle Chihani avait consacré tous ses efforts. En effet à cette date, le territoire de l’Aurès-Nememcha est partagé en six mintaqas réparties entre Arris, Kimmel, El Ksar, Khenchela, Tébessa et Souk Ahras. Mais, Adjel Adjoul, replié dans son poste de commandement de Kimmel, n’a d’autorité que sur le versant oriental du massif de l’Aurès c’est-à-dire sur la région des Beni Melloul, du mont Ahmar Khadou, Biskra et Zéribet el Oued. De son côté, Omar Ben Boulaïd agit en maître dans les deux vallées de l’oued Abdi et de l’oued Labiod. Cette situation paralyse toute la mintaqa 2 qui se retrouve écartelée entre les ambitions d’Omar Ben Boulaïd et d’Adjel Adjoul.

Si la documentation et les témoignages oraux se sont multipliés ces dernières années concernant le rôle joué par Adjel Adjoul dans le déclenchement de la crise, ce n’est pas le cas pour Abbas Laghrour et Omar Ben Boulaïd. Dans les années 1970, Mohamed Larbi Madaci avait sollicité en vain le témoignage de ce dernier. La seule information qu’il a recueillie concerne la rédaction d’un livre dont la publication aurait été jugée prématurée par le président Boumédiène[33].

Ceci dit, sa condamnation, ainsi que celle de ses compagnons, du vivant de Bachir Chihani, est vécu difficilement par les maquisards réunis autour de lui. À ce propos, leur présence dans le « camp Omar Ben Boulaïd » n’obéit pas à un choix personnel mûrement réfléchi. En dehors des principaux dirigeants, dont les positions sont irréductibles, tels Messaoud Ben Aïssi, Meddour Azoui, etc., les maquisards engagés dans leurs rangs, en dépit du partage de la même appartenance tribale pour beaucoup d’entre eux, obéissent aux ordres sans trop comprendre les désaccords qui séparent Omar Ben Boulaïd du reste du commandement de l’Aurès-Nememcha. De fait la mobilisation identitaire est réelle au moins pour les gens des Touaba, des Bouslimani et des Béni Oudjana, à telle enseigne que Hocine Maârfi, nommé par Chihani, à la tête de la deuxième mintaqa (Arris), refuse son affectation, arguant qu’il ne peut combattre les siens.

Mais cette mobilisation identitaire n’est pas valable pour Lazhar Cheriet[34], responsable de la zone de Tébessa et donc des Nememcha, qui demeura fidèle à Omar Ben Boulaïd, après la disparition de Bachir Chihani.

Pour l’heure, le reste des zones semble échapper au spectre de la division[35] d’autant que cet intermède ne durera pas longtemps : il est remis en question, moins d’un mois après la liquidation de Bachir Chihani, par le retour de Mostefa Ben Boulaïd, évadé de la prison de Constantine la nuit du 11 novembre 1955.

Le retour de Mostefa Ben Boulaïd, novembre 1955 – mars 1956

Mostefa Ben Boulaïd réussit à s’échapper de manière spectaculaire de la prison du Coudiat située à Constantine. Ses avocats, maîtres Pierre Stibbe et Yves Dechezelles, n’ont pas réussi à lui éviter la peine de mort, lors du procès qui s’est déroulé au mois de septembre 1955.

Nous aurons l’occasion de revenir sur les circonstances de cette évasion. Dans la conjoncture qui règne dans l’Aurès, la présence de Mostefa Ben Boulaïd redonne espoir à ceux qui craignaient le spectre de la désunion.

Quelques jours après son évasion, Mostefa Ben Boulaïd est accueilli par ses proches, dont son frère Omar, à Oustili. Pendant plusieurs jours, il reçoit ses anciens compagnons : Hadj Lakhdar, Ali Benchaiba, Meddour Azoui, Messaoud Benaïssa, Mostefa Reaïli, Benakcha, Hocine Maârfi, Ali Baâzi, etc. Il pressent que les choses ont bien changé depuis son départ : la zone 1 est confrontée à une crise de pouvoir que se disputent son frère Omar, Adjoul et Laghrour. Il pose des questions qui restent sans réponse. Personne n’ose lui apprendre la liquidation de Bachir Chihani. Abbas Laghrour demeure absent tout comme Adjel Adjoul. Celui-ci a ordonné la mise en quarantaine de Mostefa Ben Boulaïd – procédure appliquée à tous les militants arrêtés –, craignant une manœuvre quelconque de la part des autorités françaises. Mais dans la pratique, l’ordre n’est pas suivi, à une exception près. Si bien que lors de ses tournées dans les différentes régions, Mostefa Ben Boulaïd est bien accueilli. Au fur et à mesure, il constate les progrès réalisés depuis la nuit du 1er novembre et les difficultés rencontrées sur le terrain par les maquisards face au déploiement de l’armée française. Il finit par apprendre la mort de Bachir Chihani. Il est atterré par la nouvelle. Il ne veut pas croire à l’implication de Laghrour et d’Adjoul comme le lui suggèrent son frère et Benaïssa. Décidé à connaître la vérité, il prend le chemin de Kimmel pour rencontrer Adjoul. À la fin du mois de novembre 1955, il parvient enfin, au plateau de Tedjine où l’attendait Adjoul. Les deux hommes se retirent : Mostefa Ben Boulaïd veut des réponses pour dissiper le doute qui s’est emparé de lui, devant tant de points d’interrogation. Adjoul révèle ainsi les circonstances qui ont amené Bachir Chihani à prononcer la condamnation de son frère Omar et de ses affidés. Le cas de Chihani est aussi abordé et Adjoul donne sa version des faits, et pour mieux convaincre Mostefa Ben Boulaïd, il « met les minutes du procès, à sa disposition »[36]. On sait par maints témoignages qu’il n’y eut aucun procès et Bicha Boucenna, témoin de la liquidation de Bachir Chihani, l’affirmera à Mostefa Ben Boulaïd.

C’est après ces retrouvailles, que Mostefa Ben Boulaïd est promu à nouveau, chef de l’AurèsNememcha. Pour l’occasion, Adjoul a convoqué plusieurs chefs de régions, parmi eux : Sidi Hani (Tébessa), Tidjani (Khenchela) Benchaïba (Arris), Othmani (Kimmel) et Louardi Guettal (Souk Ahras). Chefs et djounouds fêtent le retour inespéré de Mostefa Ben Boulaïd. Adjoul, en homme avisé, fait publiquement son mea culpa : il confie alors à Mostefa Ben Boulaïd le sceau portant l’inscription « Armée de libération nationale » et « Front de libération national », symbole de l’idara. Mostefa Ben Boulaïd a repris contact avec la plupart de ses anciens compagnons, à l’exception d’Abbas Laghrour, immobilisé à Galaâ, en raison d’une blessure, essuyée lors d’un accrochage à Guentis.

Il semble, toujours selon Mohamed Larbi Madaci que Mostefa Ben Boulaïd demeura au poste de commandement de Kimmel jusqu’aux environ du 15 janvier 1956. Ensuite, il entreprit d’inspecter les régions du Sud-Ouest : M’chounèche, Baniane, etc.

Djebel Lazrag, le 11 mars 1956

Le 11 mars 1956, il organise au djebel Lazreg une réunion préparatoire avec onze chefs de l’Aurès. Mostefa Ben Boulaïd est conscient du phénomène du régionalisme dont le regain est dû à l’impasse dans laquelle est plongée la direction de la zone 1. Mostefa Boucetta rapporte une partie du discours prononcé lors de cette occasion particulière :

[…] Les responsables actuels de la Révolution ne le sont que grâce à un concours de circonstances, heureux ou malheureux, seul l’avenir peut le dire. Ce concours a fait que sur dix-neuf chefs, onze sont des Touaba. Il faut que cela change. La Révolution n’est la propriété ni d’un homme ni d’une tribu. Chaque zone, chaque région, chaque secteur devront choisir leurs chefs, uniquement selon leur mérite.[37]

L’Aurès-Nemencha est en effet parvenu à un tournant de son histoire et de son engagement dans la lutte armée. Cependant, plusieurs signes en perturbent le cours et traduisent les limites, sinon les faiblesses de l’organisation interne du FLN-ALN.

Les propos de Mostefa Ben Boulaïd annoncent-ils la fin de l’interlude de l’après novembre 1954 ? Jusque-là, les modalités de la désignation des dirigeants oscillaient entre la cooptation et l’élection à main levée. Selon une démarche typique de son constant souci de modération, Mostefa Ben Boulaïd veut renouer d’abord les liens avec l’ensemble des responsables et se rendre compte de l’état des lieux. Trois questions sont inscrites à l’ordre du jour. Il lui importe en premier d’avoir une vue d’ensemble de la situation générale, en s’attelant à recenser le nombre des familles des combattants dans un souci de pourvoir à leurs besoins[38]. En second lieu, Mostefa Ben Boulaïd considère l’existence des « commandos volontaires » comme une décision qui va à l’encontre du principe de l’égalité en droits et en devoirs de tous les membres de l’ALN. De manière indirecte, il remet en question le choix de son frère Omar. Son objectif est de ressouder les rangs et de mettre fin à la confusion des rôles due à la multiplication anarchique des pôles de décision. D’où une dilution de l’autorité et une exacerbation des différenciations individuelles ou collectives engendrées par la situation inédite de la résistance. Le contexte de la guerre avec toutes ses conséquences – dont la répression – a entraîné de fait un élargissement de la base sociale de la résistance en un temps très court. Aux côtés du noyau initial de militants plus ou moins expérimentés, formés à l’école du parti ou de l’Organisation spéciale (OS) pour certains, les maquis accueillent au jour le jour de nouveaux venus à la lutte, souvent sans aucune formation politique. Leur appartenance indistincte au monde rural n’exclut pas l’hétérogénéité possible des attitudes individuelles et la remise en question des règles de fonctionnement observées initialement. L’histoire de cette période gagnerait à coup sûr à s’appuyer sur l’étude des parcours individuels et sur l’identification des processus qui sont à l’origine de choix spécifiques, à la mesure des changements qui ont affecté leur environnement. De ce point de vue, les approches de la microhistoire[39] sont en mesure de donner du sens aux évolutions extrêmement rapides et singulières, observées chez les différents acteurs sociaux et demeurées incompréhensibles par ignorance ou négligence des modalités qui les ont rendus possibles. Vue de la sorte, la représentation unitaire de la résistance n’a plus de raison d’être : sa fragmentation est le reflet de sa base sociale aux prises avec les transformations induites par la « situation coloniale »[40], et que le déclenchement de la guerre et la répression violente vont compliquer un peu plus.

Ces quelques remarques nous obligent à nous défier des lectures rapides, et surtout d’une posture de passivité à l’égard des sources. Il peut paraître paradoxal d’attirer l’attention sur un tel point, au moment où la recherche historique est forte de la pertinence des différentes approches méthodologiques de l’école des Annales et de ses développements critiques ultérieurs[41]. Mais à l’heure où les risques de falsification se multiplient, développés par une tendance révisionniste[42], il n’est pas inutile d’insister sur les présupposés épistémologiques, sur la manière de poser les problèmes et de dégager des explications. Les historiens, au contraire des manipulateurs de la mémoire dont le temps est figé, ont un immense chantier devant eux.

Retour à l’Aurès

Les neuf chefs de région de l’Aurès, originaires des Touabas sont : Omar Ben Boulaïd, Ahmed Nouaoura, Ali Baâzi, Mohamed Ben Messaoud, Mostefa Boucetta, Mostefa Reaïli, Messaoud Ben Aïssa, Abdelhafid Torèche et Mohamed Chérif Benakcha. Les deux autres dirigeants sont Tahar Nouichi, natif des Cheurfa de Kimmel, et Hadj Lakhdar, des Ouled Chlih.

La principale caractéristique qui unit cette première génération de maquisards est moins leur appartenance au arch des Touabas que leur adhésion précoce à la cause nationale. Tous ont adhéré au Parti du peuple algérien – Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD). Le plus âgé parmi eux, Messaoud Ben Aïssi, né en 1906, a fréquenté les pionniers de l’implantation du PPA, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, comme Mahieddine El Annabi, El Hadj Zerrari et Lakhdar Baâzi[43]. Quand l’OS s’installe dans l’Aurès, dans le courant de l’année 1948, il en fait naturellement partie. Tous les autres sont venus au parti PPA-MTLD, dans le sillage de la dynamique née de la Seconde Guerre mondiale : certains ont été sensibles à l’action des Amis du manifeste et de la liberté (AML), dont le retentissement dans les centres urbains comme Batna, Biskra, Ain Beïda, Khenchela, Barika, Tébessa, a concouru à forger l’imaginaire nationaliste de milliers de jeunes. Beaucoup se sentent plus d’affinités avec les thèmes développés par l’Association des ulémas musulmans algériens. Tous sont mus par un profond sentiment d’appartenance à une entité nationale qui ne se reconnaît point d’attache avec la présence française.

Tous ont également participé à un titre ou à un autre à la préparation du déclenchement du 1er novembre 1954. Sur les modes de recrutement ou d’adhésion, les sources n’ont pas encore livré tous leurs secrets[44]. Le recours aux pratiques clientélistes, comme le suggèrent Mohammed Harbi et Jean Morizot, a prévalu à la création de cellules du parti dans la région de l’Aurès comme ailleurs. Dans un tel contexte, la perception du politique ne peut qu’être empreinte d’ambiguïté. Comme dans d’autres sociétés méditerranéennes[45], les relations ayant pour fondements le clientélisme génèrent une forme d’engagement collectif qui s’est traduit par un effet de boule-de-neige.

L’émergence de formes modernes de l’organisation politique a dû composer avec la mobilisation des ressources locales : les liens de parenté, les solidarités communautaires, la force de la religion sont mis à contribution dans la fabrication de l’imaginaire politique[46], qui plus est dans un milieu rural. Dans de telles conditions, l’intégration des individus est prise en otage entre la fidélité au cercle familial ou au clan, bref à l’ancrage local – avec ses formes traditionnelles de la sociabilité – et les nouvelles contraintes de l’institution de guerre ou du commandement incarné par le FLN-ALN. Nous sommes en effet aux sources de la naissance d’une administration/idara qui se distingue par une « hiérarchie de gestion et de pouvoir » [47] associant ou confondant chefs militaires et civils. Mais d’une manière générale, la représentation du chef militaire prime sur celle du chef civil, y compris chez les premiers dirigeants de l’Aurès[48].

Précisément, lors de cette réunion du 11 mars 1956, Mostefa Ben Boulaïd arborait l’« insigne portant l’inscription du commandement militaire » frappé de l’étoile et du croissant. Ce symbole de l’exercice de l’autorité était-il nécessaire à la veille des modifications importantes qu’il s’apprêtait à réaliser dans l’organisation des mintaqas, et plus particulièrement dans celle d’Arris ? C’est le troisième point que Mostefa Ben Boulaïd a réservé en dernier. Mais, sa décision est loin d’être définitivement arrêtée : la carte géographique de la mintaqa d’Arris, trop étendue, puisqu’elle compte pas moins de huit régions (nahias), devrait être refondue. Cela suppose une nouvelle répartition des tâches et de nouvelles nominations qu’il compte aborder lors de la prochaine assemblée générale convoquée pour le 21 mars 1956. À partir de ce moment, la réorganisation de la résistance est en marche. Mais à la veille de ce rendez-vous ultime, la préoccupation de Mostefa Ben Boulaïd est de réunir les chefs des cinq principales mintaqas, cette fois à Kimmel, à Hassi Msellem.

Kimmel, le 13 mars 1956

Louardi Guettal, Sidi Hani, Tidjani Othmane, Boucetta Mostefa, Benchaïba et Benakcha[49] ont répondu à la convocation de Mostefa Ben Boulaïd. Ils représentent respectivement Souk Ahras, Tébessa, Khenchela, Kimmel et Arris.

Comme lors de la rencontre précédente, c’est à un état des lieux qu’il procède. La question de l’approvisionnement en armes est cruciale. Mostefa Ben Boulaïd en est conscient. C’était bien l’une des raisons de son déplacement vers l’Égypte et qui lui a valu son arrestation. Si les difficultés semblent plus ou moins aplanies quant à la disponibilité des armes[50] et des munitions, au niveau de la mintaqa frontalière de Souk Ahras, il reste à résoudre leur acheminement. La question est rapidement tranchée : Mostefa Ben Boulaïd abonde dans le sens de la proposition avancée par Abdallah Nouaouria, l’un des adjoints de Louardi Guettal. Désormais, les armes doivent être enlevées par ceux qui en font la demande.

Le second point abordé concerne les effectifs mobilisés par chaque mintaqa. Les chiffres avancés par les uns et les autres semblent peu plausibles à Mostefa Ben Boulaïd. On prête à la zone de Souk Ahras la présence de quelque 1 400 maquisards[51] ! Louardi Guettal responsable de cette zone est forcé de reconnaître que seuls quelques 400 hommes sont armés. Et encore, beaucoup d’entre eux ne disposent que de vieux fusils de chasse. Une telle pléthore de recrues inquiète Mostefa Ben Boulaïd. Comment ne pas envisager l’éventualité d’une infiltration de « traîtres et de messalistes »[52] ? Et comment interdire les maquis à ceux qui fuient les recherches de la police française[53]? À ceux qui craignent les représailles[54] ? C’est une situation nouvelle, inédite, même si elle était plus ou moins attendue. Pratiquement, il est difficile de ne pas les accueillir. Mais ce gonflement des rangs des insurgés était tout de même source d’inquiétude. Le dilemme est finalement résolu par la nécessité de doter d’une arme tout candidat désireux de rejoindre les rangs de la résistance. Autant dire que l’épreuve du feu – c’est-à-dire commettre un attentat, une action de sabotage – devenait le passage obligé et la garantie d’un engagement sincère. La situation s’est donc singulièrement compliquée depuis la nuit du 1er novembre 1954, aggravant les problèmes d’organisation. Mostefa Ben Boulaïd a eu le temps de s’en rendre compte depuis son retour dans l’Aurès. Si le choix de la révolution semble bien parti et a commencé à produire des effets qui la consolident, certains moyens utilisés n’ont pas manqué de lui faire de l’ombre. Dans la région de Souk Ahras, profitant de l’insécurité générale, certains maquisards s’adonnent à divers trafics à la frontière algéro-tunisienne. Par ailleurs, l’ordre de boycotter le tabac[55] a conduit à de nombreuses exactions, dont l’amputation du nez. Mostefa Ben Boulaïd a-t-il admis et couvert une telle pratique[56] ? Pour l’heure, ce qui le préoccupe est du ressort de la représentation que les chefs donnent de la révolution. Il a appris que la règle du boycott du tabac était peu respectée par ceux-là mêmes qui l’ordonnaient aux autres. Un tel manquement est suffisamment grave pour être suivi immédiatement d’une sanction. Louardi Guettal est ainsi suspendu de ses fonctions de chef de la zone de Souk Ahras. La finalité de la sanction se veut pédagogique. C’est un autre signal des changements qu’il souhaite introduire devant la constatation d’une série de comportements individuels à l’origine de bien des machinations et de tensions. Pour une meilleure intégration au processus révolutionnaire de toute la région Aurès-Nemencha, Mostefa Ben Boulaïd songe déjà à la préparation d’un rassemblement de tous les responsables de zone, à Souk Ahras. Ce n’est donc pas un hasard s’il confie à Abdallah Nouaouara, cette délicate mission qui devait aboutir à l’aplanissement de ce qu’il faut bien désigner par le terme générique de crise et qui était devenue intolérable. Le 14 mars 1956, Mostefa Ben Boulaïd quitte Kimmel pour continuer son inspection du versant occidental de l’Aurès.

Nara ou la dernière réunion

Entre le 14 et le 23 mars 1956, Mostefa Ben Boulaïd, secondé de son secrétaire Abdelhamid Lamrani, travaille d’arrache-pied à la rencontre prévue à Nara[57].

En traversant le djebel Lazreg, Mostefa Ben Boulaïd découvre les ravages de la guerre intensive que l’armée française livre aux « hors-la-loi » pour rétablir l’ordre et la sécurité : le spectacle des mechtas incendiées ou bombardées[58] l’afflige mais ne le désarme pas. Bien au contraire, il est plus déterminé que jamais à continuer le combat pour libérer l’Algérie du joug colonial. C’est pourquoi la détérioration du climat politique et la succession de crises qui a accablé l’Aurès-Nemencha depuis son départ vers l’Orient en février 1955, lui paraissent des obstacles surmontables. Il est entendu qu’une telle situation et l’instabilité qu’elle a entraînée, était le signe évident d’une faiblesse de l’organisation (nidham). Le danger d’implosion était réel et la reprise en main des cadres qui avaient lancé la révolution exigeait beaucoup d’habileté. Mostefa Ben Boulaïd a-t-il conscience de la position inconfortable où il se trouve désormais ? En dehors de la solidarité de quelques compagnons, il ne dispose que de sa capacité de persuasion et du charisme qu’il exerce sur les combattants, du moins ceux de novembre, qui le connaissent et l’apprécient à sa juste mesure, pour vaincre ceux qui ont osé défier la discipline des débuts. Il a réussi à reprendre le contact avec la plupart de ses compagnons, à l’exception de Abbas Laghrour qui n’a pas répondu à ses convocations. Mais il n’ignore pas la profonde rivalité qui oppose Adjoul à Messaoud Ben Aïssi et Omar Ben Boulaïd.

En homme pragmatique, il a à cœur de préserver l’unité du mouvement révolutionnaire, et par conséquent d’enrayer l’anarchie et l’opposition. Il voit bien que la guerre est totale dans l’Aurès, il n’a pas de peine à imaginer qu’ailleurs, dans les autres régions, la situation est quasiment similaire. Il ne perd pas de vue la perspective de la lutte à l’échelle nationale à la différence du quarteron des opposants empêtrés dans leurs querelles intestines. D’ailleurs, il confie à Adjel Adjoul son désir de se rendre dans le Nord-Constantinois et en Kabylie. Il commence par tenter de reprendre contact avec Zighoud Youcef et Krim Belkacem en dépêchant Mohamed Lamouri[59] avec des messages à leur remettre. L’action entreprise dans la nuit du 1er novembre 1954 n’était pas une action isolée, elle supposait au moins le maintien du contact avec les « chefs historiques » et un minimum de coordination. L’absence de nouvelles des autres régions paralysait quelque peu ses projets. Mais il savait que le temps jouait contre lui, aussi s’était-il fixé comme tâche prioritaire la refonte des structures de l’organisation, à l’échelle de l’Aurès-Nememcha. Celle-ci n’aura pas lieu. Le rendez-vous fixé à Nara le 21 mars allait être le dernier. Les dirigeants des différentes régions ont répondu à sa convocation. Les discussions sont prévues pour le lendemain. À la nuit tombée, seul un petit groupe de maquisards l’entoure : parmi eux, Abdelhamid Lamrani, Mostefa Boucetta, Ali Benchaïba, Ali Baazi, Mohamed Chérif Benakcha. C’est en essayant de faire fonctionner un poste radio[60] lancé par l’aviation française – et récupéré par des maquisards – qu’il périt tragiquement en même temps que son secrétaire Abdelhamid Lamrani, Ali Baazi, Messaoud ou Mahmoud Benakcha et le sergent Mahfoud[61], un déserteur. Deux hommes survivront à leurs blessures : Ali Benchaïba et Mostefa Boucetta qui en gardera les stigmates sur son visage. Le moment de panique passé, les survivants prennent la décision de taire la disparition de Mostefa Ben Boulaïd[62].

Ce 23 mars 1956, une page de l’histoire tumultueuse de l’Aurès était tournée. L’ère des affrontements acharnés entre prétendants au pouvoir allait plonger l’Aurès dans un état d’anarchie qui finira par gagner tout le massif. Deux facteurs supplémentaires, extérieurs contribueront à amplifier la crise. Il s’agit d’une part de l’intensification des opérations de « pacification » menées par l’armée française en ce début de l’année 1956. Le nouveau ministre résidant, Robert Lacoste[63] a nommé à la tête de son cabinet un militaire, le colonel Ducournau[64] qui avait fait ses preuves dans l’Aurès. Peu de temps après son installation à Alger, les « pouvoirs spéciaux » [65] sont votés par l’Assemblée nationale le 12 mars 1956, à sa demande. Du côté de la résistance algérienne, les principaux dirigeants se réunissent au cours de l’été 1956 dans la vallée de la Soummam et adoptent non sans difficulté une plateforme politique où sont précisés les moyens nécessaires à mobiliser pour assurer « le triomphe de la Révolution algérienne dans la lutte pour l’indépendance nationale » [66]. Ce congrès se déroule en l’absence des représentants de l’Aurès, ce qui entraînera une réception mitigée de ses principales décisions.

Le comité des douze

Au lendemain de la disparition de Mostefa Ben Boulaïd, les interrogations se posent à nouveau quant à sa succession. Qui pouvait reprendre le relais de ce chef exceptionnel qui avait réussi à rallier autour de la cause nationale tant de résistants, venus d’horizon divers, tous aussi déterminés à lutter pour l’indépendance de l’Algérie, au point d’abandonner leurs biens, leurs familles, etc. Qui était en mesure de maintenir la mobilisation et l’unité des rangs après l’éclosion de plusieurs lignes de fronts d’opposition ? La crise avait commencé à diviser les frondeurs – « seigneurs de la guerre » – et à peser sur la restructuration des rapports de force. Mostefa Ben Boulaïd ne se faisait aucune illusion quant aux prétentions à la direction, nées durant son absence. L’intérêt suprême de la révolution lui dictait de mettre fin à une issue conflictuelle qui ne pouvait que lui être fatale. D’où cette course contre le temps avec une priorité au rassemblement des insurgés. Le drame de la nuit du 23 mars 1956 « sonne le glas pour l’Aurès et les Nemencha »[67]. Aucun des trois pôles rivaux – Abbas Laghrour, Omar Ben Boulaïd et Adjel Adjoul – qui se disputent le pouvoir, n’a d’emprise totale sur l’ensemble des forces faute de légitimité. Le pouvoir d’Omar Ben Boulaïd est fort de l’aura dont jouissait son frère et de la dynamique du mouvement révolutionnaire profondément enraciné chez les populations de la vallée de l’oued Abdi. Quant à Adjel Adjoul, il n’était pas peu fier de ses capacités de chef militaire. L’organisation de son poste de commandement de Kimmel était donnée en exemple par Mostefa Ben Boulaïd lui-même. Il restait Abbas Laghrour cantonné à Galaâ mais contrôlant le territoire des Nemencha dont la proximité avec la frontière tunisienne lui ouvre la voie du ravitaillement en armes de tout genre. Quel que soit le pouvoir politico-militaire dont se prévalent ces trois chefs, aucun ne peut se targuer d’avoir la légitimité légale auprès de toutes les régions et par conséquent la maîtrise de tout l’échiquier. De ce fait, faute d’unir leurs potentialités respectives, ils ne peuvent qu’étaler leur impuissance et se contenter de multiplier complots et intrigues.

C’est assurément dans cette atmosphère bien difficile que s’ouvre la réunion du 15 avril 1956 à Taghedda (djebel Lazreg). On ignore qui en a pris l’initiative. Est-ce Hadj Lakhdar[68] ? Les participants à ce rendez-vous sont Omar Ben Boulaïd, Hocine Ben Abdesselam, Messaoud Benaïssa, Ahmed Azoui, Mohamed Benakcha, Abdelatif Torèche, Ahmed Nouaoura, Tahar Nouichi, Mostefa Raïli et Hadj Lakhdar. Ils ne représentent qu’une partie de l’Aurès, les régions occidentales de l’Aurès. Pourquoi n’a-t-on pas convoqué les autres chefs de région ? En effet Adjel Adjoul, Abbas Laghrour, Louardi Guettal et Bachir Ouartani sont absents. C’est Hadj Lakhdar qui a l’honneur d’ouvrir la séance. L’ordre du jour se résume à un point : désigner un chef. Mais avant de régler cette question, Hadj Lakhdar suivi de Meddour Azoui[69] tentent de réconcilier les deux frères ennemis : Messaoud Benaïssa et Adjel Adjoul. Mais Messaoud Benaïssa[70] tout à sa rancune, resta insensible à leurs arguments. Puis Hadj Lakhdar propose à l’assistance de nommer Adjel Adjoul comme chef de l’AurèsNemencha. Tous expriment ouvertement leur désaccord autant qu’Omar Ben Boulaïd. Seul Meddour Azoui, très réaliste, appuie sa proposition. Pressentant la gravité de cette décision et en désespoir de cause, Hadj Lakhdar abandonne momentanément la partie.

Les conciliabules se prolongent et s’enveniment avant de trouver une solution provisoire pour sortir de l’impasse et continuer la lutte. Ils se résignent finalement à confier le commandement à un collectif composé de douze membres : Hadj Lakhdar, Omar Ben Boulaïd, Meddour Azoui, Ahmed Azoui, Tahar Nouichi, Mostefa Reaïli, Ahmed Nouaouara, Amar Bellagoune, Mohamed Chérif Benakcha, Abdelhafid Torèche, Hocine Ben Abdeslam et Messaoud Benaïssa. Cette option semble a priori une solution de rechange aux difficultés nées de l’épineuse succession de Mostefa Ben Boulaïd. La formule est habile pour le moment. Elle constitue une façon de temporiser et d’éviter l’émiettement de l’autorité. Mais à examiner la composition de ce comité, c’est bien le clan d’Omar Ben Boulaïd qui s’arroge de fait le pouvoir. Un premier signe annonce les ambitions de celui-ci : il se traduit par le transfert immédiat du poste de commandement à Ouistili[71], au sud-est de Batna. Meddour Azoui assume les fonctions de secrétaire de la nouvelle idara. La nouvelle équipe est-elle prête à amorcer les changements annoncés par Mostefa Ben Boulaïd ? Autrement dit est-elle en mesure d’assurer la continuité de la précédente politique ? Logiquement, seule la convocation de tous les chefs était susceptible de régler les différents et de susciter le ralliement de toutes les forces. L’une des premières tâches qui incombait donc à Meddour Azoui, consistait à les informer des dernières décisions et à fixer une date de rencontre. Mais de tous les chefs de l’Aurès-Nememcha, c’étaient Adjel Adjoul et Abbas Laghrour qu’il fallait convaincre. L’un et l’autre, Adjoul plus que Laghrour, considéraient que le commandement devait leur revenir. Adjoul apprend la mort de Mostefa Ben Boulaïd et la création du comité des douze, à la fin du mois de mai 1956, quand Ali Benchaïba, Mostefa Boucetta et Messaoud Belaggoune lui rendent visite à Kimmel. Les deux premiers se relèvent de leurs blessures et ont besoin encore de soins que l’« hôpital » de Kimmel va leur dispenser. Ont-ils été mandatés par le comité des douze ? Si l’on croit les différents témoignages publiés[72], Adjoul n’a pas été contacté par Meddour Azoui. Pourquoi ? Il semble que la même attitude a été observée à l’égard d’Abbas Laghrour. La seule indication fournie par Ali Benchaïba est qu’Adjoul comme Abbas « n’ont cessé de revendiquer leurs postes de premier et deuxième adjoint du chef de l’idara » et qu’ils ont mandaté Messaoud Bellagoune pour exprimer leur point de vue dans toute réunion. Comment deux responsables de leur importance comptentils exercer leurs responsabilités en restant coupés du comité des douze ? En préférant rester dans l’expectative, ils ne pouvaient désamorcer le conflit alors qu’Omar Ben Boulaïd sait mettre à profit leur absence. Très rapidement, Omar Ben Boulaïd dévoile ouvertement son ambition de prendre la tête de l’idara. Il n’a aucune peine à rallier à son point de vue Tahar Nouichi, Amar Maâche, Mohamed Chérif Benakcha, Mohamed Ben Messaoud et Messaoud Benaïssa. Seul Hadj Lakhdar, peu convaincu des capacités d’Omar Ben Boulaïd, refuse de lui prêter allégeance. Pourtant, mettant de côté ses propres sentiments, désireux de conjurer la division des rangs, il finit par céder. Omar Ben Boulaïd conciliant s’engage à œuvrer selon « les directives de son frère ». Mais très rapidement, il entend affirmer son autorité à tous, refusant toute discussion. C’est ainsi qu’il opposera une fin de non-recevoir au vieux Messaoud Bellagoune et Ali Benchaïba quand ils ont voulu évoquer la procuration d’Abbas Laghrour et d’Adjel Adjoul. Peu lui importe l’avis de ses rivaux ! Leur absence lui facilite les choses. Dès ce printemps 1956, Omar Ben Boulaïd croit pouvoir diriger l’Aurès-Nemencha. Il commence à saper leur réputation. Abbas Laghrour est accusé d’être à l’origine du blocus sur l’acheminement des armes. Quant à Adjel Adjoul, il est rendu coupable de la disparition de Bachir Chihani puis de Mostefa Ben Boulaïd. Dans l’atmosphère de suspicion générale, les maquisards sont ébranlés sinon indignés par de telles révélations. Le respect et le dévouement qu’ils avaient pour Mostefa Ben Boulaïd les incitaient à suspecter Adjoul et Laghrour. C’est donc naturellement que beaucoup ont cru à ces machinations dictées autant par des motifs personnels que politiques. C’est ce qui explique le détachement de maquisards de plus en plus nombreux d’Adjoul. Dans cette guerre sans merci, Adjoul use également des mêmes procédés pour discréditer Omar Ben Boulaïd, Messaoud Benaïssa et leurs partisans. La violence des affrontements qui opposent ces fractions les unes aux autres, attise la haine et entretient la peur dans les maquis. La zone 1 connaît alors une période de grande confusion. L’instabilité politique est réelle et semble à la mesure de l’immensité des objectifs que la révolution s’est fixée et de la faiblesse des moyens pour les réaliser. L’histoire du début de la révolution de novembre 1954 est à replacer dans le cadre de ces discontinuités qui n’ont pas encore révélé leurs secrets.

Conclusion

S’il est difficile de rendre compte de la réalité de ces premiers conflits, faute de sources, quelques hypothèses peuvent être émises, à travers la diversité des cheminements de chacun de ces militants. L’observation ramenée à l’échelle de la microhistoire est-elle en mesure d’apporter des réponses pertinentes aux pratiques sociales et aux stratégies déployées par les uns et les autres ? Dans quelle mesure ce que l’on a désigné par le particularisme local, n’occulterait pas plutôt le processus de la construction d’identités sociales qui tentent de se positionner sur le plan politique. À travers les attitudes antagonistes, ce sont de véritables recompositions sociales et politiques en cours de réalisation et le fait, que les termes du désaccord affleurent sous une apparence ethnique, n’exclut point l’existence d’un rapport de force, visant au renforcement de positions qui elles, relèvent du politique. Pendant longtemps, l’histoire nationale a occulté ces oppositions et ces contradictions nées dès le début de la révolution. Leur importance est pourtant incontestable dans la construction paradoxale de l’unité même du mouvement révolutionnaire.

Ouanassa Siari-Tengour | historienne, et chercheuse au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC, Oran)
« Les dirigeants de l’Aurès-Nememcha (1954-1956) », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007,

[1] Joan Lynch, The spanish american revolution, 1808-1826. New York : W. W. Norton & Company, 1986, p. 416. [2] Il s’agit du projet « Biographies, parcours et réseaux », division Anthropologie de l’histoire et de la mémoire, Centre de recherches en anthropologies sociales et culturelles, Oran, 2006.
[3] Le CAOM a mis à la disposition des chercheurs depuis quelques années, l’inventaire d’une partie des archives provenant du Fonds des réformes (FR 93) du département de Constantine et comprenant les dossiers personnels de nombreux nationalistes ; ceux-ci soumis à l’obtention d’une dérogation.
[4] Nous avons sollicité des services du SHD une dérogation pour de nombreuses cotes relatives à des dossiers personnels ou autres dont une partie nous fut accordée. En revanche, les dossiers figurant dans le fonds Vaujour (dont celui de Mostefa Ben Boulaïd) – dont la consultation est soumise à son accord –, nous ont été refusés.
[5] Voir la présentation de l’article co-rédigé avec Fouad Soufi « Les Algériens écrivent enfin la guerre », Insaniyat, 2005, n° 24-25.
[6] Sonia Combe, Archives interdites : l’histoire confisquée. Paris : La Découverte, 2001.
[7] À titre de comparaison, pour la même période, la zone 2 (Nord-Constantinois) a vu défiler trois chefs : Didouche Mourad, Zighoud Youcef et Lakhdar Bentobbal ; la zone 3 (Kabylie) : Krim Belkacem et Amirouche ; la zone 4 (Algérois) : Rabah Bitat et Omar Ouamrane ; la zone 5 (Oranie) : Larbi Ben M’hidi et Abdelhafid Boussouf.
[8] Ce départ ne visait pas uniquement l’acquisition des armes : Mostefa Ben Boulaïd devait se rendre surtout au rendez-vous fixé par les membres de la Délégation extérieure, au Caire. Celle-ci comprenait Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed et Ahmed Ben Bella. Ce dernier était responsable de la logistique.
[9] Bachir Chihani était en inspection dans les Nememcha, suivant la recommandation de Mostefa Ben Boulaïd qui, effaré par l’anarchie des groupes armés de cette région, avait recommandé sa réorganisation. Voir Mohamed Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable : AurèsNemencha (1954-1959). Alger : ANEP, 2001, p. 57.
[10] Il existait une animosité entre Laghrour et Maâche, liée au rendez-vous manqué la nuit du 1er novembre 1954, fixé à Ain Silane. Amar Maâche est des Béni Oudjana. Voir Révolution africaine du 2 novembre 1963 ; M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 38.
[11] Mohamed Larbi Madaci situe l’origine due à la différente période qui précède le 1er novembre 1954 où Adjel Adjoul a refusé d’intégrer Messaoud Benaïssa au sein d’une cellule du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques. Voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 238-240.
[12] Claude Paillat donne une version différente, montrant un Bachir Chihani plus intrigant que dirigeant responsable, dans Vingt ans qui déchirèrent la France. T. II : La liquidation (1954-1962). Paris : Laffont, 1972.
[13] Au cours de cette période, Bachir Chihani accomplit un énorme travail d’organisation de la zone 1. Du règlement intérieur destiné aux maquisards jusqu’à leur entraînement, sans oublier les rapports entre les différentes régions, Bachir Chihani est sur tous les fronts.
[14] Ces données avancées par Mohamed Larbi Madaci correspondent à celles que fournissent les archives du SHD. Voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit.
[15] Ibid., p. 57.
[16] M. Harbi, « Le complot Lamouri ». In La guerre d’Algérie et les Algériens, 1954-1962. Paris : Armand Colin, 1997, p. 151-179.
[17] De nombreux témoignages corroborent les difficultés issues de la pratique du blocus opéré par l’armée française et de la faim qui a souvent tenaillé les maquisards dans de nombreuses circonstances.
[18] Selon M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 92 et suiv. Omar Ben Boulaïd voulait exécuter Hocine Berrahaïl qui dut son salut à l’intervention d’Abbas Laghrour qui l’accompagnait lors de cette inspection. Il semble que l’opposition entre Omar Ben Boulaïd et Abbas Laghrour soit liée à cet incident.
[19] Nidham, terme arabe signifiant « organisation ». L’autre terme, tout aussi important est celui de l’idara qui veut dire littéralement « administration ». C’est autour de ce couple nidham/idara que se structure l’embryon d’une bureaucratie-État algérien. Voir François Lyotard, La guerre des Algériens. Paris : Galilée, 1989.
[20] Les Touaba, les Ouled Daoud, constituent d’importantes tribus. Voir Émile Masqueray, La formation des cités chez les populations sédentaires de l’Algérie. Paris : Ernest Leroux, 1886 ; et Jean Morizot, L’Aurès ou le mythe de la montagne rebelle. Paris : L’Harmattan, 1991.
[21] Il s’agit d’Amar Maâche et de Mohamed Ghabrouri.
[22] D’après le témoignage de Mostefa Boucetta, cité par M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 107-111.
[23] Un modèle de ces journaux de marche figure dans Jean-Charles Jauffret (dir.), La guerre d’Algérie par les documents. Paris : SHAT, 1992, t. II.
[24] Charles-Robert Ageron, « L’insurrection du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois ». In C.-R Ageron (dir.), La guerre d’Algérie et les Algériens, 1954-1962. Paris : Armand Colin, 1997. Le témoignage d’Adjel Adjoul recueilli par M. Larbi Madaci abonde dans le même sens (voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 113).
[25] C’est dans le but de donner un autre visage de la révolution que Chihani organisa cette rencontre.
[26] Dont les informateurs étaient, faut-il le rappeler, des Algériens et ils furent nombreux. Une histoire de ce groupe sur qui reposait la surveillance de la vie politique, dans l’Algérie coloniale reste à faire.
[27] Sur la bataille d’El Djorf, voir Yves Courrière, Le temps des léopards. Paris : Fayard, 1970. Parmi les prisonniers figure Salem Boubakeur qui fut interrogé comme tous ceux qui l’ont précédé. Voir aussi le témoignage du maquisard Louardi Guettal qui a vécu la bataille publié par la revue El Djeich (novembre 1995, n° 388).
[28] Voir Ouanassa Siari-Tengour et Fouad Soufi, « Les Algériens écrivent enfin la guerre ». Insaniyat, n° 25-26, p. 267-283.
[29] Ils prêtent serment de lui obéir, en jurant sur le Coran, selon les volontés exprimées par Mostefa Ben Boulaïd. [30] Adjel Adjoul n’a cessé jusqu’à sa mort de faire porter la responsabilité à Abbès Laghrour ; voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit.
[31] Voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 130 et suiv. Avant l’arrestation de Chihani, des coups de feu sont tirés vers son refuge placé sous la garde d’Ali Kerbadou qui prit la fuite. Ce dernier se rendra vers le 20 décembre 1955 aux autorités françaises ; voir Jacques Soustelle, Aimée et souffrante Algérie. Paris : Plon, 1956. Les motifs apparents de la condamnation à mort de Bachir Chihani sont d’abord imputés à « son homosexualité » ; sur ce point voir la version fournie par M. Larbi Madaci, qui a rapporté la version d’Adjel Adjoul : « Ali [Kerbadou] a vu Chihani et un secrétaire pratiquer un acte contre nature. J’en ai parlé à Abbès. Il m’a dit : je vais les tuer […] » (M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 130). Ceci dit, Adjel Adjoul ne manque pas de se contredire quand il est interpellé par Bicha Djoudi, qui, ulcéré par la liquidation de Bachir Chihani, le somme de dire la vérité devant de nombreux maquisards, voici sa réponse : « Chihani a été jugé et condamné par le tribunal révolutionnaire parce qu’il a volé de l’argent du nidham, près de cinq millions. De plus, il a abusé de trois femmes sans être légalement marié à aucune d’elles. » Mohamed Zeroual donne lui aussi une version de la liquidation de Bachir Chihani noyée dans des considérations morales et religieuses (Les Nememcha pendant la révolution [en arabe]. Alger : Dar Houma, 2003, p. 221 et suiv.). Voir également M. Harbi, Le FLN, mirage et réalité, op. cit. ; Abderrezak Bouhara, Les viviers de la libération. Alger : Casbah Éditions, 2001.
[32] Ainsi la mort de Mostefa Ben Boulaïd est gardée secrète pendant plusieurs mois. Cette pratique est partagée aussi par les autorités françaises qui ne divulguent pas toujours des informations considérées comme importantes. [33] M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 90.
[34] Dans une lettre ouverte datée du 18 juillet 1956 et interceptée le 3 août 1956 par l’armée française, Lazhar Cheriet se réclame de l’autorité de Mostefa Ben Boulaïd et déclare une guerre sans merci, non seulement à Adjoul qui avait pourtant pris sa défense, mais à Abbas Laghrour et Othmani Tidjani ; Archives de Vincennes (AV), Service historique de l’armée de terre (SHAT), 1H 2877*. En fait Lazhar Cheriet n’avait pas accepté son remplacement par Farhi Saï à la tête du commandement de la région de Tébessa, au mois de mars 1955, conformément à la décision prise par Bachir Chihani.
[35] Cependant, au cours de cette période, Ahmed Ben Abderrazak / Si El Haouès allié de Omar Ben Boulaïd un temps, décide d’ériger la partie Sud de l’Aurès en zone dite du Sahara. Il bénéficie de l’appui d’Achour Ziani. Ces deux maquisards sont considérés comme des proches de Messali Hadj et donc du Mouvement national algérien. Mostefa Ben Boulaïd s’en méfiait.
[36] Toutes ces informations sont empruntées aux récits collectés par M. Larbi Madaci (M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 143-178).
[37] Cité par M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 169.
[38] Chaque famille recevait un pécule en fonction de sa taille.
[39] Ces quelques réflexions sont directement inspirées de la lecture des travaux des historiens italiens dont Giovanni Levy est l’un des représentants (Le pouvoir au village, histoire d’un exorciste dans le Piémont du xviie siècle. Trad. Monique Aymard. Paris : Gallimard, 1989). Pour une vue d’ensemble, voir Jacques Revel (dir.), Jeux d’échelles, la micro-analyse à l’expérience. Paris : Seuil, 1998.
[40] Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique Noire. Paris : PUF, 1955.
[41] Bernard Lepetit, Les formes de l’expérience. Paris : Albin Michel, 1995.
[42] Voir l’adoption de la loi du 23 février 2005 par l’Assemblée nationale française, abrogée depuis.
[43] L’histoire de l’implantation des différentes tendances du mouvement national est peu connue. À l’instar des autres régions, les idées nationalistes pénètrent plus ou moins lentement entre les deux guerres, connaissent une évolution remarquable avec le développement des comités des Amis du manifeste de la liberté (AML), à partir de 1944. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, tous les partis sont plus ou moins bien représentés dans la région et mobilisent beaucoup de monde. L’adhésion à l’OS attribuée à la plupart des insurgés de novembre 1954 me semble surfaite et mérite d’être nuancée.
[44] La consultation des fiches signalétiques de police, conservées aux archives françaises (CAOM et SHD) est soumise à la règle de la dérogation. Reste l’enquête orale à mener auprès des témoins encore vivants.
[45] Max Weber, Économie et société. Paris : Plon, 1971 ; Jean-Louis Briquet, La tradition en mouvement. Clientélisme et politique en Corse. Paris : Belin, 1997.
[46] Il convient de relire et d’approfondir les réflexions introduites par Mohammed Harbi, L’Algérie et son destin, croyants ou citoyens. Paris : Arcantère, 1994.
[47] M. Harbi, Le FLN, mirage et réalité, op. cit., p. 302.
[48] Dans l’opposition Adjel Adjoul à Bachir Chihani, c’est le mérite militaire contre le mérite de la compétence politique qui se joue. Mais, au lendemain de la bataille d’El Djorf, selon Bicha Djoudi « Bachir Chihani a épinglé en haut à droite sur sa poitrine l’insigne du commandement : un magnifique aigle en or aux ailes largement déployées » (M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 126). Par ailleurs, dans la plupart des ouvrages consacrés aux cadres dirigeants de l’Aurès et en particulier ceux qui ont participé aux actions armées la nuit du 1er novembre 1954, la référence à l’OS – dont seule la préparation militaire est retenue – est mise systématiquement en avant comme un facteur déterminant de leur engagement et par conséquent de leur légitimité (Les martyrs de la région de l’Aurès. T. I : Pionniers de la révolution dans la région de l’Aurès (en arabe). Aïn M’lila : Association de Batna – Imprimerie Dar el Houda, 2002).
[49]9 La liste diffère dans le témoignage de Louardi Guettal (Souk Ahras) : il signale la présence de Farhi Saï, Younès Mohamed Larbi, Sebti Boudouh et Omar Ben Boulaïd. De même, le témoignage d’Abd El Wahab Othmani fournit d’autres noms (Mostefa Ben Boulaïd et la Révolution [en arabe]. Batna : Association du 1er novembre, 1999, p. 959 et suiv.). Ces témoignages ont été réalisés entre 1980 et 1998.
[50] Le déclenchement de la lutte armée sur le territoire algérien a donné lieu à un important trafic d’armes qui a provoqué un renchérissement du prix des armes et des munitions, aux frontières tant orientales qu’occidentales.
[51] Témoignage de Mostefa Boucetta cité par M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 171. Selon la même source, la mintaqa d’Arris regroupait 1 200 maquisards, Kimmel 450 maquisards, Khenchela 350 maquisards et Tébessa autant. Au total, l’AurèsNemencha disposerait de quelques 4 000 hommes déterminés à se battre sous la bannière du FLN-ALN.
[52] Propos prêtés à Mostefa Ben Boulaïd, selon Mostefa Boucetta cité par M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 171.
[53] Dans une autre zone, à l’Ouest du pays, dans la zone 5, les maquis de la région de Tlemcen sont confrontés au même afflux de militants recherchés ou craignant une arrestation, ce qui obligea les dirigeants FLN-ALN à conseiller aux responsables du secteur urbain d’organiser sur place les cellules de fidaï. Voir Ouanassa Siari-Tengour, « Les premiers réseaux de la résistance à Tlemcen, 1954-1955. Logiques d’un soulèvement », Hommage à Sid Ahmed Inal. Tlemcem : Ecolymed – Université de Tlemcen, 2006.
[54] Le général Paul Cherrière, commandant en chef de l’armée française, mit en application le principe de responsabilité collective, dès les premiers mois qui ont suivi le déclenchement de la lutte armée par le FLN.
[55] La décision du boycott du tabac de marque Bastos, Job, etc., est adoptée lors de la réunion de Galaâ (juin 1955), du vivant de Bachir Chihani. Elle fait partie de la panoplie des moyens utilisés auparavant par le PPA-MTLD. Ceci dit, il existait des manufactures de tabac appartenant à des Algériens, Bentichou à Constantine, Mouhoub (marque Match) à Blida : ont-elles fait l’objet de la même d’interdiction ?
[56] La propagande française s’empara de ces actions primitives et cruelles pour mieux dénoncer les actions « terroristes » du FLN. Pour l’historien de cette période, il convient aussi d’aborder ce type de violence qui a marqué les débuts de la lutte armée. Une réflexion autour de l’histoire de la violence, de toutes les violences, durant cette période 1954-1962, commence à voir le jour. Voir Omar Carlier, Entre Nation et Djihad, histoire sociale des radicalismes algériens. Paris : Presses de Sciences Po, 1995 ; Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie. Paris : Gallimard, 2001 ; et pour un point de vue émanant d’un esprit attentif à la signification de l’événement, voir Mouloud Feraoun, Journal 1955-1962. Paris : Seuil, 1962, p. 16. L’interdiction de fumer fut levée par la suite et l’une des tâches de l’intendance était de ravitailler les maquis en cigarettes auprès des fournisseurs civils, voir Mansour Rahal, Les maquisards, pages du maquis des Aurès durant la guerre de la libération. Alger : Imprimerie El Chourouk, 2000, p. 103.
[57] Nara, non loin d’Arris
[58] Les premiers bombardements contre les populations civiles débutent dans le courant du mois de novembre 1954, la dechra de Tighezza Frej est détruite les 10 et 11 novembre en plein jour. Témoignages recueillis auprès de survivants en novembre 2004 à Khenchela. La dechra est située au cœur de la forêt des Béni Melloul. Voir M. Rahal, Les maquisards, pages du maquis des Aurès…, op. cit. p. 87.
[59] Mohamed Lamouri est d’abord l’un des responsables de la région de Sétif, avant de devenir colonel de la wilaya 1, à la fin de l’année 1957.
[60] L’histoire de ce poste piégé a été relatée par Yves Courrière, Le temps des léopards. Paris : Fayard, 1969, t. II ; Erwan Bergot, Le 11e Choc. Paris : Grasset, 1981 ; Constantin Melnik, patron de la DST a expliqué le montage de l’opération dans Un espion dans le siècle (Paris : Plon, 1994). Enfin, Hadj Lakhdar a rapporté qu’il avait craint le pire dès que Mostefa Ben Boulaïd lui parla du poste et n’a pas manqué pas de le prévenir que le poste pouvait être piégé (M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 176).
[61] Le nom du déserteur diffère d’une version à l’autre. Deux sergents algériens avaient rejoint le maquis durant cette période de l’hiver 1956 : il s’agit de X Mahfoud et Fodil El Djilani dit Ahmed le Kabyle.
[62] Il semble que les autorités françaises prendront connaissance de la mort de Mostefa Ben Boulaïd, lors du ralliement d’Adjel Adjoul, le 31 octobre 1956. Adjoul n’ayant pas participé au rassemblement de Nara, n’a été informé de la disparition de Mostefa Ben Boulaïd que deux mois plus tard, selon ses propres déclarations recueillies par M. Larbi Madaci (Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 190). Cette absence fera planer le doute quant à son implication éventuelle dans la disparition de Mostefa Ben Boulaïd.
[63] À cette date, le gouvernement français, dirigé par Guy Mollet, crée un ministère de l’Algérie qui est confié initialement au général Catroux. À la suite des manifestations (Journée des tomates) du 6 février 1956, le choix est porté sur Robert Lacoste qui succédera au dernier gouverneur général d’Algérie : Jacques Soustelle quitte en effet l’Algérie, le 2 février 1956. Pour une vue d’ensemble sur l’évolution des dernières années de la IVe République, voir Jean-Pierre Rioux, La France de la Quatrième République. Paris : Seuil, 1983, t. II.
[64] La guerre d’Algérie par les documents. Vincennes : SHAT, 1998, t. II.
[65] Sur le caractère exceptionnel de la loi, voir Arlette Heymann, Les libertés publiques et la guerre d’Algérie. Paris : Librairie de droit et de jurisprudence, 1972.
[66] Les textes adoptés lors de cette rencontre ont été publiés par M. Harbi, Archives de la Révolution algérienne. Paris : Jeune Afrique, 1981.
[67] M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit.
[68] Hadj Lakhdar est alors âgé de quarante-deux ans, mais il n’est pas le plus vieux du groupe. Messaoud Benaïssa est son aîné de huit ans. Cependant, il jouit du respect auprès de tous, en raison de sa droiture.
[69] L’intercession de Meddour Azoui peut s’expliquer moins par le fait qu’il est compagnon proche de Messaoud Benaïssa que parce qu’il est descendant d’une famille religieuse très respectée chez les Touaba et qu’à ce titre, il était écouté.
[70] Les querelles et les atteintes à l’honneur se règlent dans la société traditionnelle de l’Aurès de manière violente. Mais, la réconciliation ou souab est une pratique courante également. Voir Pitt Rivers, Encyclopédie de l’islam, article « honneur ». La mésentente entre Messaoud Benaïssa et Adjel Adjoul remonte au début des années 1950. Voir M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit., p. 238-240. Ni Mostefa Ben Boulaïd, ni Bachir Chihani n’ont pu rapprocher les deux hommes qui continueront de se vouer une haine mutuelle.
[71] En fait, l’ALN-FLN n’aura pas toujours le choix de l’implantation de son poste de commandement. Au gré des opérations de l’armée française, le poste de commandement est déplacé plus d’une fois. Voir M. Rahal, Les maquisards, pages du maquis des Aurès…, op. cit.
[72] M. Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable…, op. cit. ; et Chouhadas mintaqat el aouras, op. cit.

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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