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Le Rif , le Makhzen et… le drapeau marocain

La marche de soutien au mouvement rifain organisée (1) à Paris le 2 juillet dernier a montré, par la forte mobilisation des Marocains de toutes les régions, ainsi que de nombreux Algériens et Français, la réelle solidarité avec ce mouvement pacifique.

Elle a aussi confirmé l’échec de la politique du Makhzen d’isoler le Rif.

Les slogans des manifestants, criés en français, en tarifit et en darja marocain, demandaient la libération des prisonniers, la fin du blocus imposé au Rif depuis des décennies, la fin de la politique répressive et l’ouverture d’un dialogue sérieux pour sortir cette région de la paupérisation actuelle et envisager enfin des perspectives meilleures dans un Maroc démocratique.

Quelques slogans poignants répétés avec force tout au long de la marche depuis la Place de la Bastille jusqu’à la Place de la République : ”El Mekhzen yengha-anegh”/ Le makhzen nous assassine, ”Arif nnagh merra” (Le Rif est à nous tous) (ie. nous autres Marocains), a montré le haut niveau de sensibilisation et de motivation de nos compatriotes.

Les Rifains sont profondément patriotes et nationalistes marocains. Et pourtant, à cette marche, il n’y avait aucun drapeau marocain visible. Seuls le drapeau amazigh et celui de la furtive république du Rif de 1923 (2) flottaient au vent, par dizaines. Oubli des organisateurs et des manifestants ? Pas sûr.

Cette absence du drapeau marocain signifiait, sans ambiguïté, le rejet du Makhzen et le choix de la voie de la libération tracée par Abdelkrim, qui a montré aux peuples colonisés du monde le chemin de la lutte pour la décolonisation.

Un bref retour à l’histoire nous montre que ce drapeau marocain (3), rouge avec une étoile verte au milieu, cumule un lourd passif lié à son passé depuis des siècles et à la compromission du Makhzen marocain :

– C’est le drapeau (rouge uniforme, alors sans étoile) que déployaient les troupes montées des différents sultans alaouites (on les appelait les mehallas) lorsqu’elles investissaient les tribus pour la levée de l’impôt, de force. Elles revenaient souvent avec des dizaines d’hommes, pris en otages dans les tribus, jusqu’à payement de l’impôt… ou la mort, souvent. Le Rif, commes les autres contrées du ”bled essiba”, a enduré pendant des siècles ces incursions destructrices et meurtrières.

– C’est le drapeau de la compromission du makhzen avec le colonialisme français. C’est la France qui a ajouté l’étoile verte au milieu en 1915, pendant le protectorat, ”de façon à le distinguer des couleurs utilisées dans la marine française” (sic!).

Cette double tare confirme l’illégitimité et donc le rejet de ce drapeau makhzénien, et par conséquent la revendication par la population du drapeau identitaire amazigh à côté de celui de la grande guerre de libération rifaine, emblêmes pour un Maroc libre de toute occupation étrangère.

L’absence du drapeau makhzénien était donc un acte patriote, volontaire, et non un oubli lors de cette marche de solidarité avec le Rif.

Les symboles sont indestructibles, car ils font partie de la culture d’un peuple. L’État marocain, et en premier lieu le roi, devrait prendre en compte ces revendications populaires et pacifiques et promouvoir un Maroc en harmonie avec son histoire, sa culture, la vraie, pour prétendre à un futur de progrès. Le temps des archaïsmes politico-religieux (3) et des mystifications est révolu.

Aumer U Lamara, écrivain.

Notes :

(1) Comité de soutien au mouvement rifain (CSMR) – Ile de France : csmr.idf@gmail.com

(2) La république des tribus confédérées du Rif a été proclamée dans le feu de la guerre contre les espagnols en 1923. Toutes les armées espagnoles avaient été anéanties ou chassées du territoire rifain ; seuls les villes de Mellila et Ceuta et le rocher de Nekkour étaient encore occupés par l’Espagne.

(3) Le drapeau du Maroc est un drapeau servant d’emblème au Royaume du Maroc à partir de 1915, trois ans après le début du protectorat français au Maroc. Il est rouge frappé d’une étoile verte à cinq branches. Entièrement rouge à l’origine, cet emblème historique de la dynastie alaouite au pouvoir depuis le xviie siècle s’est vu adjoindre, de façon à le distinguer des couleurs utilisées dans la marine française, un pentagramme vert en son centre en 1915, près de trois ans après le début du protectorat français. (Wikipedia).

(3) Un éminent professeur d’histoire de l’université de Paris-Sorbonne, spécialiste de l’Afrique du Nord, disait il y a quelques mois, dans une table ronde à Sciences Po. : ”Mohammed VI ne peut pas revendiquer son amazighité car alors… il ne serait plus légitime comme roi du Maroc !”.

Rappelons que Mohammed VI est amazigh par sa mère, issue de la tribu Zayyane, du moyen Atlas et parente du grand résistant Moha Ou Hammou. De notre point de vue, cette légitimité amazigh nous semble bien supérieure à la mythique référence au lointain ancêtre de la péninsule arabique !

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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