Archéologie&Architecture

La Préservation des greniers fortifiés Amazighs

Le texte qui suit est la traduction française d’un texte original écrit en anglais et publié dans la Lettre d’Academia. Ce texte ayant suscité un vaste intérêt, il est apparu utile d’en faire une traduction française en y ajoutant des références bibliographiques supplémentaires, comme cela l’a été suggéré.

Il a également été suggéré de lancer un appel à la création d’un groupe de personnes intéressées à sauver ces greniers.

La richesse des commentaires fait aussi apparaître la nécessité de clarifier l‘existence de deux types de greniers Amazigh:

  • Un premier type que l’on peut appeler un “grenier collectif”, existant largement dans plusieurs communautés amazighes ( les ikoufan en Kabylie, mais aussi aux Canaries ou à Malte – ce qui a révélé être une surprise – sous la forme de jarres familiales entreposées à l’intérieur de grottes),
  • Un second type plus spécifique, celui du texte original qui a été soumis, concernant le “grenier fortifié”, qui est une construction caractéristique du versant sud de la chaîne de l’Atlas, suivant une ligne transversale allant d’Est en Ouest, du djebel Nefoussa en Libye, au Souss marocain.

Et puisque les noms des greniers fortifiés changent selon la région, il semble utile d’établir un glossaire des termes utilisés.

Christian Sorand

S’il existe un trait caractéristique partagé par les groupes amazighs (berbères) d’Afrique du Nord, c’est celui de la présence d’une vie communautaire. L’alimentation et l’eau restent évidemment d’importants éléments aptes à tisser des liens sociaux, en particulier dans les montagnes et le désert. En Algérie, dans les monts du Djurdjura, les Kabyles conservent d’énormes jarres d’argile [ikoufan] destinées à cet usage; les Minoens crétois utilisaient un procédé identique [pithoi, πίθοι]. Dans la région saharienne du Gourara, les Zénétes ont inventé un astucieux système d’irrigation destiné à distribuer l’eau de la nappe phréatique permettant de rendre le désert fertile. Ce mode de distribution d’eau s’appelle une foggara. Il y a eu une demande pour sa reconnaissance par l’Unesco. Dans le passé, l’écrivain et sociologue algérien, Mouloud Mammeri (1917-1989), s’était déjà efforcé de préserver l’Ahellil[1], une manifestation artistique locale impliquant la poésie, le chant polyphonique, la musique et la danse. En 2008, l’Unesco l’a inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Le texte soumis aujourd’hui est consacré aux greniers fortifiés, une conception architecturale amazighe. Il s’agit d’un entrepôt d’alimentation communal tout autant qu’un havre de protection contre d’éventuels attaquants.

L’originalité des greniers réside dans le fait qu’on ne les trouve que le long d’une ligne transversale allant d’Agadir, à l’Ouest, au Fezzan, à l’Est, occupant à peu près le versant saharien de la chaîne de l’Atlas.

Leurs caractéristiques aussi bien que leurs appellations changent selon les régions où ils se trouvent. Dans la région marocaine du Souss, ces greniers sont appelés “agadir” [ce qui veut dire “mur” dans la langue Chleuh]. La ville côtière d’Agadir doit son nom à ce type de construction. En Algérie, dans les Aurès, on les appelle “Guelaa” ou “Kalaa” (terme arabe pour “citadelle”), ou encore “taq’liath” (en langue berbère chaouie). Dans les montagnes du sud de la Tunisie, ces greniers sont connus sous le nom de “ghorfa” [غرفة, une pièce]. Mais quand ils forment un ensemble à plusieurs niveaux, ils sont appelés “gasr” Il y a également des greniers dans le djebel Nefoussa, en Libye Tripolitaine mais malheureusement, on a assez peu de renseignements, si ce n’est qu’ils ressemblent aux autres greniers berbères existant.

Les greniers fortifiés partagent un concept commun. Leur architecture consiste en un assemblage de compartiments appartenant chacun à une famille, l’ensemble formant une construction massive. Afin de protéger les réserves de vivres, ces compartiments donnent sur une cour intérieure, parfois réduite à  un simple passage. La partie externe du grenier forme une enceinte murale servant de protection. Selon la situation de ces greniers ou selon leur appartenance, il peut y avoir plusieurs niveaux. Le étages supérieurs sont accessibles, soit par un escalier raide et étroit soit par une échelle en bois. Dans le sud de la Tunisie, la “ghorfa” est conçue sur un plan rectangulaire; elle est surmontée d’un toit en voûte allongée. Il existait une manière de concevoir la courbe en remplissant le compartiment de sable, permettant ainsi la fabrication de l’arrondi du toit.

Dans les Aurès, la “taq’liath” est surtout bâtie en pierre sèche tandis que le toit est renforcé par des troncs de palmiers. Ici, les compartiments sont plus ou moins de forme carrée, mais possèdent parfois une ouverture permettant d’aérer et d’éclairer la pièce. Quelques fois, ces ouvertures ont une forme symbolique.

Les greniers fortifiés ont beaucoup à révéler sur les “Imazighen” (pl. d’Amazigh). Trop souvent, le modernisme ou la politique ont été des facteurs incitant à négliger la préservation de cet étonnant héritage berbère. Certains ont complètement disparu; d’autres sont laissés à l’abandon. Malgré tout, il existe quelques bonnes volontés qui s’efforcent de conserver cet héritage. Tout récemment, un site Facebook algérien, Tamazgha[2] a lancé un appel pour la conservation d’un grenier fortifié surnommé “El Kalaâ”, près du village de Kheirane, dans les Aurès. Le commentaire stipulait que “les ancêtres amazighs construisaient les Kalaâ au pied des montagnes et des collines du Sud de la région des Aurès pour les protéger de l’invasion des ennemis en plus de surveiller leurs vergers[3].

De toute évidence, il n’y a pas eu suffisamment  d’efforts faits pour préserver les greniers fortifiés. Il ne s’agit pas uniquement de conserver un patrimoine menacé. En réalité, on a encore beaucoup à apprendre sur ces constructions. À titre d’exemple, en ce qui concerne les deux aires connues par l’auteur de cet article (les “ghorfa” et les “taq’liath”), il est encore possible de collecter localement des renseignements utiles. Dans les Aurès, les greniers offrent quelques beaux exemples de décorations symboliques rappelant parfois les signes décorant la poterie traditionnelle. Les ouvertures murales peuvent former des frises triangulaires. D’autres fois, une figure géométrique croisée, caractérisant une ouverture circulaire, représente l’effigie du Soleil. Ces communautés sont essentiellement agricoles; ces décorations dévoilent donc une attache ancestrale à la Mère Nature. On retrouve des modèles identiques décorant la poterie, l’orfèvrerie ou même certains signes de tatouage.

Il serait nécessaire d’entreprendre un travail collectif pour rassembler davantage de données utiles émanant de ce long versant saharien allant du djebel Nefoussa, en Libye, à la région marocaine du Souss. Il est vraisemblable que ce soit là une aire destinée un jour à être répertoriée au patrimoine mondial de l’Unesco.

 GLOSSAIRE:

Ce tableau représente une première ébauche qui nécessite d’être étendue, voire affinée. Les termes Tamazight pourraient être par exemple transcrits en Tifinagh.

Les termes cités s’appliquent à la catégorie des “greniers fortifiés”. Or il existe également des “greniers collectifs”, notamment semble-t-il, chez les Guanches des Canaries, dans le M’Zab, et même à Malte. Par ailleurs, les Touareg[5] (sg. Targui) ont ou avaient un système identique, connu seulement par quelques initiés. Il serait donc utile de pouvoir étendre le champ d’exploration afin d’avoir une vue d’ensemble plus précise.

RÉGIONTamazightArabe
Tachelhit, vallée du Souss,
Anti Atlas, Maroc
Agadir
Haut et Moyen Atlas, MarocIghremIghrem Qasr / Ksar (pl. Ksour) قَصَر
Aurès, AlgérieTaq’liath, haqli´thGuelaâ ou Kalaa. قلعة
Sud tunisien, M’ZabAgsir, hghurfetGhorfa غرفة
Djebel Nefoussa, LibyeAghrem (pl, Inghermann)Gurfa / gasr

Remerciements pour contributions: Claudio Bencini, Piotr Kostrzewski, Nacer Messen, M.Bezzeghoud, C R Sant, José Barrios Garcia.

Extrait du roman de Magali Boisnard:

Magali Boisnard (1882-1945) a vécu à Biskra au début du XXe siècle. Son roman a été inspiré par les anciens textes arabes. Mais sa connaissance du terrain et ses affinités avec les Chaouis des Aurès sont une source précieuse, datant d’une époque où certaines “guelâas” – comme Houkhribth de Ibanyene (Baniane) – existaient encore.

Le grenier public compte quarante cellules qui sont autant de celliers, de fenils, et d’alvéoles aux destinations invariables. C’est une ruche et c’est une fourmilière. L’esprit d’inquiétude, de rapacité et de prévoyance, a présidé à la construction et à l’organisation de ce réservoir pour l’alimentation d’un village et cette forteresse pour sa défense.Le Roman de la Kahéna, p.137

Bibliographie:

Notes :

[1] L’Ahellil du Gourara, https://ich.unesco.org/fr/RL/lahellil-du-gourara-00121

[2] https://www.facebook.com/Tamazgha.Land.of.imazighen

[3] https://www.facebook.com/Tamazgha.Land.of.imazighen/posts/6380595408648994

[4] Magali Boisnard,  https://worldcat.org/identities/lccn-nr95037387/

[5]Cet espace est également une zone de chasse et de cueillette de graines sauvages. Les Touaregs y cachent leurs réserves alimentaires dans des greniers ou des abris sous roche.”, Touaregs, p.42, Hélène Claudiot-Hawad, Découvertes Gallimard, 2010, ISBN: 978-2-07-053362-6

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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