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L’écrivain Rachid Boudjedra et la confession publique

Comment le peuple de l’action révolutionnaire et des pensées progressistes a-t-il pu accoucher du peuple des panses insatiables et de la soumission à l’absolutisme wahhabite ? Le peuple algérien n’avait-il pas contredit toutes les thèses essentialistes de la race en menant des révoltes pendant cent vingt-quatre ans contre son colonisateur, et conduit avec abnégation une révolution durant sept ans et demi, révolution qui lui avait rendu sa dignité et provoqué l’admiration de tous les peuples opprimés ? Comment ce peuple pratiquant du rite malékite, depuis le IXe siècle (ère chrétienne), s’est-il retrouvé soumis au sectarisme wahhabite depuis quarante ans ? Ce sectarisme dont les théoriciens ont fait apparaître, depuis 1980, l’inégalité parmi les classes sociales algériennes et instauré juridiquement la mise sous tutelle des Algériennes depuis 1984, sans que ces dérives politiques anticonstitutionnelles n’émeuvent les dirigeants du pays.

Ce sectarisme qui a voilé notre mémoire nationale, qui a appauvri notre langage et nos arts, qui a défiguré nos villes et nos villages et qui nous soumet, du plus anonyme au plus célèbre, à la confession publique et à la damnation wahhabite sans que cela ne fasse réagir les intellectuels nationaux ou étrangers. Ce sectarisme wahhabite dont les adeptes avaient refusé en octobre 1989 l’enterrement, parmi les siens, d’un des plus illustre fils de l’Algérie, Kateb Yacine, sans que les musulmans algériens ne s’expriment pour condamner cet affront. Les paroles et les écrits de ces sectaires rappelaient à certains étudiants algériens le sort réservé au philosophe de l’Ethique, Baruch Spinoza, qui avait échappé à une tentative d’assassinat d’un fanatique de sa communauté. Si l’assassinat ne réussit pas, il ne put éviter l’exclusion dont il fut l’objet le 27 juillet 1656, exclusion dont le texte fondateur, le Herem, ressemble à s’y méprendre aux préceptes wahhabites, car on peut y lire : «(…) Qu’il soit maudit le jour, qu’il soit maudit la nuit ; qu’il soit maudit à son entrée et qu’il soit maudit à sa sortie. Veuille l’Eternel ne jamais lui pardonner. Veuille l’Eternel allumer contre cet homme toute Sa colère et déverser sur lui tous les maux mentionnés dans le livre de la Loi : que son nom soit effacé dans ce monde et à tout jamais… » Spinoza fut exclu de sa communauté, Kateb fut porté en terre par les siens parmi les siens malgré les dangers et les prises de position de ses ennemis obscurantistes à l’affût de chaque geste ou de chaque parole hors de leur champ sectaire.

Aujourd’hui, comment accepter qu’un penseur algérien, Rachid Boudjedra, soit soumis à une confession publique devant des millions d’intégristes n’attendant que l’occasion pour l’assassiner, ce qu’ils n’ont pu accomplir lors de leur guerre contre le peuple algérien. Quel est le passage du Coran ou d’un autre texte religieux qui oblige le citoyen algérien à se soumettre à la confession publique, pratique relevant uniquement des religions juive et chrétienne qui possèdent un clergé à la différence de l’islam, selon les pratiques ancestrales depuis 14 siècles. L’Algérie dans laquelle vit Rachid Boudjedra est-elle à l’image du monde chrétien de Léon X où le pardon des péchés était accordé contre la vente de certificats d’absolution nommés Indulgences. L’Algérie de 2015 est-elle l’Espagne de l’Inquisition catholique des rois Ferdinand et Isabelle conseillés par Thomas Torquemada (descendant de marranes) pour mener la guerre contre les Maures et la lutte contre les infidèles conversos et morisques. Aucun pouvoir politique algérien ne put museler cet auteur, aucun lecteur algérien en désaccord avec lui ne l’avait menacé, aucun religieux algérien ne l’avait condamné à la damnation sur terre ou au ciel, seuls les intégristes veulent réussir leurs desseins par la terreur vu la faiblesse de leurs débats intellectuels.

Depuis l’indépendance, Rachid Boudjedra grâce à son œuvre prolifique a pointé les contradictions régissant la société algérienne, il a appris à des milliers d’Algériennes et d’Algériens à devenir acteur de leur histoire et de l’histoire nationale, il fut et reste l’un des derniers éclaireurs de ce monde en recolonisation occidentale.

Lecteur ou pas, en accord ou pas, Algérien ou étranger, pratiquant ou pas, imam ou pas, se taire devant les attaques dont il est l’objet c’est contribuer à hurler avec la meute meurtrière. Quelle est l’autorité malékite, qui, tel Martin Luther en 1517, viendra délivrer la foi ancestrale des Algériens de cette bigoterie commerciale wahhabite qui débute par une condamnation verbale, se poursuit par un autodafé et finit par le bûcher.

Djoghlal Djemaâ
Militante associative

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