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Rif : la bataille d’Anoual ou la victoire des ”At warkasen” (1)

Le 20 juillet 2017, la police makhzénienne a violemment réprimé la marche pacifique organisée par le mouvement de contestation rifain dans Taghzut / El Hoceima.

Au lieu de constituer une date symbole de la libération du peuple marocain de la domination étrangère, et célébrer cette journée anniversaire dans la communion, les forces de répression ont encore fait couler le sang des Marocains !

Parallèlement à cette politique du bâton, le makhzen use de tous les subterfuges pour casser ce mouvement pacifique… jusqu’à la tentation de souiller la mémoire d’Abdelkrim, en utilisant sa propre fille (2). Nul n’est dupe de cette grossière manipulation.

La bataille d’Anoual c’était en juillet 1921. L’armée espagnole, dirigée par le général Sylvestre, avait déjà constitué une énorme base militaire sur la plateau d’Anoual, afin de conquérir tout le Rif. Au matin du 22, la base était encerclée par des milliers de Rifains en armes et il en arrivait de tous les côtés. Muhend Abdelkrim El Khettabi (3) avait déjà donné l’ordre de prendre cette caserne quel qu’en soit le prix.

Dans la panique de l’encerclement, le général Sylvestre, avec ses officiers, décida vers 11h d’évacuer et de se replier sur Mellila. C’était le carnage dès la sortie de la troupe sur la route d’Izumar. Sur les 6500 soldats et officiers, très peu en réchappèrent. L’énorme arsenal d’armes récupéré sur place avait changé radicalement la donne.

Un événement inattendu avait décidé de l’issue de la bataille dès les premières salves des mitrailleuses : les quelque 1000 auxiliaires Rifains engagés dans l’armée espagnoles (les Regulares), mis en première position dès la sortie de la caserne pour protéger les Espagnols, avaient changé de camp dans la bataille. Ils tiraient à bout portant sur les Espagnols.

Les conséquences de cette débâcle d’Anoual sont multiples :

– Démoralisation de l’armée espagnole et crise politique à Madrid (installation d’une dictature militaire par le général Primo de Rivera),

– Renforcement de la mobilisation rifaine et organisation d’une ”armée régulière” avec tout l’arsenal récupéré.

Mais l’élément le plus important était la certitude des Rifains de pouvoir affronter, sans complexe, l’une des plus grandes armées du monde de l’époque, intacte, car non saignée par la Première guerre mondiale. Cet optimisme était dû à l’organisation de la guerre introduite alors par Muhend Abdelkrim.

Les combats entre les Rifains et l’armée espagnole avaient déjà commencé depuis un an. Quelques tribus s’étaient mobilisées au début pour s’opposer à l’avancée des espagnols. L’entrée dans le combat de Muhend Abdelkrim El Khettabi, après le décès de son père (chef du détachement fourni par les At Waryaghen), avait changé la nature de la mobilisation : de la myriade de troupes levées par les tribus, sans coordination, il avait constitué une armée de paysans-soldats disciplinés, volontaires et d’une mobilité redoutable (4). La motivation de défendre leur pays fera le reste, retrouvant ainsi les réflexes ancestraux de la guérilla des Numides de Jugurtha.

Cette bataille avait eu un écho au niveau international. On dit que le général Giap avait appliqué la stratégie d’Abdelkrim lors de l’encerclement de Dien Bien Phu en Indochine, qui avait fait 10000 morts et 12000 prisonniers.

La bataille d’Anoual est un symbole national et un repère historique important pour les Rifains et tous les autres Marocains et Nord-Africains. Il doit être respecté, protégé et enseigné.

Aumer U Lamara, écrivain

Auteur de l’essai historique ”Muhend Abdelkrim – Di Dewla n Ripublik” (Du temps de la République du Rif, 1920 – 1926), éditions L’Harmattan, Paris 2012.

Notes :

(1) ”At warkasen” : ”les hommes aux mocassins de cuir” (arkas/arkasen : mocassins rudimentaires en peau de boeuf que portaient les paysans d’Afrique du Nord).

(2) Appel de la fille d’Abdelkrim (yabiladi.com) :

“Je porte à leur connaissance que le roi Mohammed VI est disposé à résoudre tous les problèmes. Je suis en contact permanent avec des proches du roi qui m’ont informée qu’il a demandé aux responsables de répondre aux revendications des habitants du Rif dans les plus brefs délais”, a ajouté Aïcha El Khattabi (Hirak : La fille d’El Khattabi appelle les Rifains au calme).

(3) Muhend Abdellkrim El Khettabi était interprète des bureaux indigènes à Mellila, et professeur de berbère et d’arabe, puis cadi, et épisodiquement chroniqueur dans le journal Telegramma del Rif, publié en espagnol à Mellila. A El Qama, il a été désigné par les tribus chef de la révolte contre les Espagnols.

(4) La logistique du soldat rifain se limitait alors à sa plus simple expression : ”Tihdert n ughrum aqquran d wuraw n tazart” (un morceau de galette de blé et une poignée de figues sèches) !

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