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Abattre les frontières pour refonder Tamazgha !

“Afrique du Nord : les régions naturelles face à l’État central – l’exemple du Rif”, c’est le titre de la conférence qui a été donnée dimanche dernier dans le cadre du salon du livre du Mans (Ouest de la france), par Rachid Oufkir et Aumer U Lamara (1).

En partant de l’actualité du mouvement populaire et pacifique du Rif depuis une année, les deux intervenants ont présenté une vision globale des revendications régionales et des perspectives d’évolutions en Afrique du Nord.

Le soulèvement populaire et pacifique du Rif

L’étincelle du soulèvement du Rif contre l’abus de pouvoir de l’administration chérifienne était partie fin octobre 2016 après l’assassinat du poissonnier Mohsine Fikri dans la ville d’El Hoceima/Taghzut. La contestation pacifique n’a pas faiblit depuis, malgré la répression violente, la désinformation, le dénigrement du mouvement, les tentatives d’isolement, la mort de deux manifestants, l’arrestation de centaines d’autres manifestants, les condamnations sévères de dizaines d’entre eux à de lourdes peines allant de 4 ans à 20 ans de prison, les multiples grèves de la faim des prisonniers, le harcèlement permanent des parents des militants connus…

Le soulèvement du peuple rifain contre la marginalisation de leur région par le makhzen, une mémoire meurtrie d’une histoire douloureuse non soldée, marquée par la répression de 1958 par les forces armées royales (plus de 6000 morts), l’absence de tout projet de développement (2), la militarisation à outrance de la région, l’encouragement de la délinquance, du trafic de drogue et de l’exode permanent des jeunes vers l’Europe afin de vider le pays de sa force vive, s’est trouvé cristallisé à l’occasion de l’enterrement du jeune Mohsine. Un mouvement pacifique et populaire est né, se renouvelant en permanence, et présentant une plateforme de revendications en 21 points.

Un important mouvement de solidarité au Maroc et à l’étranger porte les revendications exprimées au Rif en multipliant les manifestations et autres actions en Europe (plusieurs marches à Paris, Strasbourg, Bruxelles, en Suisse, Hollande, Allemagne etc.), aux USA, et récemment un rassemblement inédit devant le château de Mohamed VI à Betz, dans l’Oise (nord de Paris), une propriété de 70 hectares achetée par Hassan II en 1972… avec l’argent des Marocains.

Actuellement, le makhzen louvoie, essaie de gagner du temps, mais ne propose aucune réponse sérieuse aux revendications légitimes des Rifains. Le pire est à venir.

Les révoltes des régions en Afrique du Nord

Ce qui se passe aujourd’hui au Rif est similaire à ce qui s’est produit en Tunisie en 2011, après la mort du jeune chômeur Bouazizi à Sidi Bouzid puis les émeutes et la chute de Ben Ali, en Kabylie en 1980 après l’interdiction de la conférence de Mouloud Mammeri, en 2001 après l’assassinat du jeune Massinissa Guermah puis le massacre de plus de 130 jeunes et des dizaines de blessés par les gendarmes, les soulèvements de Casablanca en 1981, d’Oran en 1982, de Constantine en 1986, de Ghardaïa en 2014, etc.

L’histoire des pays d’Afrique du Nord est jalonnée de soulèvements sporadiques des régions délaissées et des villes surpeuplées par les effets de l’exode rural, de la démographie et de la paupérisation.

La révolte latente des régions naturelles (3) d’Afrique du Nord contre les États-nations est issue de l’histoire ancienne, mais amplifiée par les processus biaisés de décolonisation du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Libye.

Ces États-nations sont caractérisés par une triple illégitimité :

  1. Les bourgeoisies citadines ‘’arabo-andalouses’’ ont pris le contrôle des mouvements de décolonisation depuis la fin des années 1940, à travers notamment le ‘’Bureau du Maghreb Arabe’’, installé au Caire, représentant l’Istiqlal marocain, le MTLD algérien et le Néo-Destour tunisien (animé par Allal el Fassi, Bourguiba et Mohamed Khider). La ligne révolutionnaire impulsée par les ouvriers et ruraux au sein de l’Etoile Nord Africaine (E.N.A.) dès 1926 a été totalement abandonnée. Aussi, le Mouvement de Libération du Maghreb, lancé au Caire par Abdelkrim el Khettabi, dès 1947, a été marginalisé.
  2. Les indépendances politiques, lors de la décolonisation, n’ont pas été obtenues par les populations rurales qui ont mené le combat sur le terrain : au Maroc, la France a octroyé l’indépendance au sultan Mohammed V représentant de la bourgeoisie Fassi. L’armée de l’extérieur a pris le pouvoir en Algérie en 1962 par la violence, contre l’ALN de l’intérieur. Le Néo-Destour de Bourguiba a éliminé la guérilla des fellaghas tunisiens dès l’indépendance acquise.
  3. Les Etats-nations se sont alignés sur l’idéologie arabo-islamiste, intégrant la ligue des États Arabes, ils ont lancé des politiques d’arabisation / colonisation niant l’amazighité qui est l’identité première du sous-continent, et ont repris à leur compte le modèle jacobin de l’ancien colonisateur pour bâtir ces États-nations. Aucun pays n’a initié de modèle d’organisation de l’État en harmonie avec les structures décentralisées existantes, basées sur les régions naturelles (à l’exemple des wilayas historiques, opérationnelles pendant la guerre de libération nationale en Algérie).

Cette illégitimité multiforme constitue la cible sur laquelle se concentrent les revendications multiples qui apparaissent dans plusieurs régions, de manière spontanées ou organisées, et dont la principale revendication, exprimée explicitement ou non, est la revendication identitaire. L’Afrique du Nord d’aujourd’hui, issue de la Berbérie des temps anciens de Massinissa, veut continuer d’être elle-même.

Si aujourd’hui les principaux foyers de revendication restent les régions amazighophones (Rif, Kabylie, Mzab, Aurès, Nefoussa, Pays Touareg,…), d’autres régions prennent conscience de leur marginalisation et l’expriment de plus en plus distinctement, c’est le cas notamment des villes du sud (Ouargla – Touggourt – Hassi Messaoud, Gourara – Timimoun) qui subissent un taux de chômage et un niveau de dénuement inacceptables, les régions du centre et sud de la Tunisie, les régions du sud marocain qui subissent les privations de l’eau, détournée par les grosses exploitations agricoles, à l’image des ‘’manifestations de la soif’’ à Zagora et dans d’autres villes.

Régionalisation et intégration des pays d’Afrique du Nord

On ne peut faire l’économie d’une révolution administrative en adaptant les structures de des États-nations actuels à la réalité socio-culturelle et historique du grand pays qu’est l’Afrique du Nord, qui a un nom, Tamazgha, et non cette désignation de “Maghreb”, octroyée depuis le lointain Orient et francisée pour les besoins d’une certaine cause.

Après avoir singé pendant 60 ans la France jacobine (qui a charcuté ses propres régions naturelles pendant des siècles : la Bretagne découpée en cinq départements, la Corse en deux départements, l’Alsace en deux départements, …et qui en est revenue depuis la réforme territoriale de janvier 2016), les États-nations de Tamazgha doivent :

  • Lancer une politique de régionalisation dans chacun des États-nations actuels et reconnaître un statut d’autonomie aux régions naturelles dont la forme serait à définir par le dialogue,
  • Adopter le statut effectif de langues nationales et officielles aux véritables langues nationales de Tamazgha : Tamazight et Darija (5),
  • Impulser une politique d’intégration des États-nations, dont l’unité historique, culturelle et linguistique n’est plus à démontrer,
  • Construire une stratégie de complémentarité économique et énergétique pour un marché commun de plus de 100 millions d’habitants, en face de l’Europe unie,
  • Enfin, abattre les frontières entre les États-nations actuels pour une refondation effective de Tamazgha, de Tanger à Benghazi.

La région d’Asif Azeggagh-Seguiet el Hamra, plus connue sous l’appellation ‘’Sahara Occidentale’’, actuel abcès de fixation du conflit algéro-marocain depuis 1973, deviendra naturellement une région de Tamazgha comme les autres régions.

R. Oufkir et A. U Lamara, synthèse pour Le Matin

Notes :

(1) – Rachid Oufkir, natif du Rif, membre du Comité de Soutien au Mouvement Rifain Ile-de-France, CSMR IDF (adresse email : csmr.idf@gmail.com).

– Aumer U Lamara, Docteur d’Etat ès Sciences, physicien, écrivain de langue amazighe, membre fondateur en 1985 de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme.

(2) Le makhzen marocain détourne à son profit les financements de l’Union Européenne destinés aux régions montagneuses pour des projets de désenclavement et de développement.

(3) Les régions dites ‘’naturelles’’, sont les régions historiquement constituées sur un territoire reconnu, une économie, une culture et une langue spécifiques, et dans laquelle la population exprime en sentiment d’appartenance et d’identité collective. Ce concept est défini aussi dans l’Union Européenne où existe un ‘’Comité européen des régions’’ CdR, institué en 1994. En Afrique du nord, Le Rif, la Kabylie, Le Mzab, l’Aurès, le Souss, Djerba, Aheggar, Nefoussa, Asif Azeggagh-Seguiet El Hamra, etc… sont des régions naturelles typiques.

Comité européen des régions

(4) “Bureau du Maghreb Arabe”, 10, rue Darih Saâd, Le Caire, Egypte.

(5) La langue Darija (ou Darja) est une langue de synthèse de tamazight, des dialectes arabes, de l’arabe coranique et une proportion de punique (ancienne langue de Carthage). Darija une langue née en Afrique du Nord. Elle n’est pas une ‘’sous-langue’’ de l’arabe coranique, comme tentent de le faire passer les mercenaires de l’arabisation.

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